(quatorze jours), salva

(quatorze jours), Une nouvelle fois, tu te retrouves planté au milieu de la chambre. La porte soigneusement refermé derrière toi, le soupire au bout des lèvres, tu observes tout autour de toi. Le bureau ou règne un certain désordre, les lits, défais, les quelques affaires qui jonche le sol. Peut-être que tu’es passé à coté de quelques choses, d’un mot, d’une lettre, un rien, un indice qui pourrait te donner une piste, t’assurer qu’il va bien, qu’il est partie “prendre l’air”, suivre une fille, peut-être bien se marier à Vegas… un rien, pas grand-chose, une piste, un espoir de le savoir en sécurité. en vie. tu te tortures l’esprit, t’interdit de penser à ça. Tu le saurais s’il lui était arrivé quelques choses, bien sur que tu le saurais, m'man te l’aurait dit, ou Lola, ou Salva. Évidemment. Mais leurs silences t’angoisse, forme cette boule dans ton estomac qui ne cesse de grossière, de prendre de plus en plus de place jusqu’à t’empêcher de respirer. Alors tu cherches, remue les papiers, retourne les journaux de moto, de voiture, de charme… retourne tout ce qui lui appartiens, t’arrête un moment sur une photo, l’effleure des doigts. tu te souviens de ce jour-là, de cette après-midi au parc, ton grand sourire de gamine sur le visage, tes cheveux trop longs, tes genoux écorché, et son bras autour de tes épaules, le même sourire. il te tient contre lui, son autre main formant un V. tu te souviens de cette journée-là, il faisait beau, chaud, vous aviez passé l’après-midi entière à jouer avec les gosses du quartier, Salva, Lola et les autres. Puis p'pa avait donné quelques pièces à chacun, pas grand-chose, assez pour vous offrir une glace à l’épicerie du coin. T’en avais choisi une à la fraise. Tes préférés.

Tu reposes la photo sur le bureau, t’éloigne dans un soupire, te laisse tomber sur son lit. Qu’est-ce qui cloche ? Qu’est-ce qui manque à ce puzzle que tu ne sais assembler, ce casse-tête que tu ne sais résoudre… Ou est-il ? Ou t’es Rico ? tu sors ton téléphone de ta poche, contrôle tes messages, son activité sur les réseaux sociaux. rien. rien non plus au bout du fil, des sonneries qui ne cesse de te rendre folle, sa voix qui vous dit de laisser un message. tu fermes un peu les yeux, laissant le son traînant de sa voix te bercer. le cœur se serre, fait plus de mal que de bien, torture encore un peu plus l’esprit. tu sursautes en voyant la porte s’ouvrir, pense l’espace d’un instant le voir arriver, t’engueuler pour avoir toucher à ses affaires, être resté dans sa chambre alors qu’il te l’avait formellement interdit. pourtant les trait son différend, ne ressemble en rien à ton frère, mais ne sont pas inconnus pour autant. Salva. tu te lèves, soudainement un peu plus nerveuse. “J'savais pas que tu rentrais, je…” tu cherches une excuse, les bons mots pour justifier ta présence, tu te rend comptes qu’il n’en existe pas. “Je cherchais un truc, un mot, ou je sais pas…”, tu hausse les épaules, un soupire, une main dans ta crinière brune. “Je m’inquiète, il ne donne pas de nouvelles, ça lui ressemble pas…”, et il est bien placé pour le savoir, il le connaît si bien, pour avoir grandi à ses côtés, pour avoir partagé sa vie. il le connaît. alors pourquoi est-ce qu'il ne le cherche pas ?

