encore un jour se lève... / vladorah

Un soupir, puis un autre. Tu sais pas quoi faire, t'es pas d'humeur. La date approche, ton moral en prend un coup comme chaque année. Quatre ans. Ca fait pas beaucoup. Justement, le mal est encore présent. La tristesse continue de rythmer tes journées. Même si tu t'efforces de rester positive, heureuse, autant que possible y'a des moments comme ça, t'es pas bien. T'as beau faire tout ce que tu peux, t'es juste morose. T'aimes pas être comme ça, t'aimes pas qu'on sache que t'es comme ça. Alors tu t'caches, tu restes chez toi, tu sors pas. Les cours sont finis, les examens passés, t'as pas besoin de voir du monde. Sauf au travail. Mais le travail ça va, le travail t'es pas obligée d'afficher un sourire. On te demande juste de faire tes tâches et c'est suffisant. Y'a peu de personnes qui te connaissent suffisamment pour savoir que ça va pas, que c'est pas le moment. Et l'une de ces personnes c'est Ariel. Ce soir t'es face à ton ordi, tu discutes sur le tchat du forum, t'es pas très cool avec les autres. Et tu finis même par envoyer bouler Ariel. Comme ça, gratuitement. C'était méchant, c'était vraiment pas cool et tu t'es déconnectée sans plus de cérémonies. T'as honte parce que t'es pas comme ça. Alors tu te lèves, tu quittes ton écran quelques instants pour aller prendre une clope. Tu l'allumes avant d'ouvrir la fenêtre. Tu fumes pas souvent mais là, t'en as besoin. Un grand verre d'eau et tu retrouves ton ordinateur. Tu souffles un bon coup, tu inspires, tu expires et tu vas dans ta messagerie. Tu dois lui parler, tu dois t'excuser.

de : Joanna Lockwood
à : 19h06
objet : dsl...
pardon, j'aurai pas du te parler comme ça... j'aime pas prendre ça en excuse mais c'est la période tu sais bien.  
tu m'en veux pas hein ?  

Et tu appuies sur envoyer.

Les cours sont finis et toi t’es là, à tourner en rond. Tu sais pas trop quoi faire de tes journées alors tu te traines sur ce forum qui t’accueilles juste parce que t’as envie de suivre Deborah. Tu scrolles la page inlassablement, en attendant de voir de nouveaux messages. De nouvelles connexions. Mais non, elle n’est pas là. Elle travaille et toi t’es là, à l’attendre, vissé sur ta chaise. Tu dois sûrement avoir l’air un peu con, mais ce n’est pas de ta faute. T’as rien d’autre à faire. Tu t’éloignes de quelques pas pour te laisser tomber sur ton lit. Elle doit être au travail, ça sert à rien de tourner en rond en l’attendant comme ça. Toi aussi t’aurais dû sortir, prendre l’air. Peut-être même te trouver un job étudiant. Mais non t’es là enfermé entre quatre murs comme entre des planches de cercueil. T’as le cœur qui pèse drôlement lourd ces derniers temps, ça te prouve que tes sentiments sont pas si aseptisés que ça, même si t’aurais préféré que ce soit le cas. Lorsque tu te relèves enfin pour retrouver ton écran, tu la vois en ligne. Merde, ça fait combien de temps qu’elle est là ? Tu te connectes au tchat pour la rejoindre, même s’il y a les autres aussi, mais tu t’en fiches un peu, ce sont ses mots à elle que tu attends. Et t’es pas déçu. Elle est d’une humeur massacrante et elle t’en met plein la gueule, avant de se déconnecter brutalement. Toi tu restes là, devant ton écran, avec ton air penaud. Le regard vide qui fixe cet océan de pixels. Tu ne prends même pas la peine d’improviser un message d’au-revoir sur le tchat, tu te laisses juste couler jusqu’à ce que ça te déconnecte automatiquement. Et puis, tu t’éloignes du bureau, te propulsant en arrière avec les roulettes. Tu te passes une main sur le visage, sans savoir pourquoi tu te sens aussi chamboulé. T’attendais rien d’elle pourtant, c’est pas ce que tu t’étais dit ? Et pourtant tu t’es attaché, alors que t’avais jamais réussi à le faire lorsque vous viviez sous le même toit. Finalement, c’est ton téléphone qui te sort de ton mutisme. Il vibre, t’indique que t’as reçu un message privé. Tu t’étonnes en voyant apparaître le nom du personnage de Deborah. Alors tu te rapproches une nouvelle fois de ton écran. T’ouvres le message, tu lis ses mots d’excuses. T’as envie de la rassurer, de lui dire que ce n’est pas grave. Mais tu te freines un peu alors que tes doigts se posent naturellement sur ton clavier. T’as ouvert son message tout de suite, tu ne veux pas avoir l’air d’être un psychopathe à répondre dans la seconde. Alors t’attends un peu, tu pèses tes mots. T’effaces ton message, tu recommences et tu te relis avant d’envoyer.

