insomnie (billie)

Un mois s'est écoulé depuis l'accident. La petite stella était contente d'être sortie de l'hôpital, mais qu'on le veuille ou non, un tel événement laisse des séquelles. Il faisait soleil, beau et chaud à sa sortie. Heureusement, car désormais, elle craignait le noir. L'obscurité qui cache tellement de mystères et d'imprévus n'est plus son alliée. Cette même obscurité qui a commencé à s'immiscer en elle à mesure que sa lumière intérieure disparaissait. Depuis, on ne la surprend plus à flâner dans les rues tard le soir, on ne la surprend plus à faire la fermeture des bars, à faire les fermetures au starbucks. Elle ne marche plus seule. Dès l'aube, elle se cloître chez elle. Il en faut beaucoup pour qu'elle sorte après vingt heures, même accompagnée. Toujours insécure. Il lui arrive parfois même de faire des cauchemars. Toujours le même, flou, rapide et effrayant. Comme si son subconscient lui envoyait un message.

Une fois dans la rue, attendant le taxi devant l'hôpital, elle ne s'était pas sentie la force de rentrer chez elle. Elle n'était pas prête. Pas prête à affronter le vide et le silence de son studio, bien que ce fut un endroit où elle s'était toujours sentie bien. En fouillant, dans son portefeuille pour voir combien de liquide elle avait en sa possession pour payer sa course, elle était tombée sur un bout de papier humide et chiffonné où il était inscrit:"156 hemingway. Billie." Et elle s'était rendue à cette adresse, empressée d'être en présence familière.

Cette nuit, comme trop souvent depuis son arrivée, stella s'était réveillée trempée, perdue et tremblante. Elle se lève avec peine et suit le carrelage froid qui la mène vers sa source de répit quotidienne. "Billie, tu dors ?" Elle l'entend marmonner, signe qu'elle l'a entendue. C'est le signal pour que stella se glisse sous les couvertures près de son amie. Elle n'a rien besoin de dire de plus. L'histoire se répète déjà soirs après soirs.

tu ne penses plus qu’à ça.
le matin en te levant, le soir en te couchant.
au déjeuner, aux goûters, au dîner. Tout le temps, absolument tout le temps.

Et qu’est-ce que tu croyais Billie ? que ce serait différent ? qu’il ne hanterait pas tes pensées, qu’il ne hanterait pas ton cœur et ne dirigerait pas toutes tes actions, tout ce que tu fais au quotidien ? c’était faux. et tu dois apprendre à conjuguer avec. de continuer à vivre comme tu le faisais avant, d’accrocher ton éternel sourire, de répondre que tout va bien quand on te le demande. parce que c’est vrai, tout va bien au fond Billie, t’as un toit au-dessus de ta tête, un boulot, des amis, de quoi te nourrir tous les jours. qu’est-ce que tu veux de plus ? Émile. voila tout.

mais depuis un moment il y autre chose pour capturer tes pensées, pour t’occuper ailleurs, te le faire oublier pendant quelques instants. c’est une stella mal en point qui s’est pointé chez toi ce soir là, cognant à la porte pour demander qu’on l’héberge. l’accident qui la traumatise, la hante. de vrais démons, bien réel, des monstres sans conscience, laisse un corps étendu au milieu de la route, l’abandonne la. elle aurait pu y rester Stella ce soir là, voir sa vie défilée, la lumière blanche au bout du tunnel, et ne plus jamais reposer pied sur terre. Ça aurait pu être la fin, ta belle stella, ta belle étoile, la voir s’éteindre. la simple idée te retourne le coeur, te le brise, l’écrase. mais bien heureusement stella est là, même si son regard est moins brillant, son esprit moins léger, elle est là, bien vivante, et c’est tout ce qui compte.

ce soir, comme tous les soirs depuis qu’elle habite avec toi, tu délaisses ton lit, te couche à ses pieds, sur un mathe de fortune. peu importe, tu refuses de la laisser dormir au sol, tu refuses qu’elle ne soit pas bien, fait tout ce que tu peux pour qu’elle aille mieux. ce soir-là, t’a ramené des restes du restau, des burritos et des nachos, repas partagé au milieu du salon, des papiers gras éparpillés sur la petite table. le sommeil que tu trouves rapidement, une présence qui se glisse contre toi. tu grognes, dans un mouvement de défense, essaie de remonter la couette sur ton visage. l’esprit encore embrume pour ne pas réaliser que là, contre toi, le petit corps appartient à ton étoile. Stella et ses insomnies, des nuits trop longues, trop noir. sa petite voix qui résonne, te demande si tu dors. plus maintenant. mais tu ne lui en veux pas. tu’ouvre un oeil, passe un bras autour de sa taille pour la tenir contre toi. “T’as encore fait un de ces cauchemars ?”, tu murmures, comme s’il y avait d'autres personnes encore endormies dans l’appartement -hormis Bowie, qui a tout de même ouvert un œil avant de se rendormir à tes pieds-. tu glisses une main dans ses cheveux, lui offre un sourire, “ça va aller…”, promesses futiles, prononcé sans convictions. oui tu feras tout pour que ça aille. mais est-ce que ce sera suffisant ?