un jour viendra où il faudra tout lui avouer. même si ça fait mal, même si elle doit pleurer pendant des jours et des nuits. il faudra prendre son courage à deux mains pour lui dire que rico ne reviendra jamais. il est sûrement enterré à la va-vite dans une forêt éloignée de la ville ou jeté dans l'océan pour servir de nourriture aux poissons. il ne sait pas, il ne veut pas savoir salva. il ne veut pas non plus le dire à tony, tout le monde a peur de sa réaction, lui le premier. c'est un piège qui se referme sur eux, les jours passent et l'angoisse de sa réaction augmente, fait battre son coeur un peu plus fort. bientôt, ce sera certainement son rôle de lui expliquer, lui le gamin qui met les deux pieds dans le plat, qui dit les mots maladroits. il a déjà son propre deuil à gérer, celui qu'il s'efforce de cacher du mieux possible. dans un élan de courage soudain, il quitte son propre lit dans l'appartement familial pour rejoindre la chambre de tony. il n'en peut plus de vivre dans le mensonge. il ouvre la porte sans toquer, une mauvaise habitude dont elle a l'habitude. elle est plantée là, sur son lit, dévisageant la photo des deux frangins, prêts à dévorer le monde entier avec leurs sourires. il faut quelques secondes à salva pour reprendre ses esprits, ignorer la gorge qui se serre pour sourire à son tour. « J'savais pas que tu rentrais, je… » il ne lui dira pas ce soir finalement, elle est fébrile, il peut presque imaginer son corps tomber d'une seconde à l'autre. « Je cherchais un truc, un mot, ou je sais pas… » il n'y a rien à trouver, rien qui puisse la rassurer ou la conforter dans ses pensées mensongères. « Tony.. » il avance d'un pas, il ne s'en aperçoit pas mais son regard fuit celui de la fille qu'il considère presque comme sa soeur. une presque soeur avec qui il a déjà fauté dans le passé. la soeur de son meilleur ami perdu, surtout. « Je m’inquiète, il ne donne pas de nouvelles, ça lui ressemble pas… » un soupir et salva s'approche pour prendre place sur le lit aux côtés de la latine. sa main s'accroche au bras féminin pour la forcer à s'asseoir à nouveau et passer un bras qui se veut réconfortant autour de ses épaules. « Tu connais Rico, il est sûrement en vadrouille après avoir rencontré une fille.. Tu sais comme moi qu'il est sensible à des jolis yeux. » le ton se veut amusé, il revoit les deux meilleurs amis sortir en ville à la recherche d'une jolie créature à aimanter, des paris à la con qui rendaient leurs soirées moins monotones. salva vient déposer un baiser humide sur le front de tony. « Il va revenir et on retournera voir l'océan toute la nuit, comme avant. » les yeux se ferment un instant pour contenir l'émotion qui n'en peut plus de rester enfermée depuis deux longues semaines. le sujet est encore trop récent pour être abordé sans signes de faiblesse. salva se redresse en reprenant son bras protecteur, il s'efforce à garder son sourire d'éternel enfant. « Tu viens regarder un film ? Ca te fera du bien. » l'objectif premier est surtout de détourner la conversation. elle n'est pas bête tony, elle va le deviner, elle va voir que quelque chose ne tourne pas rond.

les pensées sont trop noires pour pouvoir les éloigner, les garder loin de toi, pouvoir faire le tri et calmer ton esprit. Elle t’empêche de réfléchir pleinement, d’avoir une vision globale, de prendre de la hauteur, assembler les pièces pour trouver les manquantes. elle t’empêche d’arrêter d’y penser, et même quand tu force ton esprit à ne plus penser, tu penses à lui. elles sont là, toujours là, même quand tu ne les vois pas, elles sont là, se cache, puis apparaissent. elles ne partent jamais. et tu les soupçonnes d’être la cause de ton insomnie de la nuit dernière. tu te souviens encore des nuits noires, des nuits sans sommeil quand papa est partie, des longues nuits passé dans ton lit à observer le plafond, sans jamais fermer l’oeil, de peur que les ombres ne réapparaissent. et là, aujourd’hui, les pieds au bord du gouffre, d’un néant qui pourrait se rouvrir sous toi, t’absorber à nouveau sans qu’il ne soit là pour t’aider à remonter à la surface.

Tu fouilles encore, une dernière fois, retourne les papiers sur le bureau, les photos entassées, cherche-tu ne sais quoi. quelques choses qu’il aurait pu oublier, quelque chose qui te mène sur une piste, une raison de son départ, de sa disparition, de son silence. et comme une vague en pleine mer, ce sont des souvenirs qui ressurgissent, une photo, une image sur papier glacé qui ravive une nostalgie, pointe le coeur d’une douleur lancinante. la porte s’ouvre, laisse apparaitre un Salva dans son élément. c’est sa chambre après tout, au même stade que celle de Rico. tu te lèves, reflex immédiat, un peu confuse d’être là, de chercher dans leurs affaires, de fouiller dans une vie privée. Si Rico l’apprend, il t’en voudra surement, te fera la morale, peut-être même la gueule. et tu t’en fous. qu’il te fasse la gueule, pendant un jour, deux jours, trois, jours, qu’importe s’il est la ? tu te justifies, conclue sur tes peurs, celle qu’il connaît déjà, les mêmes qu’il doit ressentir. Pourtant t’en a pas l’impression, son silence est aussi pesant que celui du reste de ta famille, des silences sur une disparition qui n’inquiète personne, et dans cet océan de non-dits, de question, tu’a l’impression d’être la seule à t’inquiéter, à prendre son absence au sérieux. Ça te rend dingue. un soupire quand il te parle des filles. oui il est comme ça Rico, oui il a sans doute raison, et pourtant tu n’arrive pas à y croire, accorder le crédit nécessaire à ces justifications. il attrape ton bras, te prie de t’asseoir à coté de lui, il se veut rassurant, voudrait chasser les nuages gris qui emplissent ton crâne.

