there is a swelling storm, and i'm caught up in the middle of it all.

01/ t’es né à quelques heures de la grosse pomme, à boston. fils cadet précédé d’un unique aîné, qui avait alors déjà entamé sa quatrième année d’existence. deux garçons, et puis c’est tout. mais la présence féminine, elle n’a jamais manqué. avec vos cousins et cousines, du côté maternel, vous formiez une genre de fratrie. du côté de ton père, en revanche, ça a toujours été plus compliqué. il a un frère, lui aussi. un cadet, ton oncle, que tu n’as jamais rencontré. c’est un des sujets tabous, t’as juste compris qu’il aurait « mal tourné »; au fil des années, t’as bien compris que c’était l’excuse de tous ceux dont il n’avait pas envie de parler. un autre, c’est tes grands-parents paternels. ils ont coupé tout contact avec leur fils - et accessoirement leurs petits-enfants, quand tu avais à peine six ans. un bête conflit ayant confronté les fiertés d’un père et d’un fils, et dont l’issue s’est faite démesurée. le paternel, il n'a vite plus eu que vous. et parfois, tu te demandes si ça lui fait quelque chose, si une fois, ça a déjà tiré les traits d'son visage figé. 02/ tes parents, ils ont toujours été très différents. papa strict, papa rigide. maman chaleureuse, maman religieuse. tu n'as jamais su comment ils s'étaient rencontrés. t'as déjà demandé, quand t'étais gosse. et maman a simplement répondu que c'était une longue histoire, en te caressant les cheveux, l'sourire aux lippes. cette histoire, elle ne t'aura jamais été contée; t'as jamais réessayé. mais la question, elle t'revient parfois, quand tu regardes papa serrer les mains, et maman serrer les corps. 03/ votre « fratrie », elle a toujours été soudée. dès votre plus jeune âge, vous vous souteniez, envers et contre tout. ton frère, c’était un peu ton modèle. et lui, il était très proche de l’aîné de vos cousins, diego. à deux, c’était comme des gardiens, des protecteurs à qui rien ne faisait peur. alors toi et quelques autres, vous jouiez les mômes indisciplinés; ça vous amusait. mais malgré tout, tu les admirais, tous les deux, de tes grands yeux. 04/ môme éternel et continuel, t’étais d’ceux qui riaient trop, tombaient trop. le cadet aux genoux écorchés, aux plaies pansées par l’aîné. les cours t’ennuyaient. tu t’efforçais de travailler, mais jamais avec beaucoup d’intérêt. toi ce qui t’intéressait, c’était la musique, la littérature, l’genre de trucs qui plaisaient pas beaucoup à papa. parce que « ça sert à rien », ces choses là. c’est des hobbies, c’est pas pour la vie. la vie c’est l’algèbre, l’économie. tout ce que t’aimes pas. ton frère, lui, il aimait ça. c’était le fils parfait, idéalisé. il t’a permis du répit. t’étais l’ombre de votre duo, mais t’en avais pas grand chose à faire; bien au contraire. 05/ seulement, faut croire qu’ça suffisait pas. faut croire que t’étais vraiment pas fait pour tout ça. arrivé au lycée privé où ton frère a étudié, sous la demande du paternel, tout semblait plutôt bien se dérouler. tu y avais ta bande d’amis, ta place. puis tu y avais ta copine, aussi. elle était gentille, elle était jolie. schéma basique de vie, tes doigts qui glissaient dans les siens, juste comme ça. tu faisais un peu comme tous les autres que tu voyais. et elle plaisait beaucoup, tu l’savais. pourtant, c’était pas comme tu l’imaginais. tu ressentais rien. absolument rien. t’avais beau t’dire que ça viendrait, ça n’a jamais changé. ton regard, c’est sur certains de tes amis qu’il s’attardait. au fond, tu commençais à comprendre; t’arrivais juste pas à te l’avouer. alors t’as voulu persister, jusqu’au jour où t’as trouvé un préservatif dans le tiroir de sa table de chevet, alors que t’étais étendu sur son lit pour, soi-disant, les devoirs. tu l’as quitté. et à partir de ce jour-là, tu l’as su, que t’étais pas ce que tout le monde aurait voulu. 06/ t’étais incapable de l’assumer. t’étais qu’un gamin angoissé par sa « différence », paniqué à l’idée de s’faire juger, rejeter. au lycée, t’en as pas vu, des mecs s’embrasser. à croire qu’ça existait pas, ou du moins, que ça devrait pas. alors t’as prétendu être comme les autres, longtemps; plus d’un an. et puis, y a eu ce jour. moment de faiblesse, auprès de diego, et l’aveu est tombé. tu t’souviens très bien d’à quel point ton palpitant s’est emballé, quand pour la première fois, tu l’as prononcé. « j’crois que je suis gay. » ce dont tu te souviens aussi, c’est ces interminables instants de silence. t’as senti ta gorge se nouer, tes doigts qu’tu triturais trembler. et finalement, il t’a rassuré. il t’a dit que c’était rien, que ça changeait rien. et c’est tout ce dont t’avais besoin. il t’a conseillé d’en parler à ton aîné, aussi. parce que c’était évident, pour lui : quoiqu’il arrive, il arrêterait jamais de t’aimer. ça, il te l’a assuré. pourtant, t’as