«Elle aurait aimé ça, rencontrer un homme qui lui donne envie de croquer les nuages. Un type romantique, avec une longue écharpe bleue, qui l'aurait mangée des yeux et aurait chassé les poussières grises du quotidien.» nadine monfils
Encore une de ces journées où t'as du mal à trouver la force de sortir du lit. Pourtant, Nicholas qui t'attends pour que tu viennes récupérer les clichés de votre dernière séance. Tu dois accompagner Sally chez son doc parce qu't'as dis qu'tu serais là pour elle comme les soeurs que vous vous êtes jurées d'être, main dans la main jusqu'à la toute fin. T'as envie de disparaître aussi, t'aimerais que ce soit toi la cancéreuse que ce soit ton temps qui soit compter tu le mériterai bien plus qu'Hachiko. Et pourtant, tu dois te contenter d'être là, d'observer son jeune corps se faner pour mourir bien avant le tiens.
Et bordel que ça te paraît insurmontable. T'imagines pas le jour où elle viendra à s'éteindre, à disparaître à bien des lieues de toi. A peine tes paupières ouvertes, tu sens ce sentiment d'anxiété assaillir ta poitrine. Elle te sera ôtée, combien même tu te bats, combien même tu resteras présente pour elle. Tu t'raseras les cheveux pour lui faire une perruque s'il le faut, ça s'ra l'occasion de tatouer ton crâne, elle qui ne peut s'empêcher de t'imaginer recouverte d'encre des pieds à la tête. Ta poitrine te semble étonnamment lourde aujourd'hui encore. Mais tu dois être forte, tu dois prendre sur toi. C'est à toi d'être l'épaule dont elle a besoin, pas inversement. Alors tu te relèves, difficilement laissant les draps glisser contre ton épiderme tatoué. Tu passes l'une de tes mains dans tes longs cheveux de jais emmêlés pour les rabattre contre ton cou entièrement encré et tes pieds trouvent le sol. C'est dans un élan de j'y vais, sinon j'y vais pas, que tu t'arraches à ton lit pour gagner ta cabine de douche et commencer cette journée sous l'eau chaude bien moins hostile que ce réveil compliqué. Tes membres raides et fatigués par tes nuits agitées viennent peu à peu se décontracter d'une façon agréable au fur et à mesure que les gouttes de pluie viennent couvrir ta carcasse agonisante de tes larmes tièdes tombant de ta pomme de douche.
Tu trouves le courage de t'habiller, de rejoindre Hachiko avec le plus grand des sourires. Tu t'demandes comment la nature peut lui infliger ça à elle, astre solaire réchauffant ta vie de sa bonne humeur. C'est à ton tour d'avoir les épaules, à ton tour de retenir les larmes lorsqu'elle viendra s'échouer contre ton épaule. Tu lui amènes son café préféré avec son prénom signé sur le gobelet en carton, vient déposer un baiser bienveillant sur son front. Vous riez, elle vient à te parler de ces choses, qu'elle aimerait faire avant de ne plus en être capable. T'as du mal, à lui laisser dire certains mots sans la foudroyer de ton regard blessé. Car c'est aussi cruel pour celui qui s'en va autant que pour celui qui reste. Vous en êtes toutes les deux bien averties, en colère contre le destin venant vous dérober les années que vous pensiez avoir à venir. Huit ans, c'est bien trop peu. Tu voulais passer le reste de ta vie auprès d'Hachi, la voir devenir une femme merveilleuse, l'accompagner à l'autel le jour de son mariage montrant les dents à quiconque pourrait essayer de t'en dissuader. T'aurais été la marraine de ses enfants, les aimant comme s'ils avaient été les tiens. Mais non, rien de tout ça. Juste la plus belle des fleurs qui s'en vient à s'éteindre après avoir lutté contre les saisons.