de : Joshua Wheeler
à : 19h09
objet : re : dsl...
eh, bien sûr que non, je ne t’en veux pas. t’as passé une sale journée au travail ? tu sais que si tu veux en parler, je serai toujours là pour toi.  

En fait, t’as pas attendu si longtemps que ça pour lui répondre.

Ton écran défile, tu le fais défiler. Tu t'occupes. L'esprit. Les doigts. Tu ne sais pas vraiment. Tu ne veux juste pas y penser. Les minutes ne s'écoulent pas comme elles le devraient. T'as l'impression que ça fait au moins une heure et quart que tu as envoyé le message mais en regarder l'horloge de ton ordi, c'est la déception. A peine deux minutes. Tu soupires, ouvres la boîte de messagerie, regarde tes messages envoyés. Elle l'a ouvert. C'est certain, elle l'a ouvert. Et pas de réponse encore. Alors tu stresses encore un peu plus, sans réellement savoir pourquoi. En fait si, tu sais. Mais tu ne veux pas te l'avouer. Parce qu'Ariel elle compte vraiment pour toi. Ce n'est pas juste une fille avec qui tu discutes occasionnellement. C'est plus que ça. Et autant que ça te plait, ça t'effraie. De temps en temps, t'essayes de te déconnecter, de ne pas surveiller tes messages, tes mails, tes notifications. Parce que ça devient compliqué tout ça. Mais tu n'y arrives pas. Ariel t'y tiens. Tu peux pas passer une journée sans lui parler. Bien sur tu as d'autres personnes avec qui tu discutes, mais elle c'est spécial. Et encore une fois, c'est la seule que tu as contacté ce soir et ce sera la seule. Le reste s'ils prennent mal quelque chose, c'est pas grave. Ce ne sont que des connaissances virtuelles. Rien d'autre. Perdues dans tes tergiversions, tu ne remarques pas tout de suite la notification qui est apparue. Mais tu sautes dessus, clique instantanément pour voir son message. Et tu soupires. Elle ne t'en veut pas. Cliquant sur répondre, tu prépares la suite.

de : Joanna Lockwood
à : 19h13
objet : re : dsl...
non ça n'a rien à voir avec le travail ... c'est juste que dans 6 jours c'est l'anniversaire de leur mort.  
c'est peut être stupide je sais, c'était même pas mes vrais parents mais bon... c'était ma famille...
enfin c'est comme ça :/
ça va toi ? t'as passé une bonne journée ?  

T'aimes pas parler de ça. Parce que t'aimes pas te montrer faible. Mais avec Ariel c'est si naturel que ça ne te dérange pas. Tu sais qu'elle ne te jugera pas. Qu'elle ne te verra pas comme une pleureuse qui se plaint de tout et de rien. Parce que t'es pas comme ça d'habitude. T'es loin d'être comme ça.

Les phalanges accrochées sur le clavier, la pulpe des doigts qui caressent les touches, t’écris un message imaginaire. L’impatience de l’attente se fait ressentir. Tu jongles entre ta messagerie du forum et ta boîte mail. Quel sera le premier endroit qui t’affichera en premier une trace de sa réponse ? C’est dur d’être aussi accro. Un peu comme être en manque de drogue. Enfin, c’est comme ça que t’imagines la chose parce qu’autrement, t’as jamais touché à tout ça, tu ne sais pas vraiment ce que ça fait d’être sous l’emprise de ses substances, d’être accro à leur effet. Mais au fond de toi, tu sais que ça ressemble à ça. A la façon dont tu attends les messages de Deborah. A ton palpitant qui s’emballe quand tu la devines en train de te répondre. Et puis, il y a ce téléphone qui vibre derrière toi. Même posé sur le lit, sa vibration est si forte que tu peux l’entendre depuis ta chaise. Fébrilement, tu déplaces ta main sur la souris, tu te diriges sur le message. Et tu le lis. Ta gorge se serre alors que tu découvres ses mots. Son mal-être est compréhensible. Des larmes se pointent aux coins de tes yeux alors que tu t’imagines à sa place. T’as pas besoin de bien forcer. T’es exactement dans la même situation qu’elle. Vous pleurez les mêmes personnes. Tes parents. Mais voilà, Ariel n’est pas supposée le savoir. Alors tu fais de ton mieux, attends que ta gorge se desserre un peu avant de répondre.

