Lyn ▲ das Unheilmliche

01/ Terrilyn n’a pas construit sa vie en détruisant tout sur son passage ; elle n’est pas un élément linéaire et choyé, promis à une belle vie par ses parents car fille unique. Non, Lyn a pour ainsi dire une enfance sans histoire et une scolarité banale dont elle ne se vante que très peu. Non, ce dont elle est fière, c’est de s’être débrouillée effectivement toute seule pour atteindre le rôle qu’elle occupe aujourd’hui et qui lui assure une place de pouvoir dans la société. 02/ Elle a fondé une grande partie de sa vie sur les habitudes et sur le modèle qui lui a été inculqué par la société. Ainsi, il lui est apparu normal à vingt-et-un ans, de se mettre en couple avec Galahad Mc Arthur, un étudiant en école de droit venu tout fraîchement d’Irlande qui parlait beaucoup trop fort pour mieux cacher la manière scélérate dont il complotait tout bas. Il lui est apparu tout aussi normal de se marier, six ans plus tard, selon des conventions propres et efficaces, parce que les éléments de sa vie s’encastraient ainsi selon un fabuleux jeu d’engrenages. La seule normalité qui a échappé à tout schéma bienheureux est celle de leur absence d’enfants. Leur salon immense est bien vide, mais de toute façon, ils y sont eux-mêmes très peu. 03/ Avant d’être vouée à la Psychologie, Terrilyn voulait devenir journaliste, mais son parcours jonché d’obstacles l’en a empêché. Elle était douée, mais pas la première de sa promo ; elle parlait bien, mais n’était pas assez extravagante ; elle présentait bien, mais pas avec suffisamment d’originalité pour qu’on se souvienne d’elle. Ses camarades de promo lui passaient ainsi continuellement devant, têtes brûlées pleines d’énergie, tandis qu’elle prenait bien trop le temps de réfléchir et d’analyser. C’est Gal qui lui a donné le seul conseil valable depuis qu’ils sont ensemble, de se tourner vers le domaine dans lequel elle s’est finalement épanouie avec brio pour monter son cabinet à la sortie de ses études – toujours pas majeure de promo, mais promise à un avenir qui lui permettrait de gagner autant que Gal devenu inspecteur de police, et ça, c’était déjà beaucoup. 04/ Au bout de quinze ans de mariage et quasiment autant d’années d’exercice durant lesquelles les journées et les fins de moi se ressemblaient toutes, Terrilyn a fini par se faire chier, mais genre, vraiment. Les absences de Gal qui avant lui permettaient de s’épanouir avaient fini par la lasser profondément. Si bien qu’un soir, Lyn s’est assise dans son fauteuil Louis XVI dans son grand salon de cinquante mètres carrés, devant son immense baie vitrée avec sa longue cigarette et son verre de RedBreast 15 ans d’âge, pour considérer le fait qu’elle avait vécu plus de trente ans en se regardant exister. Et en arriver à la conclusion que cela ne lui convenait pas. Elle a retiré ses Louboutin, attrapé un carnet qui traînait là, pour esquisser ses pensées, sa volonté de les partager. Ainsi naquit Mona Lisa : revue mensuelle des quadra qui s’emmerdent. 05/ C’est en rédigeant un article sur la tendance discrète mais bien existante des escorts et autres sugar babies comme nouvelle distraction des quinqua ennuyées par leur quotidien que Lyn s’est prêtée au jeu à son tour. Pour la science, tu vois. C’est arrivé un soir, comme ça, pour l’expérience. Une petite sortie tranquille, une étreinte, un baiser peut-être, c’est à peine si elle s’en souvient, dit-elle ; comme du billet qu’elle a glissé dans la poche de l’éphèbe.
Puis elle l’a revu ; puis ce fut un autre, et encore un autre. L’article est sensationnel, la revue décolle sans doute un peu grâce à lui.
Et depuis, derrière le dos de son mari, Terrilyn se tape des mecs qui ont la moitié de son âge.
Parce que ça l’occupe.