Antigone & Valero ☽ janvier deux mille dix-neuf.
L’Hélios se couche sous le voile de sa sœur, Lune se pare de dentelle, les étoiles chatoient mais le coeur d’une Antigone éclate. Devant le miroir, elle assemble les bouts de ses souvenirs, les dernières paroles. Devant le portrait usé d’une fille fatiguée, esseulée, les doigts rongés effleurent les traits de l’image arrachée. Elle a la bouche ensanglantée et les veines ouvertes.
Qu’as-tu fais ? Antigone. Qu’as-tu fais ?
Le morceau dans sa paume laisse une ligne de sang, les gouttes chutent sur le parquet de la pauvre mansarde et elle s’allonge. Et elle ferme ses paupières, si lourdes.
Ne plus voir, n’est-ce pas ? Ne plus supporter les desseins d’un destin implacable. Certainement… Les dieux se sont penchés sur ton berceau, toi, la fille d’un siècle maladroit, où les âmes chevauchent le vide d’une existence, toi, tu ressens, tout, et les sons et les odeurs, et les cris. Les gémissements, les souffles, les agonies, les cadavres étendus sur le goudron, entourés de ces hommes et de ces femmes en uniformes, les vivants qui s’enserrent, les parents alertés, choqués, traumatisés et toi. Toi. Ils t’ont retrouvé dans le couloir où gisait l’assassin. Apporter une explication à ces regards effroyables, ils te jugeaient et tu n’as rien dis. Tu n’as pas pleuré.
Antigone. Un gouffre au myocarde. La pluie dans les poumons. L’ichor dans les pupilles.
Antigone. Elle a pris l’arme sur laquelle elle acharne ses maux, ses veines offertes à la lame, à la fin.
Les minutes s’effilent. Elle ne voit rien, juste les pas qui se précipitent, la voix de la voisine. Elle a le ton d’une panique calme, elle est âgée, ses mains sur son front, une douceur sur la peau suant les vices et la rédemption. Si lui n’a pas pu s’excuser pour les crimes commis, si lui n’a pas eu le courage de vivre après les sacrifices, si lui n’a pas souffert de la tristesse alors elle paiera pour lui et pour réduire le vacarme de ces morts semés sur le chemin.
Il avait parlé d’une apocalypse mais tu ne l’avais pas cru, concentrée sur tes poèmes à la bibliothèque. C’est de ta faute te répètes-tu. Ce n’est que justice te sermonnes-tu.
Mais ils entrent, les deux silhouettes costumées d’uniforme, ils ne sont pas policiers, eux, ils sauvent la vie, ils sauvent la matière. A l’hôpital t’emportent-ils. Eveillée, lucide, tu frappes faiblement.
Je n’ai pas besoin que l’on me soigne. Parfois il vaut mieux laisser les chimères s’anéantirent. Et j’en suis une. Une coupable. Ne perdez pas votre temps. Dit-elle. Elle a encore la voix de la tempête enroulée dans le stoïcisme d’un geste, elle a apporté la mort sur son chemin, elle l’a prié de venir la récupérer, non parce qu’elle ne supportait pas le monde, juste parce qu’elle devait rendre le sang versé et apaiser les doutes de nombreux parents et des camarades.
Ce n’est pas beau. Ce que vous faites. Désobéir à un vœux. Ils l’embarquent dans une chambre à la couleurs des nuages.