the darker, the better.

01/ sahel, il a grandi avec rien. il avait de la poussière sous les pieds et des rêves plein les mains. comme tous les gamins de sa rue, il crevait de faim. et le petit frère passait bien évidemment avant le reste, quitte à ce que lui ne puisse bouffer que les restes. la plupart du temps, sahel s'inventait de grands desseins. il aimait s'amuser à faire le malin. à coups d'ambitions pleines d'étoiles, il s'imaginait un jour pouvoir mettre les voiles et vivre à des années-lumières de ce taudis, coincé en plein cœur de brooklyn. fantasmer, ça suffisait parfois à le rassasier et à compenser toute cette merde que le destin lui avait imposé. 02/ le portrait familial est bancal depuis que le patriarche a rendu l'âme. c'est le cancer qui l'a volé, les métastases trop nombreuses qui l'ont enterré. sahel, il n'était pourtant pas prêt. il n'avait pas encore les épaules assez larges pour tout endosser. à treize ans, à peine, qu'est-ce qu'on est censé savoir de la vie et de comment la gérer ? pourtant, il l'a fait. sans jamais laisser un mot de travers s'échapper. pour lui. pour son frère, qui comme son aîné, n'avait rien demandé. sa mère, un soir sans prévenir, elle s'est tirée ; abandonnant ses gosses derrière elle comme s'il n'y avait rien de plus naturel. c'est peut-être la dernière fois qu'il a pleuré, terrorisé par toutes les responsabilités qui l'attendaient. 03/ il s'est vite rendu compte qu'elles étaient bien loin, ces putains d'étoiles, et que les rêves, avec le temps, finissent par s'étioler. pourtant il n'a jamais rien lâché, de toutes ces envies désordonnées. entre les cours entassés et des petits boulots de forcené, il a oublié le sentiment que ça pouvait procurer de se reposer. comme un acharné, il a bossé afin de régler toutes ces saloperies de factures impayées. jusqu'au jour où les salaires miteux n'ont plus suffit à remplir les creux. c'est comme ça qu'il a décidé de tricher. durant un temps, il a vendu un peu de cette poudre faite d'illusions à quelques paumés. ça rapportait clairement plus que de faire la plonge en se faisant traiter de raté et l'argent supplémentaire permettait au moins au petit frère d'un peu plus s'illuminer. 04/ jusqu'ici, la haine était tamisée. par ce qu'il fallait faire et ce qu'il fallait éviter. c'est à coups de poing qu'elle s'est pourtant éveillée. en profusion, dans le brouillard nocturne des combats de rues, afin d'empêcher que sa rage ne le tue. entre ses doigts, les lames s'occupaient de semer le vacarme. dans le grabuge des os brisés et des corps lacérés, il s'est abandonné ; s'abreuvant de l'omniprésence de ce danger qui, peu à peu, lui est devenu familier. loisir à faire frémir qui, depuis, ne l'a jamais quitté. sur l'une de ses joues, l’indélébile balafre peut en témoigner. 05/ lignes droites, angles, perspectives. c'est l'architecture qu'il a choisi pour futur. créer des baraques idéales, sublimées par le luxe, puisque lui n'a connu qu'un appartement sale. sahel, il a l'art en face cachée. sensibilité inexpliquée envers tout ce qui est beau et hors de portée. de dessin, il s'est naturellement passionné. violente contradiction avec ses préférences armées. en cours, c'est souvent sur le papier qu'il faisait vivre ses rêves et qu'il osait s'accorder une trêve. en bossant d'arrache-pied, il a fini par concrétiser l'impossible en réalité, jusqu'à en devenir un architecte de renommée. 06/ puis aurane lui est apparue, belle inconnue à la psyché décousue. il se souvient encore du rouge que portaient ses lèvres et de l'orgasme qu'incarnaient leurs fièvres. c'est avec toute cette intime douceur qu'elle a su éloigner les ravages vibrant en son cœur. elle est devenue l'espérance dans l'obscurité, son coin de paradis volé. sahel, il n'était jamais tombé avant elle. d'ailleurs, il ne s'est jamais remis de cet amour irréel. lorsqu'il s'ennuie, il se souvient des frissons que lui procuraient leurs nuits. à travers les mèches de sa chevelure, il a laissé traîner sa vie. et les esquisses délicates de ses courbures ont absorbé toute la souffrance de ses lamentables usures. pourtant elle pleurait beaucoup, l'amoureuse. pour elle, le monde était trop violent et ne faisait que se précipiter vers une fin désastreuse. aurane, elle avait des larmes grandes comme l'océan et dans l'espoir de l'en soigner, il s'est jeté dedans. 07/ c'était débile d'espérer. prétentieux de croire qu'il pouvait la sauver. il n'a jamais été plus fort que les ombres qui la rongeaient. il n'a jamais fait le poids face aux douleurs qui l'asséchaient. ça fait deux ans maintenant qu'elle s'est envolée. par la fenêtre qu'elle a improvisé son grand jeté. en sautant dans le vide, c'est l'âme de sahel qu'elle a rendu perfide. de sa beauté sur le bitume, il ne restait plus que le pourpre de la cervelle pleine d'amertume. quoi de plus lucide qu'un suicide ? elle avait beau l'appeler soleil, de la mort elle n'a pas pu résister à l'appel. depuis, sahel ne dort presque plus. quelque part entre la conscience mordante et la folie inconsciente, ses respirations sont devenues alarmantes. 08/ les vieilles habitudes ont la peau dure. il a l'humanité en errance depuis que l'amoureuse le persécute de ses absences. son parfum a fini par se dissiper. les photographies, pour qu'il les regarde, sont devenues trop aiguisées. mais la haine dont il ne cesse de suinter prouve qu'il n'est pas encore prêt à la quitter, à simplement l'effacer, comme si elle n'était qu'un dessin griffonné à la craie. dans une double-vie pleine de criminalité, il a sombré. à la viscosité du carmin sur ses mains, sahel tente de s'anesthésier. les simples combats sont devenus des promesses de trépas. au nom de ce bonheur démoli, c'est sur la vie d'autrui qu'il met un prix. 09/ en vouloir à la terre entière lui donne l'étrange illusion de pouvoir revenir en arrière. aveuglé par ses maux, c'est son petit frère qu'il a emmené à l'échafaud. représailles en pagaille, conséquence de son immense arrogance. meurtre insensé, dont il peine encore à parler. à force de perdre tout ceux qu'il aimait, l'essence de sa bonté a fini par déclarer forfait. sahel détruit tout ce qu'il touche, le constat fait mouche. l'insensibilité a ainsi remplacé les fragilités. accompagné de ses fantômes aimés, occupé à semer derrière lui des dizaines de macchabées, il en a fini de supporter l'horreur de ces sentiments dupés. 10/  il a de quoi être heureux pourtant mais sur le bonheur, il crache sans ménagement. sahel a assez de thunes pour s'offrir la lune, assez de volonté pour prospérer, mais des sourires et des caresses, aussi beau que ça puisse paraître, il n'en veut pas. ça fait trop longtemps qu'il a la douleur dans le sang. encore et encore, c'est à elle qu'il se vend. pas vraiment conscient que son muscle moteur a le droit, lui aussi, d'aller de l'avant. carrément masochiste, la violence est devenue sa protagoniste. malgré le noir de son indécence, il aime les reflets de sa fausse transparence. prétendre être quelqu'un d'autre afin de zapper l'odeur de toutes ses fautes. feinter d'être animal docile alors qu'il est de ceux qui, de ta vie, coupe le fil. de la bêtise humaine, il s'amuse, comme si ça pouvait lui rendre sa muse.