menthe à l'eau. (primrose)

quinze minutes qu’bébé s’est arrêtée de vrombir sur le trottoir d’en face.
quinze minutes que t’as pas bougé pourtant, le cul enfoncé dans le siège de cuir, le genou tressautant comme un fou contre le volant. quinze minutes qu’tu t’répètes que c’était pas une bonne idée, qu’tu devrais rentrer chez toi. chez moïse, p’tètre pioncer chez kenn. parce que quinze minutes qu’t’es planté devant chez elle comme le dernier des couillons et qu’t’as pas été foutu d’aller la voir.
quelques mètres qui t’séparent de la porte de l’immeuble et ça t’paraît si loin finalement. insurmontable.
combien d’temps qu’t’as pas passé la porte de cet immeuble ?
quatre, cinq ans ?
peut-être plus.
tout ça pour une vieille embrouille.
un gros coup d’fierté.
et le temps a passé quand l’égo n’a jamais pardonné.
alors maintenant qu’rex est plus là, ça t’retourne. parce que tu pensais avoir le temps. parce que tu pensais qu’c’était comme toutes ces embrouilles entre frères, elle finissaient par disparaître. celle-là, faut croire, ne s’effacera pas.
et maintenant qu’il est parti, tu penses à prim.
à quoi elle ressemble maintenant, prim ? c’était rien qu’une gamine la dernière fois que tu l’as vue, qu’tu l’as laissée aux mains d’son frère. les longues tresses fouettant le vent. la gamine au regard insolent qui courrait toujours derrière vous. la brindille aux airs de bonhommes. elle a toujours voulu faire partie des vôtres prim, sans jamais qu’on la laisse vraiment.
alors t’as l’vent des regrets qui matraque depuis qu’tu sais qu’elle a plus son frère. celui qui devait veiller sur elle. fût un temps où t’endossais l’même rôle, toi aussi. et puis t’es parti, toi aussi. en cabane, puis dans les airs. envolé, dans le monde, quand t’as juré plus prendre part à ces merdes.
et sans doute que tu l’aurais jamais revue, si t’avais pas appris la nouvelle. mais rex est parti et putain, ça change tout.
alors après tout c’temps, t’as fini par prendre ton courage à deux mains. t’as levé ton gros cul de la banquette et t’as grimpé les marches de son immeuble en espérant qu’elle habite toujours là. arrachant un bouquet improvisé de pâquerettes dans l’entrée comme si c’était la meilleure idée au monde. ah c’que tu peux être con, gamin.
y a le poing qui s’écrase contre la porte et la nervosité du gamin qui reprend l’dessus. salut p’tite tête. et quand enfin elle ouvre, prim, y a ce vieux sourire moqueur qui revient au galop, incapable de chasser les mauvaises habitudes. t’as pas changé, primrose. les mêmes yeux noisettes et la même malice au bord des lèvres. prim a l’air de celle qui n’annonce rien de bon et c’est ce qui l’a toujours rendue si attachante, au fond. la gamine trop pressée de grandir, d’vous ressembler. comme s’il fallait en être fier. tiens, c’est pour toi. les trois vulgaires marguerittes tendues à bout de bras, comme si tu réalisais seulement maintenant que c’est sans doute le cadeau le plus merdique au monde. t’as l’sourire penaud et l’palpitant qui sait plus quoi faire. nerveux ou à l’aise. t’attend d’te faire virer à coup d’volées mal placées ou d’te faire enlacer si fort qu’tu pourrais plus respirer. t’as jamais su avec prim.
toi, t'étais qu'un dada amusant pendant les heures perdues.
aujourd'hui t'es rien d'plus qu'un inconnu.

