(MJÖLNIR) Un verre et un dé.

« Enivrante ivresse,
voleuse tendresse »

Tu décroches de ton papier, les yeux qui viennent s’planter dans le ciel quand tu bois les dernières goutes de ta douce addiction. Tu lèves l’index, sans même un regard vers le barman, ton crayon qui rature déjà le papier quand les idées par millier viennent se fracasser sur tes ongles, un bordel sans cohérence, la logique d’un alcoolique qui s’échoue en coups de crayon, et dans ton monde t’as cette impression d’être un génie qui a trouvé la solution. Tu te sens un peu comme ces poètes drogués qui venaient raturer des mots incompréhensibles juste pour cette envie soudaine de se fatiguer le poignet pour quelque chose, quelque chose que tu juges bon d’écrire sur le coup. Ce quelque chose qu’on qualifiera de nouveau, destruction de codes, en réalité c’est juste toi, un peu trop bourré, qui trouve ça beau alors que t’as la calligraphie pas droite, et que c'est peut-être juste ce décor qui te donne l'air intellectuel, le quartier en lui-même où les oeuvres se font la guerre. Le barman te sert le même verre que tout à l’heure, tu souris un peu trop, tu lui dis « merci » et tu l’apportes déjà à tes lèvres demandeuses le verre, tu ne sais plus son numéro. Tu t’étais dit « deux verres, pas plus », c’est certainement le cinquième deuxième verre. Et tu relèves encore la tête vers cette gauche où tu entends un pauvre gars venir draguer une belle, qui se fait recaler, poussé vers l’arrière, et elle semble même désolée de le trouver si pathétique ce gars-là. Tu ris légèrement jusqu’à que tes yeux croisent celui de ton serviteur qui te jauge depuis tout à l’heure pour savoir si tu tiendras un autre verre, pour savoir s’il doit te dire de dégager ou si tu peux encore lui payer son salaire. Alors tu prends un air sérieux. J’suis pas bourré ! alors que t'as les expressions exagérées.

Un coup de tête en arrière, le liquide dans la gorge, une grimace le temps d’avaler, le temps d’assimiler et t’es reparti dans ta frénésie poétique, à écrire tous les mots de la langue pour ne rien dire. Mais t’es bien ce soir. Et tu trouves ça si exceptionnel, qu’il faut que tu le marques quelque part. « Tempête heureuse qu’avale les villes malheureuses », métaphore de merde et rimes faciles, t’as la cervelle en plein voyage dans le ciel, tu te sens un peu gamin, un peu connerie, et t’as même cette jambe qui bouge comme une envie de pisser alors que tu veux peut-être juste courir, shooter dans un ballon, crier en pleine nuit parce qu’il aurait fini dans une poubelle. Et puis alors que tu as le dos tout avachi, le nez prêt du crayon, les yeux qui louchent et la mine concentrée, y’a un dé qui finit sur ta feuille et t’as le cerveau qui bug. Tu clignes des yeux, tu le prends entre tes doigts. Un dé ? Pourquoi un dé ? Tu lèves le nez à la recherche du magicien qu’est passé par là, à moins qu’il soit tombé du plafond, d’un monde parallèle. Et puis tu croises un regard qui t’observe, alors tu l’observes aussi. Duel de regards que tu mènes avant que ton cerveau face le rapprochement. « C’est à toi ? » J’peux joueeeeer ?