runaway. (tony)

presque trois mois, trois longs mois à s'enfoncer dans un mensonge qui ressemble à des sables mouvants. autant de jours à détourner le regard pour esquiver les questions qui visent juste, les doutes qui sont fondés. elle a raison sur toute la ligne tony, son frère est mort, enterré dans un coin reculé de la ville depuis trois mois. l'enfant qui a la langue trop pendue se retrouve dans l'incapacité d'aligner deux mots en ce qui concerne le sujet de rico. c'est un étrange mélange entre la peur et la honte qui vient bloquer ses mouvements, glacer son sang jusqu'à son échine. la fuite est devenue son unique solution, il passe tout son temps loin de l'appartement familial pour ne pas sentir le regard de tony posé sur lui, les questions qui fusent sans même les prononcer. elle dépérit tony, elle maigrit à vue d’œil, se laisse bercer par les bras d'un démon, même le soleil de salva ne peut rien faire face à ce genre de douleur. ce soir il erre dans les rues du queens, comme tous les autres soirs. lui aussi il traque un fantôme, une trace qui viendrait lui montrer que ses doutes ne sont pas si fondés que ça. il n'est pas naïf pourtant, alors il laisse les pensées s'évaporer au fil de ses pas. bientôt c'est la gare qui se dessine sous ses yeux brillants, les destinations affichées en lettres lumineuses comme autant de possibilité de fuite. c'est peut-être la solution, sauter dans le premier train pour refaire sa vie ailleurs, loin des rues gorgées des souvenirs de trois enfants heureux, avant le drame. il s'avance sans réfléchir l'hispanique, dicté par son instinct qui lui permet de rejoindre les quais, les bancs où s'entassent les gens pour attendre le retour d'un amour, le départ d'un enfant pour de nouveaux horizons. et au loin, une silhouette plus fine qu'il ne connait que trop bien. la silhouette laisse sa place à un visage creusé, des yeux rougis par des larmes passées et les mains qui tremblent trop pour que ce soit les angoisses. les sourcils de salva se froncent au fur et à mesure qu'il s'approche, qu'il comprend le réel état de celle qu'il considère comme sa soeur. « tony, qu'est-ce que tu as fait ? » qu'est-ce qu'elle a fait de son corps autrefois dansant, qu'est-ce qu'elle a fait de la mémoire de rico écrabouillée dans une prise de drogue évidente. c'est juste un murmure qui file alors que le brun prend simplement place à ses côtés, sans la toucher ni prononcer d'autres mots. il a peur de la briser encore plus, peur qu'elle éclate définitivement en des éclats de verres tranchants.

(57 jours depuis la disparition), Cinquante sept jours. Cinquante sept putains de jour. presque deux mois. Deux mois entiers sans entendre le son de sa voix, sans voir la forme de son visage, ses traits si familiers. deux mois sans savoir où il est, s’il va bien, s’il est encore en vie, deux longs mois à imaginer le pire, des visions de son corps dans un ravin, démembré au fond d’un trou, ou qu’importe. Tu’as de plus en plus des questions, de moins en moins de certitudes, et des angoisses bien trop oppressantes. et pourtant t’a tout essayé tony, tout, absolument tout, et à chaque fois tu te heurtes au silence glaçant des membres de ta famille. ceux que tu pensais connaitre par cœur, ceux pour qui tu’avais une confiance infinie.

que reste t-il aujourd’hui de tout ça ? rien.
rien que des silences
rien que des absences
et toi, seule, au milieu de tout ça

tu ne t'es jamais sentie aussi seule depuis ces deux derniers mois, comme abandonné, pas seulement par leur présence qui t’est devenue insupportable, mais aussi dans l’esprit, dans le cœur. une solitude que tu as surement créé-toi même, en t’éloignant de plus en plus, en fuyant ce foyer où tu échoues encore parfois le soi, seulement pour dormir. tu t’es enfui, petit à petit, passant la plupart de tes journées à le chercher, errant dans les rues à traquer une ombre qui n’est peut-être même plus sur terre. il est surement mort tony, et au fond de toi, tu le sais. il y a cet instinct qui te le répète, tous les matins, tous les soirs, toute la journée. s’il n’est pas réapparu, s’il n’a pas donné signe de vie, c’est qu’il est mort. c’est certain. tu t’es éloigné volontairement, pour ne pas leurs faire de mal, pour ne pas avoir à leur dire que tu vas mal, que tu ne dors plus. des nuits et des nuits, des semaines sans sommeil, des courtes pauses entrecoupées de cauchemars. tu ne voulais pas leurs dires que tes nuits sont longues, que seule la seringue entre tes phalanges ont réussi à te calmer, à te faire dormir quelques heures. T’as pensé à maman, t’as pensé à ce qu’elle dirait, à la douleur dans son coeur. et t’a pensé aux autres, Lola, Salva. Salva. qui apparaît à quelques centimètres de toi. tu soupires, ramène tes genoux contre ta poitrine, mal assise sur les sièges en plastique de la gare.

et s’il apparaissait là, descendant d’un train, le sourire aux lèvres, comme s’il n’était jamais partis.

il s’inquiète Salva, tu l’entends dans sa voix, dans ses reproches qu’il ne prononce pas. il te demande ce que t’as faits. il sait. tu hausse les épaules, une inspiration. “J'vois pas de quoi tu parles”, pourtant tu le sais toi aussi, tes mains qui tremblent un peu, tes paupières qui se ferment doucement, et même toi, juste ta présence ici, au milieu de la gare vide, des allers et venue des voyageurs nocturnes. “pourquoi t’es la Salva ?”, t’as un rictus mauvais qui déforme tes lèvres, te tourne vers lui, “toi aussi t’attend qu’il revienne ?” et pourtant, t’en est certain, lui aussi sait qu’il est mort.