Les sanglots longs des violons de l'automne, tu connais la suite

traits de caractère /Douce Edith, tu as toujours été optimiste. Plutôt que de voir les trafics en bas de ton immeuble, tu parles de la solidarité de ton quartier. Tu ne vois pas la moisissure qui envahie les murs de l’appartement, tu préfères réfléchir à les repeindre – en rose. Oui Edith, t’as toujours été la p’tite naïve de la famille et finalement, ça arrangeait bien tout le monde, quelque part. Comme si ici, on pouvait encore préserver un peu les enfants. Ouais ouais, t’étais la plus forte au jeu de « faire semblant ». Fais semblant de courir Edith, fais semblant d’être riche Edith, fais semblant d’être une star Edith. C’est si simple de faire semblant que tout va bien, c’est si simple de rien dire quand le gamin de la voisine se fait embarquer pour avoir baladé de la poudre. C’est si simple d’oublier que ça fait deux semaines que t’as pas entendue ce couple qui se battait tous les soirs – où est passé la femme ? Non non, à quoi bon s’appesantir tout ça, hein ? à quoi ça te mène au final ? à rien. Alors plutôt que d’y penser, plutôt que de devoir réfléchir à comment sortir de ce quartier pourri, tu préfères croquer dans un donut quand les pourboires sont généreux et apprécier ce que la vie te donne. Douce illusion que tu as construite tout autour de toi, combien de temps durera-t-elle encore ? Te connaissant, ça peut encore traîner dix ou quarante ans, t’en es capable. C’est tellement plus simple quand on se laisse porter par ses mensonges et par la vie. T’avais promis à maman de faire des études, trouver un bon taff dans un bon quartier. T’en es où de tout ça exactement ? Quand prendras-tu enfin ta vie en main ?

il faut quand même l'admettre, t'en auras fait des efforts pour chercher le bonheur. d'abord t'as été à l'église, ouais, celle au bout de la rue, logée entre deux building. maman et papa prenaient bien soins de t'y emmené tous les dimanche pour écouter le sermon. toi, t'essayais de bien écouter, de bien chanter, de pas bouger, d'être sage et le soir tu faisais ta petite prière comme on t'avait appris à la faire. il fallait faire bien attention à ne pas l'oublier : mettre son pyjama, se brosser les dents pour pas avoir de carie, prier pour pas aller en enfer.

un jour, tata a frappé à la porte, avec deux valises sous le bras. elle a dormi quelques semaines sur le canapé du salon, maman disait qu'elle s'était fâchée avec son mari. tu ne comprenais pas, mais t'étais contente parce que dans la deuxième valise de tata, il y avait un violon. tous les jours elle le sortait et en tirait quelques airs. au début tu mettais tes petites mains sur tes oreilles et puis, ça devint joli. c'était fort et mélancolique et ça réveillait quelque chose au fond de ton ventre, comme une résonance. tu restais là, sur allongée sur le tapis, à l'écouter jouer comme sous hypnose. mais un jour, tu t'es levée, et évidemment, elle n'était plus là. tu en auras fait des crises pour l'avoir ce foutu violon. d'abord maman a dit non, en espérant que ce ne soit qu'une lubie et puis, il a bien fallu se résigner au bout de deux mois que t'avais pas oublié. c'est papa qui trouva le violon, au fin fond de la brocante annuelle. vraiment pas en bon état, il lui manquait des cordes, mais tu le reçu pour noël, t'étais la plus heureuse des gamines. pendant toutes les vacances scolaires tu l'as usé sans savoir en jouer, et usé aussi la patience de tes parents qui ont fini par t'inscrire dans une petite école de musique. et t'as jamais arrêté depuis.

un jour que tu rentrais de classe, au lycée, tata était morte. après son départ, elle avait pardonné à son mari, mais pas lui apparemment. tu as été à son enterrement et t'es plus retournée dans une église depuis. t'as arrêté les prières et de te brosser les dents. t'as chopé des caries, mais t'es pas encore en enfer, l'un dans l'autre...
la fin du lycée approchais et t'as d'un coup eu l'espoir d'intégrer une grande école de musique puis un orchestre, grâce au violon. te tirer de ce vieux quartier et déménager dans l'un de ses lofts qu'on aperçoit dans les séries télévisées. avoir une vue imprenable sur la ville, ne côtoyer que ses éléments les plus riches... forcément t'as raté le concours. t'as quand même pas cru que ce serait si simple. une autre l'aurait repassé, encore et encore, pour prouver sa détermination. toi, t'as juste baissé les bras et t'as cherché un travail.

y avait cette affiche dans la vitrine d'un café, le cookie'n'coffee. le taff payait mal mais il avait deux avantages : du café gratuit et pas loin de chez toi. t'as pas eu de problème à avoir le boulot, tu sais facilement parler aux gens et t'as un joli sourire quand tu le veux bien, le reste suit. et puis, un peu après ton embauche t'as réussi à faire rentrer ta pote Chess, donc même pas l'excuse d'avoir des collègues relous. ça pourrait être pire, mais quand tu passe devant le conservatoire de musique, tu te dis que ça pourrait être meilleure.