(nw) homme libre, toujours tu chériras la mer.

traits de caractère /
Idéal. Il apprécie les belles choses, les choses qui ont de l'importance. C'est un homme simple, somme toute, satisfait des plaisirs nus de l'existence. Il se laisse porter par des lignes utopiques, ses rêves de nouveaux mondes harmoniques et calmés. Une façon revisitée de vivre, un pas en arrière pour faire un saut en avant. Les sens en alerte, ouvert au monde, aux autres. L'homme sacrificiel, humble dans son altruisme, donnant pour ses idées mais non pour sa personne.
Colère. Il attend de même des autres, du monde. Et la perfection de son monde idéal s'évanouit. C'est alors un combat continu, depuis des années, contre les hérétiques de la mauvaise parole. Ceux qui oppressent, ceux qui brûlent, ceux qui détruisent, ceux qui malmènent. Déguisé en chevalier blanc, il défend les donjons de ceux qu'il s'est juré de protéger. Earth. Mom. Nina. Et quand ses efforts restent vains - souvent, ses efforts restent vains -, il se démultiplie, grandit, s'étend, s'élève. Et explose en un milliard de petits morceaux.
Battu. Se rassembler est un combat de tous les instants, chaque minute, depuis des années. C'est un survivant à qui rien n'est arrivé. Une fausse victime, peut-être, le seul à s'apitoyer sur un sort qui n'est pas le sien. La gueule triste, les yeux flous, fier dans son allure mais fermé dans ses dires, un vieux loup gris derrière une piste froide. Pour un garçon explosif, le contraste est d'autant plus fort : autrefois le roi des rigolos, il a maintenant souvent la tronche d'une pierre tombale. Il s'entoure d'autres casse-cou cassés, des éclopés clopant, des ermites miteux. C'est la bande, la meute, les copains peut-être. Rapprochés dans la course à l'idéal, plus forts à plusieurs, un sacré proverbe avéré.

Bien avant d'amarrer, avant même que la proue ne pénètre Örnsköldsvik, il les aperçoit.
Ils n'ont l'air de rien, vraiment. Pas de costard noir, pas de lunettes fumées. Le plus grand a l'air de porter une casquette rouge, la même qu'on peut acheter à la caisse du dépanneur sur Ångermanlandsgatan. Des fringues de pêcheurs plus que de bandits, colorées, classiques, sans intérêt particulier. Les gars ne font rien, ils observent. Attendent.
Sans surprise, ils atteignent le voilier quand Niklas en débarque, un sac sur l'épaule. Un café Herr Wahlberg ? Certainement, mina herrar de mes deux. Après quelques visites en garde à vue, on n'a plus les mêmes scrupules à se faire offrir un espresso.
Sur la coque du bateau, un seul mot en jolies lettres penchées. Docka.

Le plus grand, Gustav, est grandiose dans l'art de faire la conversation. Il s'étend sur la cérémonie du Midsummer à Stockholm et oh tu aurais dû y être, ah oui, tu restes à Örnsköldsvik pour les vacances d'été, comment trouves-tu la pêche en ce moment ? Le bavardage dure jusqu'à ce que les tasses soient posées devant eux. C'est Arman, le plus petit, qui parle.
Sa voix est plus claire que dans les souvenirs de Niklas, une poignée de semaines plus tôt, dans la cellule blindée d'un commissariat de Stockholm.
Tu ne te souviens probablement pas, mais nous avons discuté, déjà.
Wahlberg se souvient. Depuis son entrée au port, il se souvient.
En mai, oui. Comment va la jambe ?
Arman victime d'un cocktail molotov retombé du mauvais côté. On vous demande d'abord des valeurs quand vous manifestez, pas de savoir viser.
ça va. Wahlberg, on a besoin de toi.

Doucement au début, puis tout d'un coup. Militer aux côtés d'écologistes plus ou moins extrémistes est devenu un quotidien peu assumé, un hobby singulier mais tenace qu'il s'est efforcé de maintenir hors des amphithéâtres de Stockholm. Il prêche la bonne parole, souvent, discrètement, auprès de ses élèves. Seules les âmes enjouées par ses attraits physiques daignent écouter. Oh professeur, et si je passais vous voir pendant vos heures de bureau pour vous montrer à quel point vous réchauffez mon climat ?
Se joignant aux événements, aux manifestations, aux discussions, l'arme à la main, un bon vieux Nikon. Certaines de ses photos se sont vendues, certains de ses actes ont été remarqués. On le fait alors passer la nuit en taule, quelques fois. A côté d'Arman, ce fameux soir.
Rejoindre ces gars et leurs vingt-quatre autres frères, c'est différent. C'est mettre un nom sur ce qu'il fait, c'est associer sa volonté à sa vocation, c'est se donner un but. C'est loin des jeux d'enfant qu'il avait commencés. Sa nouvelle vérité s'appelle Byta. Changement.

