(wp #03) / athenais weiss.

la nuit est déjà presque noire quand elle quitte son lieu de travail. c'est la clé qu'elle fait tourner dans la serrure avant d'abaisser le rideau métallique. dehors, il n'y a pas âme qui vive, pas même un chat qui aurait repéré sa proie et s'apprêterait à bondir pour lui déchiqueter les entrailles. elle a quelques rues à traverser pour rejoindre l'emplacement où elle a garé sa voiture ce matin-là. une marche qu'elle met à profit pour se ré-oxygéner le cerveau, une marche qui l'empêche de penser à cette nuit qu'elle n'oubliera jamais. parce qu'elle est à pied et que cette fois-là, elle était derrière le volant. les sens en alerte, elle frémit à chaque son qui résonne dans le noir. sur le qui-vive, elle se méfie de tout et de tout le monde. comme si par un foutu coup du destin, c'était elle qui se retrouvait face à une athenais ivre à cet instant-là. ses pas se pressent, tant elle ne se sentira rassurée que quand les murs de son véhicule l'envelopperont toute entière. le sursaut la prend au moment de ce qui ressemble à un impact. presque doux celui-là. juste deux corps qui se rencontrent et des mots qu'elle peine à déchiffrer correctement. aidez-moi, j'ai besoin de votre aide. pas même le temps de formuler une phrase correcte, que l'inconnue reprend déjà. j'ai fait une connerie, j'peux pas m'en sortir seule. vous pouvez m'aider à cacher un corps ? il n'y a que la fin de la dernière phrase qui percute ses sens. cacher un corps. avait-elle affaire à une tueuse ? ou à une personne lambda qui avait été rappelé à l'ordre pour ses erreurs ? juste comme elle, en somme. excusez-moi... vous... vous pouvez répéter ? c'est flou dans sa tête, ça bourdonne dans ses oreilles. déjà elle s'imagine que c'est une hallucination qui la prend. qu'à force de ressasser sans discontinuer cette nuit cauchemardesque, elle la transpose dans son présent. la revit continuellement. j'ai besoin que vous m'aidiez à cacher un corps, j'peux pas finir mes jours en prison. sa détresse la touche. c'est presque au même instant qu'elle sent la nausée s'inviter. elle prend sur elle, pour garder une contenance. pour ne pas flancher et s'écraser au sol. et tu revis tout de l'accident dont tu avais été l'actrice principale. gamine influençable incapable de résister à l'appel de tes potes. de ne pas te noyer dans les liquides colorés, même si tu devais prendre le volant à la fin de la soirée. t'as merdé et il n'y a pas que toi que ça a impacté. c'est sans doute ce qui te ronge le plus depuis. et la victime malheureuse qui avait, naïvement, traversé la route sans savoir ce que le futur lui réservait, elle ne sait rien de son sort. même pas si elle s'en est sortie. alors qu'elle avait fuit comme une lâche, fortement poussée par ses amis qui ne voulaient pas entacher leurs noms, faire parler d'eux. bien sûr qu'elle aurait dû prendre son courage à deux mains et leur tenir tête. au moins appeler les secours pour donner une chance à cet inconnu. elle n'en avait rien fait. dans un accès de panique totale, elle aurait pris ses jambes à son cou et se serait tiré le plus loin possible de l'endroit, sans demander son reste. seulement, c'est à cet instant précis que ça la frappe. que sans le faire exprès, elle se voit à la place exacte de la jeune femme devant elle. les traits tirés par la peur et les membres tremblants. il ne faut pas avoir un qi supérieur à la moyenne pour comprendre ce qui va lui arriver si quelqu'un découvre le cadavre. il ne faudra pas plus d'une journée pour identifier les empreintes et retrouver le coupable. la coupable en l'occurrence. toi aussi t'aurais aimé croiser quelqu'un sur ta route cette nuit-là. quelqu'un que tu aurais supplié de te venir en aide et qui t'aurait tendu la main. pas quelqu'un qui aurait fuit sans se préoccuper de ton sort, sans se sentir concerné par le drame qui était devenu tien. alors elle la suit, sans trop en dire, sans poser de questions. ok, calmez-vous. j'vais vous accompagner. l'apaiser pour qu'elle reprenne ses esprits est la première des choses à faire. si elle papillonnait trop, les chances de réussite s'amoindriraient. dans des moments pareils, personne n'a envie de parler. de s'exprimer sur une situation, quand ça ne ferait que la rendre plus réelle encore. la marche est stoppée, comme si un fil électrique les avait retenu. rejeté en arrière, pour les éloigner. pourtant, elle ne sait pas voir autre chose athenais. son regard est happé par l'être dont le crâne saigne. un jeune homme, qui ne devait pas avoir beaucoup plus que son âge. ça tord ses tripes, ça lui fait sacrément mal à l'intérieur. ça aurait pu être son frère ou l'un de ses meilleurs amis. et il l'était forcément. le frère de quelqu'un, le meilleur ami d'un autre. peut-être même l'homme de la vie d'une femme. et en un claquement de doigt, il avait fermé les yeux sur tout ça. c'était abominable de se rendre compte combien nous n'étions rien qu'une poussière dans l'infinité de l'univers. vivant aujourd'hui, dans un cercueil le lendemain. la pierre est meurtrière sous sa tête. il n'avait aucun moyen de survivre à la chute. le choc avait été si vif qu'en un battement de cil, son destin s'était joué. aide-la, à défaut de te sauver toi.