(vingt jours), lola

(20 jours depuis la disparition) comment font ces filles sur les magazines ? le maquillage parfaitement appliqué, les cheveux parfaitement coiffé, photogénique sous tous les angles. tu les as jamais enviées ces filles-là, parce que tu sais qu’elles ne sont pas réelles. depuis que tu’es gosse tu le sais. quand Rico en riait avec toi, te disait qu’elle n’existait pas, quand il te montrait les photos de ces petites amies, bien différentes des bimbos que l’on peut trouver sur du papier glacé. tu soupires, le blush sur les joues, le stylo d’eye-liner dans la main. tu sais pas vraiment pourquoi tu fais ça, pourquoi tu’as dit oui. parce que tu’avais envie de voir Lola probablement, parce que tu sais pas quoi faire d’autre, parce que tu ne trouves pas les réponses que tu t'efforces de chercher, la vérité que tu espères jour après jour sans jamais la voir arriver. Tu'aurais dû dire non, à Lola, aux autres, rester seule, retraverser ces mêmes quartiers où t'espère toujours le voir, au coin d'une rue, au détour d'un carrefour, sur la terrasse d'un café. tu le vois parfois, réapparaître, au loin, avant de te rendre compte qu'il n'est jamais là. un énième soupire, un trait noir sur tes grands yeux de gamine, la voix de ta mère qui résonne derrière la porte. “Querida, Lola ha llegado”, tu souffles, sans répondre. on frappe à ta porte, c’est maman. “mi querida ?”, tu finis par ouvrir, ses yeux triste frappe les tient. maman sais.  

qu’est-ce que tu fais la Tony ? au milieu des corps s’entrechoquant, dans la chaleur alcoolisée de la boîte de nuit. tu connais bien l’endroit. par coeur même. tu te souviens aussi que t’avais à peine quinze ans la première fois que t’ont mis les pieds ici, accompagnés de ton frère, et tes cousins. tout t’était paru si grand, si factice. À croire qu’a la tombée de la nuit les gens change, enfile un masque pour devenir d’autre personne, faire tomber les complexes et retrouver une certaine forme de liberté. tu les observes, tous, sans exception. l’alcool dans tes veines ralentit le temps, rend chacun de tes mouvements plus douloureux, difficile. tu scrutes les foules, les corps dansant, espérant apercevoir une épaule, une tignasse de cheveux, un geste qui pourrait te rappeler quelqu’un, te prouver qu’il est là, toujours la. toujours vivant. tu grimaces à la dernière gorgée, pose le verre derrière toi sur le comptoir avant de te tourner vers ta cousine. “T’es sûr que ton frangin bosse pas ce soir ?”, tu soupires, interpelle le barman un peu plus loin. “J'voudrais pas qu’il balance à ma mère”, tu sais déjà ce que m'man te ferait si elle te savait dans ces états, l’alcool dans le sang, les idées noires dans la tête. le barman balance deux paires de shooter devant toi, alors que t’en fais glisser un jusqu’à la brune à tes côtés, tintement de verre avant de le porter à tes lèvres. un soupire, tu te tournes vers elle. “Est-ce que ton frère sait quelques choses sur le départ de Rico ?”, tu choisis tes mots, le “départ” volontaire. pas la disparition. involontaire. tu poses la question qui te brûle les lèvres depuis déjà des jours, tout en ayant peur de la réponse qu’elle pourrait te donner. bien sur qu’il sait. bien sur qu’il ment. t’en est convaincu.