Byta reste humble, les premières années. Petite organisation suédoise, elle s'attaque aux politiques locales et défend au mieux le territoire. Les rumeurs font leurs chemins. Les journalistes font leur travail. Les financements arrivent, petit à petit. Niklas démissionne de la fac.

Dans l'ouragan médiatique de l'alerte climatique, Byta s'envole et se camoufle. Devenue anonyme, amère et acérée, elle frappe. C'est fort mais nécessaire. Les matins, on déchiffre bioterrorisme dans les médias. Niklas et les autres en font abstraction désormais.
24 manifestants devenus une armée de presque 300.

On l'envoie à Sydney, Paris, Santiago, Moscou et bientôt, New York.
Il dépose un nouveau baiser sur la joue de sa femme, cette belle inconnue. Elle le regarde à peine. Ils savent leurs secrets mais se mentent par habitude. Le réel objectif de son métier de photographe. Les amants qui se presseront à sa porte lorsqu'il aura quitté la maison. La stérilité de leurs corps qui a rendu la maison triste et vide, bien heureusement. Adieu Sigrid, à tout à l'heure. A nos heures passées seuls dans la même pièce, seuls à des kilomètres.

Mais alors qu'il s'envole pour New York, pour les inepties d'un président improbables, pour des gratte-ciel qui rongent littéralement l'horizon, Niklas sourit.
De l'autre côté, il sait, Nina est là. Sa véritable Docka. Sa poupée.

A l'époque, juste après l'incident, il est fou. Ratant les invitations de potes ou de jolies filles, il délaisse souvent la réalité pour se plonger dans une quête d'adolescent. Il la cherche, l'épie, la poursuit, certain qu'elle le cherche autant que lui. Lorsqu'il s'absente, la douleur le bouffe. Elle viendra frapper à sa porte quand il sera ailleurs, il en est sûr. Il erre dans les rues de Stockholm, les yeux grands ouverts sur des visages qu'il ne reconnaît pas. Une grande foi l'habite : Nina est en Suède, il en est persuadé.
Quelques années après, la fougue s'est tarie. Niklas vit. Sur les bancs de la fac il s'attarde sur les cailloux, les montagnes, les paysages de sa Suède bien aimée. Brillant élève, sacré bonhomme, il perd sa virginité tard, entre les peluches de Siri Alvarsson. Kylie Minogue gueule Can't get you out of my head pour camoufler le grincement du sommier.
Vient internet. L'ouverture au monde. A ce qui n'est pas Malmö, Stockholm et les filles qui ne sont pas Nina. Ses premières recherches sont infructueuses.
Un soir, avant de tenir la main à Sigrid Dolcater au cinéma, il fait l'énième même recherche. Dix ans après, il trouve.

Promising Swedish ballet dancer shot in Queens.

Nina, Nina, Nina, Docka. Si loin. Si belle sur la petite photo de l'article. Niklas sourit et chiale. Sa poupée toute brisée, aux rêves assassinés. Nina, bébé. Sa prunelle, son trésor, sa petite sœur. Sa responsabilité. Il s'arrache les cheveux, se bouffe les lèvres. Vite, son poing finit contre le mur. Douleur, sang et larmes se mélangent alors que sur l'écran de l'ordinateur, Nina rayonne toujours.
Résigné, il poursuit ses recherches, veut davantage, s'attend à la voir apparaître derrière la porte.

C'est Sigrid qui frappe chez lui, inquiète. C'est un de leurs premiers rendez vous et elle a mis une robe rouge. Ce soir là, il lui raconte tout. Trois ans plus tard, il la demande en mariage.

Il lui parle de Maman. Mariée à 19 ans, mère à 20. Une héroïne, une déesse, la Femme. Dans l'ombre il y a le père, mais sa silhouette s'évanouit vite. Niklas a 4 ans quand il disparaît définitivement. D'autres figures masculines passent et repassent rarement. Des "amis de Maman". Elle sourit quand ils arrivent et parfois, elle pleure quand il s'en vont.

Il lui parle de l'Américain. Une nouvelle silhouette, qui s'ancre dans l'appartement. Ses syllabes ne veulent rien dire, ou presque, et lorsqu'il parle suédois c'est seulement pour dire bonjour. Jamais Niklas ne lui fait confiance. Et puis Maman tombe enceinte.

Il lui parle de la première fois qu'il a tenu Nina dans ses bras. Pour lui ce n'est alors qu'une porcelaine rose à préserver, une poupée.

Comme à la fin d'un livre, tous les protagonistes quittent ensuite sa vie, un par un. L'Américain, comme tous les hommes, prend la fuite. Maman, dans son éternel sacrifice, est percutée par un chauffard en se mettant à la place d'une autre. Nina, onze ans, lui est arrachée par l'étranger.

Seul. Niklas Wahlberg. Les bras coupés.