bad decisions that we made (jabez)

Faut qu'on s'voit.
Rien que ça, après près de quatre ans de silence. Pas que tu tiennes particulièrement à te montrer mystérieuse, c'est pas le moment de jouer, t'en as ni le temps ni l'envie, fatiguée comme tu es, lasse comme tu es, triste comme tu es, mais tout déballer par message t'a paru largement pire. Pour une fois, t'as pris ton courage à deux mains, après négociations, lui assurant n'être définitivement pas amoureuse de lui et que, si ça ne tenait qu'à toi, tu le contacterais pas, t'es parvenue à lui donner rendez-vous. T'as choisi un bar, tu t'es dit qu'en pleine journée ce serait relativement vide, que tu pourrais parler, qu'il pourrait t'écouter. Qu'au pire, s'il crisait, on le foutrait dehors et t'aurais qu'à attendre qu'il se calme. T'as pris tes précautions, en quelques sortes, parce que t'as bien conscience que ton annonce fera l'effet d'une bombe, qu'il est pas prêt Jabez, et toi non plus d'ailleurs. Quatre ans, et pas une fois tu n'as envisagé de lui en parler, t'as attendu d'être véritablement dans la merde, qu'on te prenne ton fils. Votre fils, mais tu n'as jamais véritablement vu les choses comme ça, pour toi t'étais seule dès le départ, et cela te convenait très bien. Mais, une fois de plus, tu t'en es pas sortie, c'est parti en vrille, et t'as besoin d'une assistance que t'aurais jamais cru demander. Parce qu'évidemment, si tu le préviens, le géniteur, c'est pas pour rien, par remord ou pour bien faire, non c'est que t'as besoin de lui, simplement, qu'il se pointe et qu'il récupère Joshua avec toi, puis il pourra repartir d'où il vient, t'en as rien à faire. Tu le harcèleras, si nécessaire, tu le supplieras, t'as plus de fierté, tu ferais n'importe quoi pour qu'on t'octroie le droit de ramener ton bébé à la maison, pour respirer à nouveau, que ton cœur enflé de chagrin batte moins douloureusement.
La silhouette du zombie se dessine dans l'encadrement de la porte, à laquelle tu fais face, et t'as un geste de la main pour qu'il te remarque, dans ton coin, deux bouteilles sur la table devant toi. Ta gorge se serre au rythme de ses pas, trop rapides, enjambées si larges qu'il est face à toi en une fraction de seconde. T'es pas prête, Eka, la panique agrippe tes tripes, ton cœur tambourine jusqu'à t'assourdir, tu soutiens difficilement son regard. « J't'ai pris une bière, ça fait généralement l'unanimité. » T'es pas vraiment inquiète, quant à ses goûts, qu'il boive ou non sa bière t'importe peu, mais tu fais ce que tu peux pour cacher la nervosité concernant le sujet qui ne saurait tarder. T'as eu peur qu'il le mette directement sur la table, alors t'as pris les devants, même si t'es supposée être prête depuis des jours, ton discours en tête, répété et re-répété, pour pas te dégonfler le moment venu – raté. T'as beau avoir l'objectif bien en tête, ainsi que terriblement hâte de retrouver ton enfant, tu faiblis, systématiquement. Hier encore, t'avais le nez collé dans la poudreuse, pour oublier, et au réveil t'as réalisé que tu faisais que t'éloigner du but, t'éloigner de Josh. T'as serré les dents, avalé la fierté, retrouvé le numéro de Jab et t'es là, maintenant, prise au piège – fallait bien ça, pour te faire parler.

@jabez krief

faut qu'on s'voit.
un message tout droit venu du passé, trois lettres pour un prénom qu'il pensait avoir oublié depuis tout ce temps. c'est un fantôme, une illusion, il n'y a pas d'autres choix. des heures que les pupilles sombres fixent ce message qui vient le baffer avant même de connaitre la raison du rendez-vous imposé. il se souvient d'elle, de sa fierté démesurée mais aussi de son rôle de prostituée pour tenter de sortir la tête de l'eau, éviter la noyade fatale. il se souvient de cette unique nuit passée ensemble, des souffles qui se perdent l'un contre l'autre pour oublier deux existences trop monotones. il se souvient de tout, même de sa fuite au petit matin, lui le garde du corps de ces dames. après ça, quatre années de silence radio, il n'avait aucune raison de la recontacter. elle a fait sa vie, lui la sienne, c'est très bien comme ça. pourtant il y a ce message qui vient tout réveiller, celui qui bouscule les questions dans son crâne encré. il y a quelque chose qui se passe, ce n'est pas rien. tant pis s'il doit se confronter au monde extérieur pour une fois, il a besoin de savoir pour assouvir sa curiosité malsaine. savoir ce qu'il se trame dans l'esprit d'une prostituée de passage. c'est l'unique raison qui le pousse à sortir de son appartement qui menace de tomber en ruines pour arpenter les rues du queens. ce soir la bête refait son grand retour, les yeux fixent le sol alors que son pas accélère toujours un peu plus, tant pis s'il bouscule de pauvres passants innocents. l'impatience le rend grincheux, incapable d'articuler deux mots à la suite sans que l'agressivité ne vienne prendre le dessus alors autant ne rien dire, sa petite voix lui susurre que sa salive sera bien assez utilisée un peu plus tard dans la soirée. le bar bondé se dessine vite au fond de la rue, ce genre de pub irlandais qu'il fuit comme la peste en temps normal. trop de bruit, trop de monde, trop de potentiels dangers quand il se retrouve au milieu de la foule, prêt à dégainer ses poings pour une phrase mal placée. il n'est pas à l'aise dans cette société jabez alors il espère que le suspens sera vite envolé pour qu'il puisse retourner à ses activités nocturnes. après quatre années elle est toujours là, attablée dans le coin le plus calme du bar, un geste de la main pour attirer son attention. mais dès son entrée dans le bar il n'a remarqué que ça, il ne souhaite voir qu'elle pour en finir avec ces non-dits insoutenables. sa démarche est toujours aussi pressée quand il vient s'installer en face d'eka sans un sourire ni même un bonjour. d'aussi loin qu'il se souvienne, les formalités polies n'ont jamais eu leur place entre eux. il vient faire couler le liquide ambré dans sa gorge pour la réchauffer, lui donner l'impulsion nécessaire pour entamer une discussion dont il ne connait pas le but. « tu voulais me voir ? » il prie intérieurement pour que ce supplice se termine vite. il est trop sensible pour supporter la tension qui vient déjà serrer ses doigts autour du verre dans lequel il retrempe ses lèvres tatouées. son regard ne décroche pas de celui de la blonde comme un professeur qui attend sévèrement des explications de son meilleur élève. il faut qu'elle parle, avant qu'il décide de tout envoyer en l'air.