rencontre fortuite (suile)

Installée au bar depuis déjà bien trop longtemps, stella profite de la tranquillité du lieu avant l’achalandage du soir pour mettre de l’ordre dans ses idées. Il est encore tôt, son esprit est frais et pas encore trop embrouillé par l’alcool. Elle est perdue au milieu d’un tas de feuilles éparses, dossiers de seconde main qu’elle est en train de monter petit à petit. Plusieurs feuilles sont recouvertes de sa fine écriture, ses mots écrits en vitesse, fouillis abstrait pour être certaine de penser à tout. Ne rien oublier. Mais elle ne sait pas trop par où commencer. D’abord, elle ne connaît pas grand-chose de ses fugitifs, seulement qu’ils étaient quatre. Quatre têtes qu’elle avait aperçu au détour d’une rue, après avoir levé les yeux un bref instant, comme poussée par le destin qui ne voulait pas en rester là. Juste assez longtemps pour voir quatre têtes s’éloigner au loin, faiblement éclairées par le réverbère au coin de la grande artère où le délit a été commis. Depuis ce temps, elle en est comme obsédée. Elle donnerait si cher pour connaître l’identité de ces êtres humains qui semblent n’avoir aucun remord de conscience puisqu’ils n’ont pas pris la peine de s’arrêter, de s’assurer qu’elle allait bien, que son cœur battait toujours. Heureusement pour elle, c’était le cas. Mais malheureusement, aujourd’hui elle était remise sur pieds – physiquement du moins – et elle était plus en forme et déterminée que jamais à les faire payer. Ce côté obsessif et vindicateur lui récemment apparu. Elle n’avait jamais vraiment été comme ça avant, étant plutôt de nature à pardonner et à vouloir la paix dans le monde. Tout rose, tout beau. Maintenant, elle était plus en mode « destruction massive ». Il fallait que justice soit rendue. Stella sait que se faire justice soi-même, ce n’est pas la meilleure chose, car on est trop impliqué émotivement et il est difficile de prendre un pas de recul. D’ailleurs, elle ne serait pas contre un peu d’aide… Toute seule contre quatre personnes n’allait pas être tâche facile. Parfois, la détermination et la volonté ne sont pas suffisantes. Il faut aussi savoir s’y prendre. Et en fait de vengeance, ce n’était pas quelque chose qui lui était très familier. Elle se prend la tête entre les mains et pousse un profond soupire. Elle lève la tête vers le barman en train d’essuyer un verre. « J’vais te prendre un autre gin tonic, s’te plaît ». En espérant que ce petit remontant l’aiderait à y voir plus clair ou à trouver une solution miracle.

Elle regarde l’heure. Vingt-heures. La soirée s’annonce pour être longue… et pénible. Tiraillée entre l’idée réconfortante de boire pour oublier ses problèmes. Mais d’un autre côté, si elle n’a plus les idées claires, elle ne sera pas efficace et son principal désir est d’atteindre son objectif. De tout mettre au point rapidement pour exécuter son plan. Elle hésite, elle pianote sur le comptoir, ne sachant pas par quoi commencer. Tellement de possibilités s’offrent à elle. Être sournoise et s’immiscer dans leur vie subtilement pour les faire imploser de l’intérieur ou une attaque plus directe, plus bestiale avec plus de souffrance et d’émotions vives. Une chose est sûre, elle voulait les faire payer un à un. Pas faire une seule action qui viserait tout le monde en même temps. Ce serait trop facile. Elle jette un œil à ses dossiers, identifiés par 1, 2, 3, 4. Parce que pour l’instant, ils ne sont rien d’autre que de simples numéros pour elle. Elle n’a aucune façon de les identifier. Aucun nom, aucun sexe, aucun âge, aucune piste. Ses talents d’inspectrice ne sont pas encore au point. Mais elle devait se forcer. Pour elle-même, pour se satisfaire et enfin assouvir cette colère qui l’étreint depuis plusieurs semaines. Tellement absorbée par la mission qu’elle s’est donnée, elle ne remarquait pas qu’elle occupait la majorité de l’espace sur le comptoir du bar. N’importe qui aurait pu lire ses notes personnelles… Mais elle était bien trop préoccupée pour s’en formaliser. C’est la soif qui la sortit de ses pensées. Et le besoin d’une boisson quelconque dans l’espoir d’être plus concentrée ou d’avoir une illumination soudaine. Elle ne se posa aucune question en commandant son verre. Même l’idée qu’on pourrait lui demander ses pièces d’identité, puisqu’elle n’avait pas l’âge de boire et qu’elle paraissait assez jeune ne lui traversa pas l’esprit. Elle a juste demandé au barman de lui en servir un autre. De toute façon, il lui en avait donné un, il pouvait bien lui en donner un deuxième. Et ce bar était un des bars qu’elle fréquentait le plus souvent, donc le personnel devait trouver son visage familier et les gens ont dû arrêter de se poser des questions depuis le temps. Elle cala presque d’un trait le verre que le barman déposa devant elle. « Désolé de me mêler de ce qui ne me regarde pas… Mais c’est une sorte d’enquête ça ? » La question qu’il lui pose la prend au dépourvu. Loin d’être insultée par sa curiosité ou le fait qu’il ait probablement lu ses notes, elle était néanmoins étonnée de son audace. « Pas de problème, vous ne m’importunez pas du tout. On peut dire ça comme ça, oui. Enquête amateure, par contre. J’y connais rien, mais j’essaie de me débrouillez comme je peux. » À mesure qu’elle parlait, elle se rendait compte que ça lui faisait du bien de parler de son « projet » à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas et qui ne la connaissait pas non plus. Un avis extérieur et une oreille nouvelle. « Pourquoi ça vous intéresse ? »