élévation (viggo)

l'été d'abandon. la sécheresse sentimentale. les brûlures psychologiques. la mortification cérébrale. l'insolation psychique. l'irradiation intérieure. la déréliction s'est intimé en elle sans règlement - parce qu'il n'y avait plus un encéphale pour gueuler à l'autorité, plus un génie pour feinter la fatalité et plus une âme pour luire. il fait si austère en son cœur que ses palpitations n'y ont plus frémi depuis une éternité. la désertion des autres a chagriné son impétuosité intemporelle, soulevant des vagues sur une terre qu'on ne pensait qu'immuablement aride. elle s'est longtemps laissée meurtrir, déplombée par l'essence de ses amours. et puis, a décidé que sa soudure ne dépendrait plus de personne. à présent, son soufre parfumera chaque présence qu'elle côtoiera, ses fils d'amiante ne protégeront plus quiconque et son oxyde écotoxique fera violence à qui se prendra pour un alchimiste. les nuits chaudes ont étouffé ses aspirations à aimer, les zones ombragées ont enténébré ses enfers solaires et la moisson a cueilli ses propres résidus afin de la reconstruire, encore. elle renaît de ses cendres, bien moins méticuleusement que le phénix, mais de façon tout autant spectaculaire. l'organisme entier est retourné, chaque tissu s'est déchiré, la dissection a creusé des précipices sous sa peau. le système nerveux est affecté, les cellules sont bordéliques, l'esprit d'avantage dérangé. les os ne sont plus si solides, les sensations de moins en moins palpables. mais sa chirurgie plastique reste inchangée. eden renaît, et cette fois-ci plus belle que jamais.

humanoïde impénétrable, elle vagabonde dans les rues propres du queens (les sales n'ont plus lieu d'être redécouvertes, sans un fantôme à ses côtés). les clients bourdonnent à la sortie des boîtes de nuit, ils chinent auprès des videurs, pensant sérieusement à ce qu'ils puissent leur donner un laisser-passer pour retourner à l'intérieur du club, pendant que les employés se pressent à faire leur ménage. les filles font les yeux doux, les hommes jouent de leurs répertoires, les mineurs sanglotent comme s'ils s'apprêtaient à être punis de sortie par leur parents et qu'il s'agirait donc de leur dernière virée en ville. eden détone au milieu de tout ce beau monde qui flirte avec le monde du dessous, qu'elle connaît déjà malheureusement dans les moindres recoins. ses talons continuent de perforer le bitume, de façon plus ou moins symétrique, parce qu'elle marche plus ou moins droit. personne n'est assez sobre pour guetter l'imperfection de sa trajectoire. elle avance, avance, avance. sait où elle va. il y a le visage de viggo qui ne la quitte plus depuis qu'elle a trop bu.

« vig ! » sa main s'acharne contre le bois de la porte. elle tape fort. un, deux, trois. pendant que son majeur gauche s'entête à torturer la sonnette. « et oh, vig ! ouvre-moi putain ! » elle cogne à nouveau. plus fort. elle réveillera le quartier s'il le faut. elle attendra sur le pallier toute la matinée. parce que bientôt, le soleil se lèvera. mais quand le monde l'abandonne, eden sait que viggo est là.

encore une nuit dionysiaque. l'effervescence s'éprend de son être de toutes parts, manipulant des sourires conquérants au cœur des liesses rurales. il macère en elle la volupté éthylique, une veine scindée par la vodka - l'autre par la morphine. la distillerie enfle ses ardeurs, crevant la tangibilité terrienne de son orgie qui marie fougue et frénésie. l'arôme onirique est tel qu'eden s'en satisferait en tant qu'ultime parfum. elle respire, riant des billes. elle aime. parce qu'il n'y a qu’enivrée dans cette griserie qu'elle parvient à colorier la nuit.

