i need you / brandy

l'université où elle n'avait pas mis les pieds ce matin-là. et ce ne serait pas si grave si ce n'était pas devenu une habitude. une fois de plus, une fois de trop. par chance, personne n'avait encore découvert le pot-aux-roses. personne n'avait fait le rapprochement sur ses heures de cours un peu trop souvent annulées. personne n'avait même suspecté qu'elle passe des nuits dehors et des matinées au fond de son lit. lui qu'elle n'avait pas quitté à une heure matinale. elle baille excessivement, frictionne ses yeux bouffis de l'endormissement encore apparent, passe une main dans ses cheveux ébouriffés de son agitation. l'appartement est étrangement silencieux, il n'en faut pas plus pour qu'elle devine que enzo devait être parti travailler. une condition qu'elle ne lui enviait pas. une situation qui ne lui convenait pas. un verre d'eau qu'elle descend avaler, avant de se souvenir vaguement de tous ses excès de la veille. tant qu'elle n'avait pas encore rejoint les bras de morphée, qu'elle continuait de s'émoustiller des alcools colorés et autres substances édulcorées. la porte d'à côté, derrière laquelle elle s'était réfugiée. encore une habitude bien ancrée, une relation privilégiée. t'es la meilleure pour animer les soirées endiablées, comme pour voir tes rêves partir en fumée. t'es celle qu'on aime compter près de soi quand on veut s'amuser et tout oublier. sauf que ce qui ne risque pas de lui échapper, ce sont les coups qu'elle entend résonner dans son crâne. relents empoisonnés de tous ses excès, rappels non désirés de tous ces verres ingurgités. l'herbe sous forme de bâton qu'elle place entre ses lippes. remède adoré, baume capable de panser toutes les plaies. les écorchures comme les maux de l'âme. parce que personne ne soupçonne ce qu'elle garde au plus profond d'elle-même. ce qui l'a brisé, tout en la construisant. l'affrontement qu'elle a dû vivre sans en parler, sans le partager. d'abord en duo, puis en solitaire quand tout avait fichu le camp. sujette aux coups durs, elle encaisse sans broncher. enterre ses vérités, s'entête à les dissimuler. même si en dedans, elle ne fait que pleurer. peu importe le temps qui file et qui est censé tout effacer, t'auras toujours ce vide intersidéral en toi. ce vide que rien, ni personne ne pourra combler. parce qu'il te rappellera éternellement ce jour. ce bout de lui, de bout de toi, ce bout de vous qu'on t'a arraché. la tête qu'elle secoue pour se sortir de ces mauvaises pensées, pour reprendre pied dans une plus belle réalité. et le rendez-vous improvisé avec sa soeur qui lui revient en mémoire. qui marque un étirement sur ses lèvres, entre deux taffes psychédéliques. brandy n'est pas de ces femmes qui se sentent obligées de s'orner de mille-et-une babioles pour quitter leur habitat. rapide comme l'éclair, elle apparaît au dehors dans le plus simple des habits. au naturel, à sa manière à elle. la distance jusqu'au café qu'elle brise en un temps record. sans doute l'appel invisible de clara. membre de cette famille qu'elle se plaisait davantage à fuir ces derniers temps. la fuite pour seule réponse, pour se protéger d'une observation détaillée qui pourrait la faire flancher. la fuite pour marquer leurs désaccords prononcés. elle n'entend pas leur mode de vie décalé, elle ne s'y reconnaît pas. et au milieu de ce désastreux schéma, il y avait clara et sa candeur. clara et sa frimousse enjôleuse. clara, sa jeunesse et ses déboires. parce que les années n'attendent pas pour vous broyer de l'intérieur. pour remettre en lumière toutes vos peurs. les rues qu'elle foule et les alentours prennent déjà des airs de fête. l'odeur de noël flotte à travers tous les paysages qui l'entourent. comme une nouvelle chaleur enveloppe la ville de son manteau soyeux et ça lui met du baume au coeur à brandy. c'est au son de quelques tintements qu'elle passe la porte de la petite pièce reculée, un endroit à l'abri et si accueillant. le sixième sens enclenché, elle repère immédiatement la jeune blonde. les sens en alerte, les yeux qui la remarqueraient où qu'elle soit. les liens du sang ayant parfois des vertus que l'on n'imaginait même pas. pourtant, elle réagit à ses signaux. lui adresse un sourire, un véritable. un de ceux qu'elle n'accorde plus tellement à tour de bras en ce moment. ils sont rares ceux qui en sont gratifiés, ils sont rares ceux qu'elle se surprend encore à aimer. leurs bras se trouvent rapidement, l'affection qu'elles se portent transparaît immédiatement. et elle la serre brandy, elle est heureuse d'être près d'elle. pardon de t'avoir fait venir comme ça, sans t'expliquer pourquoi. tu m'as manqué. tu rigoles, t'as pas besoin d'excuse particulière pour avoir envie de voir ta soeur la plus géniale. la plaisanterie est déjà là pour détendre une atmosphère branlante. parce que les émotions de clara sont inégales. elle n'a pas les expressions aussi fraîches et naturelles de d'habitude. t'es pas forcément douée pour lire à travers les gens, tu ne t'y intéresses pas assez pour ça. mais clara, c'est ta soeur. et c'est pour ça que tu la connais si bien. finalement détachées l'une de l'autre, ce sont les chaises autour de la table qu'elles viennent remplir. tu vas bien ? étrangement... mieux depuis qu'on m'a viré de la maison. ce qu'elle oublie de mentionner, c'est qu'elle a eu de la chance de pouvoir compter sur son frère. sans lui, son sort aurait sans doute été bien moins agréable. t'as l'air fatigué. tu te ménages au moins ? les cours, toujours les cours. avec une clara bien plus assidue qu'une brandy. les cours qu'elle ne suivait plus ne risquaient pas de la crever. c'était un tout autre schéma dans son cas. bien plus amusant, mais bien moins rassurant.