Streetwarrior (Kenny)

STREETWARRIOR

« Mais dégage putain j’ai pas d’garette pour toi, putain ! » Sérieusement t’étais à deux doigts de t’énerver ! Ce n’était même pas de ta faute en plus, t’étais juste là, sagement posée sous l’abribus, à attendre que la nuit passe, une cigarette se consumant paresseusement entre tes doigts et ils s’étaient pointés, lui et ses demeurés de copains. A croire que passé minuit, les princes charmants tombaient le masque. De toute manière, les mecs tranquilles, ils ne venaient jamais pour toi. Toi tu n’gagnais que les gros relous. Et vas-y que t’es charmante, vas-y file nous tes clopes et peut-être même du feu…Oh My God ! T’avais la haine contre eux. Tu voulais juste te poser un peu avant d’essayer de trouver un coin pas trop dégueulasse ou te coucher, mais non, Ducon il voulait une clope et toi, tu ne voulais absolument rien lui filer, à ce gros trou du cul.
Tu détestais les sorties de boîte. Il n’y avait jamais que ça, ces petits connards de bourges pour faire chier l’monde quand tu demandais rien à personne. Alors ouais, t’étais à deux doigts de t’énerver déjà quand un des petits malins a cru drôle d’essayer de te prendre ton sac pour y chercher lui-même tes putains d’clopes. C’était le truc à pas faire en fait parce que tu te jetais sur lui comme une enragée, ramenant ton poing en arrière avant de le lui balancer en plein visage, furieuse qu’il ait osé toucher à tes affaires. T’avais déjà pas grand-chose merde ! On ne pouvait pas juste te laisser le peu qui t’appartenait ? Non, bien sur que non, eux ça les faisait rire ! Pas celui qui pissait l’sang, lui il titubait en ruinant sa chemise mais ses copains, ils se passaient désormais le relai pour te harceler de toute part. Ils avaient l’avantage du nombre, à quatre contre une forcément. Mais tu te laissais pas faire, quitte à finir démolie au sol, tu ne lâchais rien. T’étais comme ça, tu ne battais pas en retraite. C’était peut d’être dans tes gênes finalement…

tu traines dans les rues du queens. ton queens à toi. celui que tu connais comme ta poche. chaque recoin. chaque petit détail. avec des potes à toi. des gars comme toi, ceux qui vivent la nuit. ceux qui ont un horaire décalé par rapport aux gens normaux. vous êtes posés à fumer, boire, parler de tout et surtout de rien. vous parlez de filles, vous parlez du fifa 19 qui va sortir. de conversation un peu inutile. mais vous vous en fichez au fond, parce que c’est ce qui est bien, ne pas se prendre la tête.
ne pas se prendre la tête, c’est ton occupation favorite. avoir l’esprit tranquille ou si jamais il ne l’est pas, t’en foutre royalement. de tout. et c’est souvent ce que tu fais, et généralement on te prend alors pour un mec pas trop sérieux, un je-m’en-foutiste en puissance. et c’est peut-être ce que tu es.  
vous êtes en pleine discussion sur le fifa qui va sortir, les nouveautés que t’attend avec impatience, lorsque tu vois la scène qui se déroule pas trop loin de vous. une nana à l’arrêt de bus, des gars qui l’embêtent. t’entend pas vraiment ce qui se dit, mais tu vois la scène distinctement. votre conversation s’estompe un peu alors que vous regardez le spectacle qui s’offre à vous. un des gars essaye de prendre le sac de la demoiselle et la suite, tu t’y attendais pas vraiment, elle lui fout un coup de poing en pleine gueule. putain. qu’est-ce que ça vous fait rire. il a du mal à s’en remettre, alors que ses copains s’en prennent de plus belle à la boxeuse, qui a, tu dois l’avouer, pas froid aux yeux. instinctivement, tu te lèves, tu dis à tes gars que tu reviens. tu cherches pas les problèmes, pas aujourd’hui, pour une fois tu veux simplement aider. parce que sur le coup, ça te semble la bonne chose à faire. bien que t’aurais bien aimé savoir comment elle allait se sortir de là. tu t’avances vers le petit groupe, alors que certains de tes potes attendent en retrait pas trop loin.
un problème ? en direction du groupe. t’vois bien qu’il y a un problème, mais tu sais aussi que le simple fait de poser la question, de voir ta gueule et celle de tes potes suffira pour les faire fuir. parce que clairement, t’sais bien que ces petits bourges ne chercheront pas la merde avec toi. avec vous.