@primrose america

Elle frotte à s'en faire rougir la peau, mettre le feu au hâle de son épiderme.
Ça ne suffit pas, rien ne suffit. L'odeur de friture ne s'efface plus, elle croit la sentir chaque seconde, imprégnée dans tout son être. A force, elle se dit que c'est peut-être juste l'odeur de son désespoir.
Mais elle est pas désespérée prim, non.
Elle peut pas l'être, elle a plus le temps pour ça,
plus maintenant que rex est plus là. Elle doit se débrouiller, être le roc qu'il a toujours été. Avec cette impression étrange d'avoir enfilé un uniforme trop grand pour elle désormais impossible à retirer. Compter les sous, surveiller les factures, allez dormir juste après le boulot. Ca prête à sourire tant c'est ironique, madame voulait être adulte, fuyait les bancs de l'école pour jouer l'adulte. et pourquoi tu pleure prim, c'était ce que tu voulais non ? Être libre, lâcher la fac, ne plus être l'enfant. Tu voulais être la grande de l'histoire.
pas l'unique.
Mais on peut pas tout avoir pas vrai ? elle fait avec, c'est ce qu'elle se dit quand elle regarde fixement sa pasta box tourner dans son micro-ondes comme si elle pouvait y lire quelque chose de plus grand, de plus rassurant que ce qu'elle discerne pour son avenir. Tirée de son oracle inventée par les coups frappés à la porte. Elle se fige malgré elle en l'ouvrant, se fustigeant de n'être pas de celles qui parviennent à porter le masque en toute circonstance, de ces femmes qui réussissent à garder l'air indifférent même sous le coup de la surprise. La voix de casey résonne exactement comme dans son souvenir, une vieille mélodie qui avait souvent le don de l'irrité quand il employait ces mots-là.
Qui l'irrite encore.
primrose l'éternelle gamine.
renforcée par ses yeux levés au ciel comme un vieux reflex résultant de cette condescendance affectueuse qu'ils ont toujours eu pour elle. Elle sera jamais grande aux yeux de ces hommes-là, ceux pour qui elle n'existait que comme la petite sœur de rex. Visiblement pas même pour ceux qui reviennent des années après la fin des années charnières de l'adolescence. « y a encore des racines sur tes fleurs. » la voix sèche, prim ravale un merci, dégluti l'émotion. Se refuse à être liquéfié par le retour, elle qui connaît bien mieux les départs. elle attrape quand même le bouquet avec maladresse, observant les marguerites comme une espèce rare qui n'a rien a faire entre ses doigts. Encore moins offerte par lui. Rien ne ressemble plus à casey que cette scène-là. Une bonne intention maladroitement mise en œuvre. Un goût de trop peu dans des actes pourtant trop. qui ressemble si peu à l'image qu'elle a de lui. avait elle sait plus rien sans doute. « rex habite plus ici. » flash info au cas ou il n'ai pas rattrapé les années perdues. Et elle a beau s'imaginer qu'il devait espérer autant qu'elle trouver rex de l'autre coté de la porte, elle s'écarte quand même de l'embrasure de la porte. Parce qu'elle sait pas comment réagir, entre joie et colère. jamais confronté à ceux qui reviennent. Mais casey devant sa porte à l'aura de l'espoir. Presque un goût de et si.
Et si, un jour, les autres aussi ?

le silence du funambule.
et la question à un million qui brûle sur tes lèvres.
prendra, prendra pas ?
le bouquet improvisé tendu dans l’espace qui les sépare,
quelques mètres ou bien des années lumières.
faut croire qu’tu t’es jamais senti aussi con qu’à ce moment, gamin, persuadé qu’revenir la bouche en coeur suffirait à retracer l’sourire de prim. la gamine qu’en avait jamais fini de rire, de bouder, de pleurer. les émotions à bout portant, sans qu’t’y trouves la moindre trace aujourd’hui. y a qu’la voix sèche et le visage mort. et dans l’regard, l’ombre lointaine de ce que prim était autrefois.
et tu peux pas dire à quel point ça t’retourne, gamin. les remords qui t’serrent le thorax et c’vieux truc qui t’ronge les tripes. ce sentiment familier appelé culpabilité.
parce que si t’avais su, peut-être qu’tu serais pas parti.
si t’avais su, p’tètre bien que tu seras revenu.
plus tôt. avant.
t’aurais aimé pouvoir faire quelque chose pour prim, être là. la force inébranlable. t’aurais aimé pouvoir être quelqu’un, n’importe qui, la présence réconfortante. l’idiot qui aide à oublier, d’une vieille blague moisie ou d’une aventure décidée sur un coup de tête.
mais t’arrives trop tard, sûrement, pour récupérer les morceaux laissés par un frère faux-jeton.
rex a laissé ses traces, enfoiré.
et que reste-t-il pour réparer les morceaux ?
y a encore des racines sur tes fleurs.
pas la réponse que t’attendait, pas vraiment. il secoue un peu maladroitement le bouquet, laisse la terre tomber à leurs pieds. ouais… j’ai jamais vraiment eu la main verte. t’as l’sourire en coin qui s’démarque faiblement et la main qui frotte frénétiquement ta nuque, la gêne qui t’prend au dépourvu. le sentiment plus présent qu’tout ça était sans doute une mauvaise idée, qu’t’aurais pas dû venir. qu’t’aurais dû laisser prim continuer sa vie, faire son deuil, ou qu’il soit. un peu plus persuadé qu’prim aurait été bien mieux sans toi, et déjà prêt à faire demi-tour, aussi lâchement que tous les autres, avant qu’elle ne plante une autre dague dans l’palpitant.
je sais. lancé après réflexion, parce que la raison d’ta venue est plus que claire maintenant. t’as les épaules d’un gamin lâche qui souhaiterait ne plus l’être. celles de celui qui assume, cent fois trop tard, d’être celui qui revient, enfin. j’suis venu voir comment tu allais. aveu penaud, parce que sous d’autres jours, dans une autre vie, prim avait presque l’air d’une soeur. un bout de famille trouvé à l’arrache, par erreur, auquel on s’accroche. souvent trop vite, souvent trop fort.
quelques pas seulement pour te mener à cet appartement qu’tu connais déjà tant. familier et inconnu à la fois, tu s’rais pourtant incapable de dire ce qui a changé. aucune trace de rex dans l'habitacle et pourtant, sa présence dans tout l’appart. fantôme dont elle ne pourra jamais vraiment se débarrasser, il hante la pièce comme si elle croyait, espérait à son retour.
alors le regard erre ailleurs, faute de pouvoir poser des mots sur les blessures du coeur. jusqu’à la lumière du micro-ondes et la pasta-box qu’il contient, tournant encore sur le plateau de verre. tu sais faire les pâtes maintenant ? raillerie débile, flashback du bon vieux temps, quand prim savait à peine faire bouillir de l’eau.
et le coup d'électricité qui suit juste après.
chaque souvenir creuse un peu plus la douleur.
forcé d’admettre que le temps a tourné. et prim a changé.