« vivi ! allez ! » qu'elle geint dans la serrure. viens m'ouvrir viggo. viens m'aimer et panser mes maux. quand la porte s'ouvre aussi brusquement, la danseuse se redresse sur l'instant. les yeux ronds. la moue mimée sur les lippes. il ne lui faut pas plus d'une seconde pour étreindre ses pupilles des siennes. elle l'embrasse du regard, eden, de l'absolu de son âme. et il sourit. elle le fait aussi. le silence est d'or à leurs retrouvailles pénétrantes - révélant la magie de leur relation ésotérique. et puis les mots viennent lover le soupirail. « content de savoir que tu es en vie » ses joues se creusent pour lui imager des fossettes candides au visage, tandis qu'elle s'avance dans l'appartement pleine de confiance. « tu sais bien que j'suis immortelle. » j'aurais voulu mourir quinze fois, tu sais. mais ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier, alors, rassure-toi, mon échéance est encore longue.

en entrant, elle caresse psychologiquement tous ces souvenirs qui ont vieilli sur les meubles. le tapis encore calciné par les braises d'un charbon à chicha oublié - qui suffit à faire revivre leurs nuits blanches. cette même console de jeux poussiéreuse. rien n'a changé. les fringues débordent d'une chaise en bois, les couvertures sont battues sur le canapé, le cendrier qui traîne sur la table basse est à moitié vidé. et au cœur du bordel, il y a la montre de viggo. qu'il assoit toujours sur une planche en rentrant. comme si la notion du temps pouvait l'aider à discipliner sa vie d'adulescent. elle ne se rappelle plus vraiment, eden. il y a ces trois grammes d'éthanol qui persistent à lui bouffer le crâne. elle sait juste, qu'elle est en sécurité. que chez viggo, c'est un peu comme si c'était chez elle aussi. il le lui prouve d'un baiser tendrement posé sur la joue. d'une épaule sensiblement étreinte. et ça fait du bien. « je trouve ça flatteur que je sois la personne que tu viennes voir dans cet état » qu'il lui souffle - vrai. et malgré sa vision altérée, ses trajectoires occultes approximatives et imprécises, elle lui sourit des yeux. sémillante d'amour et d'alcool. vacillante, elle flotte jusqu'au canapé pour s'y installer. retire ses talons. relève tous ses cheveux pour les attacher dans un chignon bâclé. des mèches fauves baladeuses lui courent au visage. « tu as fais une connerie ? » elle rit dans deux longs soupirs. « non. » elle rétorque sans attendre. et puis, elle ouvre son sac à main. « pas encore. » provoque-t-elle dans un sourire mutin, attisant l'attention de vig sur le sachet de poudre qu'elle agite entre ses doigts. allez bébé, tu vas bien m'accompagner.

un verre d'eau et de l'aspirine posés à deux mètres d'elle. ni l'un, ni l'autre ne lui obtiennent un semblant de sollicitude. concentrée dans la découpe de cocaïne, elle trace des lignes sur la coque de son téléphone endormi en mode avion. « tu veux que j'appelle ta moitié pour qu'il vienne te chercher ? » ses sourcils se froissent. il y a des portraits vertigineux qui lui assaillent la mémoire. le souvenir d'sa dernière nuit avec kaz. les renvois d'antan qui enferment ismaël dans un uniforme orange et derrière les barreaux. « d'qu'elle moitié tu m'parles ? » elle maronne, lui tendant une paille en papier journal tout juste fabriquée. « c'toi, ma moitié. » rajoute-t-elle, dans un nouveau petit sourire facétieux. elle sniffe sa conso et déplace l'écran vers lui - avant de se lever, retirer sa robe et se couvrir d'un plaid par-dessus ses sous-vêtements. assise en tailleur, elle s'allume une clope dans la foulée. l'éternelle droguée. après une taffe ou deux, elle parle enfin. « il est revenu. il s'est barré trois mois, j'ai cru qu'il était mort dans un caniveau, qu'il avait été bouffé par des bêtes plus sauvages qu'lui. mais il est revenu putain. il est encore en vie. » elle crache sa fumée, les paupières lourdes, l'âme endeuillée. la souffrance, elle se lit sur son être. « faut qu'tu l'fasses avec moi vig. » douce, alors que ses prunelles se fondent dans celles de son ami. faut qu'tu l'tues avec moi vig. déconne pas.