continué à hésiter. tu t’sentais pas prêt. certainement que t’aurais dû. 07/ dix-sept ans. et ta vie, elle a implosé. du jour au lendemain, t’étais à l’église. chemise noire, cravate noire, veste noire, pantalon noire. ton visage pâle comme la mort qui a frappé ton frère, un deux novembre. parce qu’il était au mauvais endroit, au mauvais moment. simplement. embarqué dans une prise d’otages, il a agi en héros. et une balle dans la poitrine plus tard, tu étais fils unique, sans jamais avoir pu lui avouer. aucune condoléance n’a su t’apaiser. t’étais dévasté. pour la première fois, t’as vu ton père pleurer. et toi, comme l’enfant que t’étais, tu n’avais de cesse de sangloter. durant de longs mois, tu as bien pensé ne jamais t’en relever. chaque jour, tu te laissais un peu plus plonger. c’est triste, mais c’est lors de cette période que tu l’as eu, ta première fois. quand tu étais au fond du trou, trop peiné pour bien te rendre compte de c’que tu faisais. 08/ sans le savoir, ce sont tes parents qui t’ont achevé. le drame daté, ton père, il a bien fini par réaliser qu’en plus d’un fils, il avait perdu un héritier. alors son attention, c’est sur toi qu’elle s’est tournée. toi qui commençait à peine à sortir la tête hors de l’eau, il te l’a refoutu sous la surface, t’a coulé sans un regret. t'as cru étouffer, quand il t'a annoncé que t'irais pas à l'université, que c'était à ses côtés, que t'allais évoluer en tant que nouvel héritier. pourtant, t'as accepté. bouffé par la peur de c'qu'ils pourraient bien penser, qu'ils puissent un jour se demander pourquoi c'est toi qu'il leur reste, et pas ton aîné. tu refuses de leur faire ça. alors tu les laisses se reposer sur toi. pour l'hôtel, pour les petits-enfants qu'espère tant maman. tant pis. tant pis pour toi. 09/ depuis, tu la refoules, cette homosexualité que tu as eu le malheur de confier. tu la nies, auprès de ton cousin, auprès de toi-même. t’essaies de l’oublier, de faire comme si elle était passée. tu le sais, pourtant, que c’est pas si simple. tu t’en es bien rendu compte, ces rares nuits où tu as cédé. oubliée, la pseudo hétérosexualité, jusqu’au lendemain où la réalité est toujours revenue te frapper. et toujours, tu culpabilises de c’que t’as fait. 10/ vous avez déménagé pour new york, dès que tu as terminé le lycée. c’était comme un nouveau départ, dont vous aviez cruellement besoin; malgré l’année écoulée depuis le décès de ton frère, t’étais encore incapable d’entrer dans sa chambre au mobilier délaissé. alors au début, tu vivais avec tes parents, dans l’queens uppé. pourtant tes pas te menaient bien souvent hors du luxe de ces quartiers, jusqu’au queens contemporain que tu pouvais pas t’empêcher d’admirer. tes prunelles qui parcouraient sans cesse les tags arpentant les rues, t’as fini par vouloir y emménager. papa n’était évidemment pas emballé par l’idée. pour lui, c’qu’il était laid, ce quartier où tu voulais t’installer. mais maman, elle l’a convaincu d’accepter. et depuis, tu vis dans un loft que tu n’as plus jamais quitté. 11/ à l’hôtel tu t’sens creux, tu t’sens façade. tes sourires qui se dessinent comme un masque que t’enfiles, face aux clients, face aux influents pour que ton père soit satisfait qu’on lui dise combien son fils est charmant. là-bas, t’es souvent contraint de porter le costard. tu te détestes là-dedans. alors dès que tu l’peux, t’enfiles la simplicité d’un sweat, d’un t-shirt. souvent, en revanche, ça t’est arrivé de sympathiser avec des membres du personnel. un peu trop, aux yeux du paternel. un jour, l’un d’eux a eu le malheur de croire qu’il serait aussi conciliant que toi. il a voulu se familiariser avec son patron, et il s’est fait renvoyer. alors depuis, t’instaures des distances, par peur que ça recommence. certains ont même pris ça pour de l’arrogance. et ça t’noue l’estomac, pourtant tu te dis que ça va. ça ira. 12/ y a pas un jour où tu t’sens plus toi-même que le vendredi. boulot d’une soirée, musicien qu’tu deviens depuis une année. tu grimpes sur les hauteurs de new york, pour des soirées organisées sur le toit d’un building. tu fais parti d’une jeune équipe, qui rehausse ton sourire sans ce fond d’hypocrisie. plus qu’une envie, t’en as besoin, d’cet échappatoire. alors tu le tais auprès de ton père, en te disant qu’après tout, c’est pas grand chose. 13/ tu te sers de ta religion, transmise par ta mère, pour justifier ta pseudo virginité. tu attends le mariage, que tu dis. papa trouve ça stupide, sans surprise - faut dire que vous n'allez pas si souvent que ça à l'église. maman, elle, n'a pas attendu. elle pense que tu dis simplement ça par pudeur, mais qu'tu l'as perdu depuis bien quelques années, ta virginité. elle n'est pas si loin de la vérité. parce que maman, elle te connaît. seulement, peut-être pas aussi bien qu'elle peut le penser.