Tu déposes un bref baiser sur ses lèvres lorsque tu la quittes. Ca n'a rien de sexuel, votre relation étant purement platonique. T'as ce besoin cependant de lui montrer ton affection, toujours plus fort, allant toujours plus loin. Si t'avais été un homme Nana, nous aurions pu être ensemble. Et t'aurais été l'homme parfait pour elle, prenant soin de sa personne comme personne. Mais tu te retrouves bloquée dans ta peau trop étroite, incapable de lui donner autant que ce que tu aimerais le faire. Alors chaque jour qui passe, tu t'évertues à devenir quelqu'un de meilleur. Moins amer, avec plus de bienveillance. Juste pour son beau sourire.
La journée a déjà bien avancé lorsque tu gagnes les quatre murs du studio de Nicholas. T'es légèrement en retard, et tu sais pertinemment que ça ne manquera pas d'l'emmerder. Tu t'feras pardonner d'bien d'autres façons s'il y tient. Lorsque son regard accusateur s'porte sur toi qui vient le déranger en pleine séance, tu ne peux t'empêcher de t'incliner à la japonaise tout en te molestant verbalement. T'lui as expliqué, pourquoi t'étais pas dedans ces derniers temps. Pourquoi t'avais l'impression qu'ta vie était un putain d'cauchemar. Il s'est contenté d'te dire que pour une japonaise, t'avais un sacré caractère de merde. Vous vous êtes mis à rire et t'as pu récupérer les derniers clichés prit lors de votre précédente séance. Tu bosses depuis un moment avec Nich, posant uniquement sous son objectif pour ton plaisir personnel. Les clichés, il peut en faire ce qu'il veut. Tout ceci n'est qu'un loisir, une passion, un moyen d'extérioriser. Aucunement un moyen de gagner ta vie, ni de te faire de l'argent.
T'es lessivée, lorsque tu regagnes les ruelles des baies menant jusqu'à ton appartement. La tête bien trop occupée, tu sors ton portable pour joindre Levi. gomen'nasai. tu veux pas qu'il t'en veuille toi. et puis, pourquoi il s'éloigne? pourquoi c'lui qui répond plus à tes messages? pourquoi lors des soirées son regard ne se pose qu'à peine sur toi? il le sait, que ça te fais bouillonner. qu't'aimes pas ça. tes mains filent à toute allure sur ton écran pour lui envoyer un bref message d'excuses. tu t'excuses mais t'sais pas vraiment d'quoi nana. parce que t'assumeras pas d'avoir été une peau de vache avec lui, parce que t'assumeras pas être la raison d'sa fuite. T'arrives devant le bâtiment où t'as pu t'offrir un petit chez toi douillet. Tu grimpes deux par deux les marches menant à ton appartement, une pochette remplie des clichés de ta dernière séance photo avec ton photographe que tu viens d'aller chercher maintenue sous ton bras. T'arrives sur ton palier, y'a un mec que tu connais pas. relativement grand, la silhouette élancée. barbe brune et recouvert de tatouages. T'es trop énervée par Lev' te tapant un énième "vu" qu'tu réponds même pas à la salutation de l'inconnu patientant sagement sur le seuil des portes qu'on daigne lui ouvrir. Tu t'contentes de grogner entre tes dents, fouillant dans ton sac à dos que tu fais glisser de ton dos à ton ventre en un coup d'épaule, à la recherche de tes clefs tout en essayant de jongler avec tout c'que tu peux avoir en mains. p'tain elles sont passées où encore?!
Tu perds patiencee, excédée par cette journée merdique au possible. Des fois, t'aimerais t'endormir et t'réveiller l'année suivante pour mieux pouvoir fuir tes petits soucis. Tu trouves pas tes clefs, et tu continues de jurer. chikushô! L'enveloppe sous ton bras vient à tomber au sol surement sous l'regard amusé du tatoué que tu t'es contentée d'ignorer jusqu'ici. Tu laisses tout ce que tu as dans les mains chuter par terre pour tenter de récupérer tes photos fraîchement imprimées et sur lesquelles t'apparais clairement dénudée. A cet instant précis, si tu pouvais disparaître d'la surface de la terre, ça t'aurais énormément arranger.