Tu détestais te retrouver dans cette position, encerclée de toute part et harcelée de tous les côtés par ces cons qui semblaient bien s’amuser. Tu ne craignais pas vraiment pour ta vie, les jeunes de leur genre, ils voulaient se payer d’ta tête, pas la défoncer mais tu restais sur tes gardes, ce serait la première fois qu’une mauvaise blague tourne mal. Puis tu étais la première à avoir lancé l’offensive, si les flics vous tombaient dessus maintenant, ce n’était pas toi qui saignait, ce n’était pas toi qui avait un papa derrière pour réparer les pots cassés et passer de la pommade. Alors t’étais là, le regard noir à essayer de te dégager avant de te faire repousser au centre tandis qu’un autre revenait te bousculer, esquivant mieux désormais tes coups qui pleuvaient sans crier gare.
« Un problème ? »
Bordel, encore un qui voulait se joindre à la fête ? Tu levais à peine le nez sur celui qui venait d’élever la voix, constatant non sans un certain désappointement qu’il n’était pas seul. Nouveaux adversaire ou justicier du soir ? Tu n’allais pas perdre ton temps à te poser la question et attendre la suite des évènements, tu profitais de la diversion pour filer un coup de genou directement dans les parties du type qui s’était immobilisé à côté de toi en t’oubliant le temps d’attendre que ses copains répondent à sa place. T’étais comme ça, tu attaquais en rat et non contente de lui avoir fait une omelette, tu lui crachais à la figure avec ta classe incontestée. « Et nique ta mère de ma part, connard ! » tes mots sonnaient dans la nuit comme une poésie moderne, tombée sur l’bitume comme une gerbe de délicatesse. Ta nouvelle offensive sembla rompre le charme car l’un d’eux, sans doute le réel meneur, annonça qu’ils se cassaient d’ici. Tu n’allais pas demander davantage de comptes, allant simplement récupérer ton sac que tu serrais contre ton ventre avant de lancer un regard désinvolte à ta bonne étoile. « Nan mais je gérais hein » Merci les mecs ? Non ? Non.

tu ne t’attendais pas à être le témoin d’un tel spectacle. mais tu dois avouer qu’au moins, ça met un peu de nouveauté et d’ambiance dans vos routines. parce qu’on ne va pas se mentir tes soirées sont souvent les mêmes et parfois, c’est chiant, c’est peut-être pour ça que t’as le besoin de changement et de mettre du piment dans ta petite vie.
en tout cas cette scène, elle te fait marrer. cette demoiselle qui se fait emmerder par des types qui ont l’air d’être bien loin de leur quartier d’origine. la gamine qui ne se laisse pas faire et les garçons qui doivent se dire qu’aujourd’hui, ils n’ont pas choisi la victime la plus facile, parce que clairement, ça se voit que c’est pas le genre de nana à se morfondre et à crier à l’aide. elle se défend, du mieux qu’elle peut et elle le fait bien. mais ils sont plus nombreux qu’elle et toi… toi tu sais pas trop pourquoi, après tout tu la connais pas, mais a ce qu’il parait c’est pas bien de laisser en galère une nana qui se fait emmerder, alors t’essayes d’aller voir si ça va, s’il y a un problème et pourquoi pas l’aider.
elle en profite pour mettre un coup à un des types, la ou ça fait mal, avant de lui cracher dessus. et nique ta mère de ma part, connard ! charmant, t’peux pas t’empêcher de penser en rigolant et tu te demandes si elle est courageuse, folle ou stupide ; si elle aurait fait la même chose si tu n’étais pas intervenue. bien que peut-être que oui finalement puisqu’elle a l’air d’avoir un putain de caractère. en tout cas c’est clair, ce soir ces types n’ont pas choisi la bonne personne a emmerder. au moins, la prochaine fois, ils feront plus attention.
et puis voila, ils jugent que c’est l’heure de s’en aller. et la gosse elle récupère son sac avant de se tourner vers toi. vers vous. non mais je gerais hein. petit sourire en coin que tu ne peux pas dissimuler. ouais rocky, excuses-moi la prochaine j’te laisserais te débrouiller. visiblement c’est pas le genre de nana qu’a envie qu’on l’aide. elle se débrouille seule, c’est ce qu’elle semble vouloir dire.

tu la regardes prendre son sac la gosse, le garder bien proche d’elle, comme s’il y avait des millions la dedans. des trucs à protéger. gamine qui en veut. gamine qui répond. qui provoque. qui se défend. tu l’as bien remarqué. alors quand elle te dit qu’elle aurait pu se débrouiller toute seule, ça te fait rire intérieurement. de toute façon, c’est pas comme si tu t’attendais à tes remerciements. t’as pas fait ça pour ça en tout cas.
le vrai danger avec ces mecs, c’est quand ils appellent leur mère. tu souris légèrement, elle n’a pas tort la demoiselle. c’est ça les gosses de riches. ils cherchent les problèmes, mais après c’pas eux qui les règlent. alors c’facile pour eux hein. tu lui lances assez convaincu de ce que tu avances. les injustices de la vie. le fait de naitre et de grandir dans une bonne familles. d’avoir des parents qui peuvent te sortir de tous les problèmes dans lesquelles tu te fourres. les gars qu’on pas besoin de forcer pour avoir ce qu’ils veulent. les gens d’en haut.
tu fais clairement pas partis de ces gens-là et la gosse, qui ne semble pas être très vieille, elle ne fait pas non plus ces gens-là.
t’fais quoi dehors à cette heure-ci ? qu’tu lui demandes, plus par curiosité qu’autre chose, parce qu’elle n’a pas l’air de sortir de boite de nuit. elle pourrait aussi bien te retourner la question en fait, parce que t’es là au lieu d’être chez toi. comme elle. mais elle, elle a l’air jeune, très jeune pour trainer dehors aussi tard. la nuit est déjà bien avancée et c’est pas toujours sûr les rues du queens à une heure pareille.