de : Joshua Wheeler
à : 19h19
objet : re : dsl...
ne dénigre pas ce que tu ressens comme ça ! t’as le droit d’être triste. ils te considéraient comme leur propre fille, pas vrai ? c’était ce que t’avais dit non ?   alors t’as le droit de les pleurer autant que n’importe qui.  
et surtout, si tu veux en parler pour te soulager un peu… je suis là  

moi ça va ! j’étais juste inquiète pour toi j'ai passé la journée à la bibliothèque, mais je n'avais pas vraiment la tête à ce que je lisais, même si le livre que je tentais de lire était superbe. je me demandais si toi tu allais bien et au final, ce n'est pas trop le cas  

En réalité, tu espères qu’elle se confie à toi. Parce que la voir parler de tes parents t’aidera peut-être à extérioriser ce que tu peux ressentir, toi aussi, plutôt que de rester impassible. T’espères ne pas avoir été maladroit, de lui avoir donné envie de se confier. Mais t’es pas sûr de toi. T’es pas tellement doué pour réconforter les gens en règle générale et tu ne sais pas trop dans quoi tu t’es lancé.

Les minutes défilent et pas de message à l’horizon. Tu maudis cette foutue page que tu actualises dès qu’elle se charge intégralement. Comme si ça allait changer quelque chose. Tu déteste attendre. C’est comme ça, t’es pas patiente. Ca ne changera pas de sitôt malheureusement pour toutes les personnes qui te côtoient. Tu tentes de faire attention mais souvent tes réactions sont bien plus impulsives que tu ne le souhaiterais. T’attends encore. Ca ne te plait pas ça. Vraiment pas. Alors tu te redresses, tu vas chercher une canette de coca dans ton frigo. Parce que le sucre ça aide bien dans ce genre de situation. Parce que le sucre a toujours réponse à tout. Tu l’ouvres, tu te rassois, tu fixes l’ordinateur. Encore une actualisation et tu prends une gorgée. La fraîcheur du liquide te fait du bien mais ça ne te permet pas d’oublier ton obsession première. Le temps passe et à nouveau ce petit “1” fait irruption en haut à droite de ton ordinateur. Tu cliques dessus sans plus attendre, manquant de faire tomber ta boisson. Définitivement, ta dépendance à ces messages causera ta perte. La tienne ou celle de ton ordinateur d’ailleurs. Tes yeux se remplissent de larmes en lisant ses mots. Elle a raison mais tu as encore du mal à te faire à l’idée. Et puis quand tu lis la fin de son message, c’est une autre sensation qui prend place. Dans le bas de ton ventre. Une chaleur qui prend place ainsi qu’une culpabilité étrange. T’es contente qu’elle se soit inquiétée, c’est moche quand même. Mais oui ça te fait plaisir. Souriant tu essuies les vilaines larmes qui ont osé coulé et tu te prépares à répondre.

de : Joanna Lockwood
à : 19h22
objet : re : dsl...
je sais pas trop… oui je crois ? sinon ils m’auraient pas adopté enfin j’crois pas… mais 4 ans avec eux ça fait pas bcp alors … enfin je sais pas. puis c’était pas toujours calme & tout. on m’a dit que c’était comme ça dans les familles mais j’ai pas trop d’expériences la dedans. :(
merci d’être toujours là pour moi je sais pas trop ce que je peux dire de plus… c’est la période qui veut ça j’crois.

faut pas autant t’inquiéter pour moi :o enfin c’est mignon mais je vais bien… malgré ça. encore désolée de d’avoir inquiétée et d’avoir réagi comme ça. je m’en veux de t’avoir déconcentrée dans ta lecture :’(
c’était quoi ton livre ?

Tu ne sais pas trop quoi dire. T’es pas forcément à l’aise avec ce que tu peux ressentir et même si tu fais des efforts pour ne pas trop laisser transparaître tes émotions, c’est vrai que c’est assez simple derrière un écran pour te cacher. Tu relis le message, modifies quelques trucs et appuie enfin sur le bouton envoyer.