(andrej) blood on my name

traits de caractère / Froid et rude comme les hivers de sa terre natale, il s'est emmuré dans ce personnage, par nécessité, ou bien comme un mécanisme de défense. Impitoyable lorsqu'il s'agit de ces missions qu'on lui confie, son nouveau gagne-pain pas très recommandable. L'honneur et la morale ont disparu avec les galons, les pitreries dont il avait l'habitude aussi. Naufragées. Caustique, désabusé, spectateur du monde et de sa descente aux enfers, il accepte, feint l'indifférence pour quelques liasses de billets, quelques zéros, supplémentaires sur un compte off-shore. A quoi bon ? Peu importe.  

Nichée au cœur d’une épaisse forêt du Daghestan, c’est une résidence paisible, décorée avec le faste un peu outrancier et décadent de la nouvelle richesse oligarchique qui n’a pas pu s’acheter le raffinement en même temps que ses propriétés sur la Caspienne… Tu te formalises peu en réalité de ce manque flagrant de goût, parce que tu n’es pas là pour profiter du décor, même si les apparences semblent hurler le contraire. Nu, le bras posé sur la taille de ta conquête, pauvre pion sur ton échiquier, tu joues la comédie de l’attachement, suffisamment pour rester, t’immiscer dans ce cercle très restreint des ‘proches’ et pour ça, tu manipules, tu trompes, tu séduis s’il faut. C’est de ça qu’est faite ta nouvelle vie. Tu as courtisé ce pauvre fou parce que son père te rapproche de celui que tu as dans ton viseur. Abram Lermontsov. Il ne se doute de rien, il dort et tu entends que ça reste ainsi, au moins pendant encore quelques heures, le temps que tu rassembles tes affaires, et disparaisse dans la nuit encore épaisse. Tu t’extirpes de la douce chaleur des draps avec une seule pensée ; bientôt tu seras loin, tu as tout ce qu’il te faut pour clore cette affaire, toucher ton argent, et recommencer. La neige est immaculée dehors, c’est bien la seule chose qui l’est dans cette région du monde. Il doit encore neiger cette nuit, tes pas seront bientôt recouverts, il n’y aura plus de traces de toi dans cette splendide Datcha, tu y as veillé, à part le souvenir que tu auras laissé à un amant, une pierre de ton édifice.
Tu avances sans te retourner, de la même façon que tu as quitté ce pays que tu aimais tant, le coeur lourd pourtant, ce pays que tu continues d’observer de loin et que tu peines à reconnaître.

L’humidité des murs, la lumière qui filtre tant bien que mal à travers les lézardes. Deux autres hommes et toi, une cellule exigüe. Le silence qui règne lorsque les mots ne suffisent plus, lorsque c’est le début de la fin, l’agonie de l’attente. Ils t’ont laissé ces galons, tu ne t’en défais pas, tu enserres ces morceaux de tissus effilochés dans le creux de ta paume parce que tu ne peux plus en faire grand chose d’autre.

Tu entends encore la voix, douloureusement familière, qui prononce la sentence, celle de l’homme qui t’a transmis son nom et des valeurs qu’il bafouait sans états d’âme si ça pouvait arranger ses intérêts. L’admiration aveugle s’est évanouie lorsque tu l’as compris, et la chute a été violente.
On te tapote l’épaule pour te signifier que c’est à ton tour de te présenter au contrôle de police. Tu fais quelques pas en avant, faisant face à cette nouvelle étape; les instructions étaient claires, prouver ta valeur en échange du précieux sésame vers la liberté. Non sans te départir d’une coquette somme d’argent et renoncer à ton identité. Tu présentes le livret bleu à l’officier au crâne prématurément dégarni, la neutralité plaquée sur ton visage. - Bienvenue à New-York. La voix est dénuée d’enthousiasme mais tu t’en fous.