il promet Salva, un retour, des nuits à aller voir l’océan. comme avant. avant quoi Salva ? avant la disparition de Rico ? ou cette nuit sans lendemain, ces promesses sur l’oreiller ? tu te détestes d’y penser, force ton esprit à abandonner l’idée, les souvenirs en échos de vos baisers, peau contre peau. tu secoue la tête à sa demande, reviens sur terre. “non, ils vont finir par me rendre dingue”, un geste de la tête vers la porte, tu désigne le reste de ta famille dans le salon, installer devant la télé qui doit cracher un de ces téléfilms à l’histoire bidon, des fins qu’on connaît déjà. tu inspires, t’allonge sur le lit de ton frangin, dos contre les draps défaits. “J'suis sûr qu’il se passe quelque chose…”, ça torture l’esprit, autant que tu tortures tes lèvres en les pinçant. tu te redresses à nouveau, ton regard rencontre le sien. “pourquoi ça t’inquiète pas ?”, peut-être parce qu’il sait. peut-être parce qu’il est dans les secrets de Rico, qu’il la fait jurer de ne rien dire, même à toi, surtout à toi.

comment lui avouer un mensonge dans lequel toute une famille s'est enfoncée depuis deux semaines. comment lui dire qu'elle va souffrir en apprenant la perte du sang de son sang, ils ont toujours été liés par cet amour fraternel que personne ne peut briser. personne mis à part la mort en personne. ça lui serre le coeur de penser à ça, coupe la respiration déjà difficile. il ne lui dira pas, jamais, tant pis s'il doit vivre avec ce poids sur l'estomac pour le restant de ses jours ou s'imaginer la mort de rico dans ses pires cauchemars. lui aussi il a perdu un frère d'armes, ce gamin brun à la tignasse constamment ébouriffée. il connait la douleur propre au deuil, cette impression d'agoniser en continu. c'est une raison de plus pour se terrer dans le silence, inventer de jolis mensonges pour la bercer d'illusions malsaines. pourtant la douleur est là, bien présente dans les tripes de tony. différente mais une douleur qui plonge quand même salva dans l'impuissance la plus totale. quelques mots bateaux pour la rassurer avant de proposer une alternative, pourvu que le sujet de conversation change. elle a tapée dans l'un des deux sujets sensibles. rico et la nuit qu'ils ont passés ensembles sans jamais en reparler. c'est mal connaitre tony qui relance le sujet immédiatement en refusant la feinte du latino. il est condamné à endurer cette conversation pendant quelques minutes encore. le corps de celle qui considère comme une meilleure amie, une soeur avec une différence de sang se laisse tomber sur le matelas de rico, celui qui reste désespérément vide. elle n'est pas folle, devine que quelque chose ne tourne pas rond, que les mensonges sont murmurés tard le soir quand les yeux sont clos pour mieux la protéger. tout se sait un jour, même ça. salva redoute ce jour comme une tornade en approche, celui qui fera imploser ce foyer déjà tangible. « il est grand, assez pour prendre un peu de liberté. » mais pas assez pour avoir conscience du piège dans lequel il a foncé tête baissée. « je m'inquiète aussi parfois, mais j'ai confiance en rico. tu devrais faire pareil. » il trébuche salva, s'enfonce toujours un peu plus loin dans le mensonge. il n'ose même plus regarder tony dans les yeux, préférant se lever du lit pour se poser près de la fenêtre pour observer la vie dans la rue en contrebas. la vie plutôt que la mort fidèlement logée dans les nuages. il ignore si rico serait fier ou non, il fait seulement de son possible pour protéger tony des démons qui menacent.