Il est venu t’aider mais ce n’est pas pour autant que tu baisses ta garde, méfiante comme une bête sauvage face à l’homme. Ce n’était pourtant pas la première fois mais justement, tu as su apprendre à tes dépends qu’une main qui caressait pouvait aussi bien frapper. Alors tu n’étais pas encore prête à ranger tes dents, serrant contre toi ton sac comme dernier rempart. Il n’avait pas l’air méchant mais il était trop tôt pour décider de lui faire confiance et sans doute trop tard dans la nuit où tous les chats devenaient gris. Ta petite boutade dédaigneuse eut au moins le mérite de le rallier à ta cause. Et lui, où se situait-il dans la hiérarchie sociale ? Pas tout en haut visiblement mais tu ne jugeais pas sur les apparences, tu ne te laissais pas gouverner par les clichés et préjugés. « ouais c’facile » que tu répétais, gardant pour toi la remarque sexiste sous-entendant que c’était surtout plus facile avec une paire de valseuses entre les jambes mais tu préférais ne pas pousser le vice.
Ta conversation n’était pas très fournie du coup, tu ne faisais jamais trop d’effort pour paraître plus sympathique que tu ne l’étais réellement, tu ne t’embêtais pas avec l’hypocrisie, pas d’temps pour niaiser comme ça ! « Bah rien, tu veux qu’j’fasse quoi ? » questionnais-tu en retour, ça te semblait tellement évident que tu n’imaginais même pas qu’on puisse ne pas remarquer du premier coup d’œil que tu vivais à la rue. « Et toi, elle va pas te rosser si tu rentres tard dans la nuit ? »

ouais c’facile, elle confirme ce que tu dis, et tu n’es pas surpris. parce que les gens comme vous deux, c’est tout le temps ce qu’ils pensent. a tort ou à raison. et tu lui demande ce qu’elle fait dehors à cette heure-ci. c’est pas que t’es inquiet pour elle, c’est juste de la curiosité.
bah rien, tu veux qu’j’fasse quoi ? t’en sais rien toi. elle pourrait faire ce qu’elle veut au final que ça changerait rien pour toi. et plus tu la regardes, plus te vois que c’est peut-être pas la nana qui a un endroit où rentrer lorsque la nuit tombe. qu’elle est peut-être de ceux qui errent dans les rues sans trop savoir où aller. et toi, elle va pas te rosser si tu rentres tard dans la nuit ? elle. tu sais pas qui ce elle pourrait bien signifier. ça pourrait être ta mère, celle qui ne fait pas parti du tableau familial. ou la petite amie que tu n’as pas. t’as personne qui t’attend réellement chez toi. ça dérangera personne que tu rentres ou pas. tu fais bien ce que tu veux. j’sais pas, j’te connais pas. t’vas errer dans la rue en attendant que le jour arrive ? t’en sais rien, tu proposes juste et tu t’attends pas spécialement à une réponse de sa part. la gosse, elle n’a pas l’air d’être des plus aimables. elle qui ? tu demandes dans un premier, sans attendre une fois de plus de réponse. j’peux rester aussi tard que j’veux, personne m’attend. ça parait presque trop pathétique dit comme ça, mais au fond, il n’en est rien. un mode de vie qui te satisfait.

Le jeune homme ne te faisait plus vraiment peur. Non, ce n’était pas de la peur qu’il t’inspirait, davantage de la méfiance comme pour tous les hommes que tu croisais une fois la nuit tombée. Tu t’en méfiais comme la peste car pour certains, tu n’étais guère plus qu’une chiure salissant leur belle semelle de cuir, ils pouvaient bien marcher dedans à leur guise, te piétiner, t’écraser, te détruire. Ça ne serait guère plus qu’une éclaboussure fâcheuse pour eux. Toi non. Lui ne semblait pas être de ce genre-là alors tu te permis de te détendre un peu, peut-être te mettre moins sur la défensive aussi, ça ne te ferait pas de mal.
Alors tu la tirais finalement de ton sac, la clope qui t’avait causé tant de problèmes et sans rien lui proposer, tu te l’allumais, restant quelques secondes silencieuse tandis que la fumée emplissait tes poumons avant de revenir quitter tes lèvres en volutes grisâtres. « Ouais je vais faire ça, exactement ça » confirmais-tu te rendant compte qu’il avait plutôt bien résumé tes nuits en quelques mots seulement. Tu irais peut-être dormir au squat quelques heures, à voir. Tu verrais selon ta motivation à bouger. « Ta mère ou ta go, je sais pas moi » repris-tu à sa question, précisant ta pensée. Celle qui l’attendait sans doute chez lui. Sauf qu’il n’avait personne finit-il par dire. « Et du coup, comment tu tues l’temps toi ? » questionnais-tu, soufflant de la fumée au-dessus de ta tête, curieuse de voir comment il occupait ses soirées lui.