@primrose america

sourire est gêné, miroir du sien.
Gamins maladroits
prim ne sait pas quoi dire, ses fleurs à la main. C'est qu'elle ne sait pas parler correctement, trop secrète ou trop abrupt, jamais d’honnêteté sans fard. Elle est en représentation constante les bons jours, muette les mauvais. Si elle parle maintenant, ce sont des mots creux qui ne révèlent rien, aussi vide que les gestes de casey qui n'expriment qu'une gêne latente qu'ils n'avaient jamais connu avant.
Avant tout.
des presque-inconnus. Éloignés a une période charnière ou le changement est quotidien. Des jours entiers qui, à son âge à elle surtout, ressemble à des années lumières qui ont filé trop vite. j'suis venu voir comment tu allais. ça prête à sourire, rictus sardonique qui masque la blessure. Il a attendu longtemps pour s'enquérir de son bien-être, casey. « t'aurais pu te contenter d'un sms non ? » la voix exempt de colère, enrobé de lassitude et d'incompréhension. Elle se sent titanic qui chavire et casey comme une bouée qui arrive trop tard. Surgit de nulle part. Sa touche à la fierté, prim se veut insubmersible malgré les failles qui prennent l'eau. Elle fait semblant de ne pas voir qu'elle se noie, refuse d'entendre qu'on veut s'enquérir de son état. parce qu'elle va bien. c'est un mantra qu'elle répète à qui veut bien l'entendre. « je vais bien. » elle jure, elle ment. encore trop frêle pour déverser sa peine sans tomber en morceau, prim serre les bras autour de son corps pour éviter l'effondrement. C'est rien qu'a la force de ses mains qu'elle retient les lambeaux pour ne pas se disloquer. « et toi ? les années ont pas été clémente on dirait. » pirouette maligne et l'éclosion d'un sourire sur le bout des lèvres, la tristesse ravalée pour le terrain moins mouvant de l'humour-amer. La forteresse de l'effrontée, menton relevé et l'oeil audacieux. Juré que c'était qu'une blague. Juré pourtant qu'elle croirait y voir un fond de vérité.
Et elle le laisse entrer, se faire une place dans l'espace devenu trop grand. Demeurant trop vide. Étrange cette sensation qu'il y trouve encore la place qu'il avait autrefois quand il semble pourtant qu'il devrait se trouver ailleurs désormais. Comme si, en l'absence de rex, tout ce qui était lié à lui aurait dû se dissoudre de son univers à elle. mais qu'est-ce qu'il resterait alors? « et t'as pas encore goûté mon délicieux poulet au curry à réchauffer en 3 minutes 30. »  et en une seconde, ça semble comme autrefois quand il se moquait d'elle et qu'elle tentait de le fusiller du regard sans parvenir à rester sérieuse. Taquinant la gamine qui redressait la colonne pour devenir simulacre de femme.
Et la sonnerie du micro-onde qui percute l'air.
Et l'instant qui se brise.
Mais prim s'y accroche.
« t'es là pour longtemps ou seulement de passage ? » son attention est toute tournée vers la pasta box qu'elle sort du micro-ondes, consciente de la fébrilité de sa demande. De l'intérêt – trop important – qu'elle porte à sa réponse.  pourquoi revenir si c'est pour s'en aller encore ?
si les départs doivent être sans retour, ceux qui reviennent reste peut-être toujours.