trois jours après son renvoi ✺ plantée devant la porte d'entrée aux couleurs délavées du domicile familial, lola coince son téléphone entre l'oreille et l'épaule pour fouiller son sac. "¿ así que... no hay nadie en casa ?" son frère à l'autre bout du fil semble distrait, sûrement trop excité à l'idée de partir en week-end avec ses amis pour lui prêter vraiment attention. c'est pour ça qu'à contre coeur, elle doit répéter la question qu'elle veut anodine, attisant inévitablement sa curiosité. "no no, sólo por curiosidad. tengo clase hoy." les clés enfin en main, elle ment avec assurance. raconter des histoires, ça n'a jamais été difficile pour elle : l'art du mensonge lui est venu naturellement gamine. cela-étant, elle ne peut nier les scrupules qui la hante chaque jour un peu plus. ça fait maintenant plus d'une semaine qu'elle dupe son monde, prétendant assister à ses cours comme si de rien était. rares sont les personnes au courant de son renvoi et sa famille n'en fait certainement pas partie. la situation n'est pas facile mais elle ne peut pas les imaginer savoir, pas après tout le soucis qu'ils se font déjà. ça ne ferait qu'attiser une flamme déjà trop destructrice. "¡ si lo se, te quiero... un poco !" précautionneusement, elle passe la porte. la voix haussée pour couvrir les bruits environnants, elle fait tout pour raccrocher rapidement. l'information qu'elle souhaitait avoir maintenant sienne, inutile d'éterniser la conversation. "¡ ja, ja, ja adiós !" l'habituelle boutade lancée, elle le salue enfin. et un soupire passe ses lèvres lorsqu'elle jette un coup d'oeil au salon désordonné qui lui fait fasse. si sa mère aux tendances maniaques n'a pas briqué la pièce de fond en comble comme elle le fait à l'accoutumé, c'est qu'ils doivent être débordés pour sûr. lola, elle aimerait les aider plus, surtout maintenant qu'elle en a le temps mais elle ne peut le faire sans qu'ils apprennent la vérité alors elle s'abstient. elle se contente d'allumer la vieille chaine hifi et pousse le son à son extrême pour se préparer en musique. c'est une habitude qu'elle a prise depuis maintenant des années ; elle aime que sa vie ait des allures de fête - à chaque instant. ravie d'avoir l'appartement pour s'apprêter, elle se déhanche jusqu'à la salle de bain et pique éhontément le maquillage de sa mère. de son mascara à son rouge à lèvre, tout y passe ; lola, elle veut se faire belle, marquer le coup. ce soir elle sort avec tony et elle a l'impression que ça fait des années que ça ne s'était plus produit. depuis rico en fait. tout a changé depuis rico. mais cette nuit ce serait différent, elle retrouverait sa cousine, elles s'amuseraient comme elles avaient l'habitude de le faire avant que ça ne se produise. il le faut. et c'est parce qu'il le faut qu'à peine quelques heures plus tard, elles se retrouvent dans le club où son frère travaille habituellement - la maison quittée comme elle y était entrée, dans le plus grand secret. affublée de ses plus beaux apparats, lola rayonne : les têtes se retournent sur son passage et son sourire n'en est que décuplé. elle qui se fiche normalement d'avoir l'attention de vulgaires inconnus s'en trouve aujourd'hui réconfortée. la confiance malmenée par les récents évènements, c'est avec joie qu'elle constate le contrôle gardé sur cet aspect de sa vie - aussi futile soit-il. "t’es sûr que ton frangin bosse pas ce soir ?" l'attention reportée vers sa cousine qui appelle le barman, lola secoue la tête. tony peut se rassurer, il n'y a absolument aucun risque qu'elles croisent son frère ce soir, c'est d'ailleurs pour cette seule et unique raison qu'elle lui a proposé de se retrouver ici. ce club a beau être l'un des plus chauds de la ville, jamais elle n'y fera réellement la fête si son frère s'y trouve ; elle aurait bien trop peur de perdre la tête. "j'voudrais pas qu’il balance à ma mère." elles sont deux, elle a déjà été désignée comme étant de mauvaise influence et n'est pas particulièrement pressée d'être affublée de ce chaleureux qualificatif à nouveau. "y'a pas de soucis, il est parti à atlantic city avec salem et j'sais pas qui. t'imagines le week-end..." la voix surélevée pour qu'elle l'entende, lola lève les yeux aux ciels. elle n'est pas du genre à se mêler des affaires de son frère alors elle ne sait pas vraiment ce qu'il compte faire de son voyage mais elle doute qu'il passe son temps à tricoter. la fête, le jeu et les filles, c'est pour ces douteuses raisons que l'on se rend à atlantic city et aussi surprenant que ça puisse paraître, ça l'agace lola. parce que même si elle se fiche bien pas mal des plans de son frangin, ceux d'une autre personne la font tiquer plus que de raison. ces considérations mal-placées sont cela-dit bien vite oubliées, éclipsées par la question de tony. "est-ce que ton frère sait quelques choses sur le départ de rico ?" le sourire immédiatement fanée, lola reste muette quelques secondes. elle aurait voulu tout oublier ce soir, se perdre au rythme de la musique - l'alcool aidant. mais, elle doit l'admettre, c'était indubitablement naïf de sa part. bien sûr que tony amènerait rico sur le tapis, c'était inévitable. "il m'a dit qu'il l'a eu au téléphone avant de partir. qu'il voulait faire un long voyage. profiter. se couper du monde un peu." et il lui a menti, elle le sait parfaitement. elle le connaît lola, par coeur. elle sait qu'il tripote toujours sa chaine lorsqu'il n'est pas entièrement honnête, qu'il détourne rapidement l'attention à l'aide d'une blague pour ne pas avoir à divulguer ce qu'il cache. non, elle n'est pas dupe mais elle n'a pas pour autant cherché à en savoir plus. très honnêtement, elle préfère rester dans l'ignorance, ne pas faire face. au fond d'elle, elle sait que quelque chose de moche lui est arrivé et elle ne se croit pas capable de l'affronter. rien de bon peut en sortir, faut lâcher l'affaire tony. et c'est parce qu'elle préfère se bercer d'illusion qu'elle tente de convaincre sa cousine. "qui peut le lui reprocher ? combien de fois t'as eu envie de te barrer toi ?" lola, elle plaisante - comme toujours. son rire cristallin vient surplomber la musique tambourinante le temps de quelques secondes et le barman revient vers elles, deux verres à la main. deux de plus. peut-être deux de trop. "allez tony, on trinque. à rico." le sourire trop grand pour être véritable, elle lève son verre. mais, derrière son enthousiasme fin, se cache l'inquiétude pour une tony qu'elle voit changée. plus sombre.

