seduce and destroy (angel)

planter dans le hall d’entrée,
le soupire au bout des lèvres,
branles bas de combat chez les Bentley

tu les observes, s’agitant sous tes yeux, allant et venant, tantôt les mains pleines, tantôt des pas pressés, des petits tapotements sur le marbre de l’entrée. on installe une affiche, là, juste à coté de la console en fer forgé. des gamins, cinq, dix, douze ans, la plupart venant d’Asie ou d’Afrique. “l’école pour tous”, le sourire de ton père figé en gros plan, une poignée de main l’érigeant au rang de bienfaiteurs des gamins délaissés, des gamins du tiers monde. tu ricanes, un rictus mauvais qui déforme tes lippes. tu ricanes parce que tu sais. toi tu sais comment il est, ton père. et toute cette mascarade te fait rire. Énormément.

mère apparaît. affolé. une bise sur ta joue, elle te raconte déjà ses déboires avec le jardinier. faut dire qu’il a taillé les rosiers en boule, alors qu’elle les voulait en cubes. elle n’ose pas imaginer la réaction de ton paternel. et qu’est-ce qu'elle peut bien faire elle ? le virer ? ça lui fend le cœur, pourtant l’idée la travaille depuis déjà deux heures. ta mère à une vie compliquée, des soucis lunaires, donne des proportions à des problèmes qui ne devrait même pas exister. tu ne dit rien, acquiesce seulement. elle peut bien virer le jardinier, ou pleurer devant ton père, tu te contrefous de ses rosiers mal taillés. un soupire et elle retrouve son calme, pose enfin ses yeux sur toi, t’observe comme si tu’étais encore qu’un gamin de huit ans, qui de semaines en semaine grandit trop vite. elle attrape tes mains, tes doigts qu’elle serre dans les siennes. “tu es prêt pour ce soir ?”, elle parle du piano, du morceau que l’a ton demandé de jouer, des notes apprise par cœur. tu sais que m'man attend ce moment avec impatience, qu’elle a toujours aimé te voir assis derrière les noirs et les blanches, virtuose selon elle. une main sur son épaule et tu lui offres un sourire complice, “oui ne t’en fait pas”, tu déposes à ton tour une bise sur sa joue, avant de la contourner pour emprunter le grand escalier. “ ne soit pas en retard !”, l’ordre claque, une nouvelle fois. des paroles que tu ne connais trop bien pas. ne pas être en retard, ne pas oublier, être prêt, faire ce qu’on te dit.

À l’étage tu retrouves ta chambre, celle qui a vu grandir le gosse que tu étais, celle qui, après bien des années serais resté intact. tu trouves toujours ça stupide de l’appeler ta chambre, maintenant que tu ne vis plus ici. mais mère a tenu à la garder, au cas où au cas où elle aurait besoin de te faire revenir pour garder un œil sur toi. la chambre s’est vu vider de la plupart de tes affaires personnel, de vieux cahiers d’école, de vêtements trop petits. épuré, un bureau dans un coin, un lit dans l’autre, un dressing presque vide pour fermer le tout. terrain neutre, ce jour la tu profites de l’agitation qui règne dans la maison pour le faire venir jusqu’à toi, Angel. vous avez à parler, à conclure, à discuter. programmer vos prochaines actions, faire le point sur ce mariage qui vient d’avoir lieu. malheureux contre temps dans un plan machiavélique.

tu t’enfuis volontairement du capharnaüm ambiant qui règne en maître dans ta maison d’enfance. bien trop habitué aux ballets de personnel, des chauffeurs devant l’entrée, des cuisiniers aux fourneaux, des femmes de ménage pour traquer la moindre petite poussière.

parce que tout doit être parfait River,

Voilà ce que mère pourrait te répondre si tu osais encore poser la question. l’angoisse d’être jugé par ces gens qui font soi-disant partie du même monde que vous, l’angoisse de ne pas être assez bien, de ne pas envoyer des paillettes dans les yeux de chaque invité. et ta mère n’accepterait pas cela. plus en tout cas, plus après la catastrophe de halloween il y a trois ans. tu te souviens de son état, de la crise de nerfs qui fleurissait sous sa jolie tête brune, des mains tremblantes a l’idée de ne pas avoir le costume qu’elle avait demandé, les bouquets qu’elle avait commandé, et les citrouilles tailler comme dans son imagination. parce que dans la tête de ta mère, tout à une place, chaque chose à chaque moment de la vie doit être parfaitement à la bonne place. alors tu n’imagines pas son état si elle savait ce qui se trame sous ta crinière noire, sous tes yeux tout aussi sombres.

tu t’éclipses, préférant éviter qu’on te mette à contribution ce soir, qu’on te demande un discours que l’on aura écrit à l’avance et que tu n’auras plus qu'à réciter, qu’on te demande de raconter une histoire drôle, une anecdote, quelques choses prouvant ta réussite. parce que oui River, la plus grande fierté de tes parents, c’est toi.

tu redécouvres la chambre ou tu as grandi, défait de tous ses artifices, épuré, chambre musée conservée au cas où il faudrait faire un reportage sur le gosse que tu as été, -comme si ça pouvait intéresser la moindre personne-. tu te laisses tomber sur le fauteuil devant le bureau, tournant sur toi-même, découvrant bientôt la silhouette de ton complice traversant la pièce, tombant en face de toi. il se plaint, grogne de voir bien trop de photo de leurs amours réciproque, ça te fait ricaner. tu l’aime bien Angel, pour sa façon de penser, pour son désir de mettre le feu et de contempler son oeuvre. il te ressemble, et c’est bien la première fois que tu te sens aussi proche de quelqu’un. “il faut savoir s’armer de patience…”, tu te redresses un peu, les mains jointes, “je ne crois pas qu’il soit trop tard pour faire annuler le mariage”, t’inspire, des idées plein la tête, des images révélées, des photos compromettantes pour l’un comme pour l’autre, des preuves qu’ils ne pourraient pas contredire, qu’il ne pourrait justifier. “ce serait encore plus grand de les voir se séparer maintenant, avec perte et fracas”, évidemment, que ça fasse le plus de bruit possible, grand éclat, un des journaux people.