tu t’en veux d’être là,
tu t’en veux de t’amuser, de sortir, de vivre,
alors que tu n’as aucune idée d’où se trouve ton frère

et s’il était déjà mort ? enterré, dissimulé dans un ravin, dans la baie, dans l’océan, enterrer dans le jardin. et s’il avait besoin d’aide ? retenu contre son gré, enfermer tu ne sais où. peut-être que tu devrais partir tony, refuser l’offre de Lola, le chercher, encore et encore. retourner la ville, encore une fois, reposer les questions, les mêmes questions, toujours les mêmes. tu ne sais pas, ne sais que faire de tout ça, de cette histoire qui te tracasse, te fait peur, t’empêche de trouver le sommeil. Tu’as encore l’espoir de le voir réapparaître, sourire béat sur ses lèvres de grand con, se justifiant de son absence par l’envie de passer du temps seul, ou avec une de ces filles qu’il rencontre en soirée, qu’il suit jusqu’au bout de la nuit, puis qu’il abandonne quelques jours plus tard. il l’a déjà fait Rico, d’abandonner les filles, de revenir à la maison, la queue entre les pattes. alors pourquoi pas cette fois ?

pourtant y'a ce sentiment, cette boule au ventre qui te fait dire que c’est bien plus que ça, peut-être bien plus grave, bien plus important. et c’est cette idée qui l’emporte.

tu commandes un verre, imite ta cousine accoudée au bar. lui pose la question sur la présence de son frère. T’aimerais pas avoir des emmerdes avec ta mère. pas en plus de tout le reste. elle te certifie qu’il n’est pas là, parti avec des amis, ceux que tu connais, de vu, de nom. les mêmes que ceux qu’avait Rico. et puis, tu pose l’autre question, celle qui te taraude l’esprit, te brûle les lèvres. pourquoi Rico n’est pas là ? partie pour Atlanta avec eux ? qu’est-ce que Jaime peut bien savoir sur sa disparition ? Et Lola ? est ce qu’elle te cache quelque chose ? réponse en échos, t’a l’impression que tout le monde te sert la même soupe, les mêmes mensonges récité à la perfection. “partie en voyage, besoin de prendre l’air”, t’y croit pas à tout ça, t’es convaincu que c’est faux, un mensonge. tu secoue la tête, agacé, de la voir elle aussi te mentir, sortir les mêmes excuses. elle justifie son absence, c’est vrai, toi aussi tu’a eu envie de te barrer, de t’enfuir très loin. de ta famille, de new york, des queens. peu importe pour aller où, tant que c’est ailleurs. c’est vrai, et tu comprendrais son geste, sauf que tu sais que ce n’est pas ça, qu’il n’est pas partie comme ça. “il ne serait jamais partie sans m’avertir Lola, sans me laisser un mot, sans me téléphoner”. c’est impossible, t’en est convaincu et connaît trop bien ton frère pour ça. tu secoue la tête, un soupire au bord des lèvres. “et si c’était le cas, il aurait forcément essayé de me contacter, pour me rassurer”, et t’essaie de convaincre qui tony ? les autres ? ou toi-même ? de faire taire les doutes qui t’assaille ?

deux verres apporté, un pour Lola, l’autre pour toi. verre à la main, elle propose de trinquer pour Rico. t’accepte. “pour Rico”, nostalgie qui fait trembler la voix, l’alcool qui apaise la douleur, endort tes maux et alourdis ton corps, vide ton crâne. un verre que tu bois, bien trop vite, du liquide rapide dans un corps si faible. “j'vais te dire ce que je crois…”, tu te tournes vers elle, à nouveau, délaisse la piste de danse. “J'suis sûr que ton frère cache quelque chose, je sais pas s’il est de mèche avec ma mère, ou la tienne, mais…”, t’inspire, pas sur des accusations que tu portes. “il y autre chose…”, et quelque chose que tu ne comprends pas, que tu ne saisis pas. des questions qui ne trouvent pas de réponse.