drop the game (bilal)

(le cœur en bataille,)
les cheveux en désordre,
les yeux qui ne disent plus rien.
(la voix égorgée par les cris,)
les jambes épuisées d'avancer,
l'âme grisée par cette nuit.

il est très tard le soir, peut-être tôt le matin. des ombres se dessinent sur les arbres élancés dans un fond d'horizon, des pigments nitescents réchauffent les contours d'un paysage qui grandit au fil des mètres parcourus. le soleil traîne encore dans ses draps et le flash du téléphone d'eden sert pour seul éclairage sur cette route de campagne. elle liquide ses forces au milieu de la double-voie, anémie son endurance un peu plus à chaque pas mais poursuit. sans arrêt. dans l'espoir de rencontrer quelqu'un, dans le désir de rentrer chez elle, dans le caprice d'un confort qu'on ne lui aurait jamais proposé là où elle était. la soirée a été raide. sous ecstasy, eden a cédé à la promesse d'un paradis, pour la réalité d'un enfer. ce n'est rien. seulement qu'un nouvel assaut de vaincu. poupée solide au corps froissé. on a encore donné des coups contre son audace, frappé sa peau pour faire taire ses mots amers, écorché sa chair devant ses pulsions provocatrices. on l'a encore abîmée. des bleus aux bras, une balafre sur la clavicule, la lèvre sanguinolente. puis - pourtant d'habitude si jolie, elle ne se traîne plus que dans ses collants émaillés et son pull trop grand. c'est le bruit d'un moteur qui parvient enfin à stimuler son attention, rendre un peu d'éclat dans ses yeux qui ont fini par s'abandonner sur le fil de la ligne blanche qu'elle suivait jusqu'alors. elle laisse son sac tomber de son épaule et s'écraser sur le goudron troué - déterminée à faire stopper la voiture qui avance dans sa direction. la rescapée d'une sorgue tortionnaire reste plantée au milieu de la route, agitant son flash en tout sens pour prévenir de sa présence mais surtout pour inciter à l'arrêt. le seul véhicule qui passe devant elle en une douzaine de kilomètres de marche, il n'est pas envisageable qu'elle ne monte pas sur l'une des places passagères. si la voiture s'avère être pleine, elle montera dans le coffre, sur le capot ou sur le toit. mais rien ne l'empêchera de ne pas forcer le conducteur à l'emmener dans le queens. "hé !" qu'elle gémit, alors que le mime de ses lèvres ne se fait quasiment qu'illisible à travers le faible éveil des lueurs aurorales.

les boum boum de l'intérieur raniment sa conscience amorphe. le bolide s'arrête sur la côte, la vitre s'abaisse, le conducteur s'adresse. "ça va ? t'as besoin qu'on t'prenne quelque part ?" ça va, qu'il demande. qu'il s'inquiète. il sent l'alcool, mais pas les cocktails, plutôt les shooters qui se sont enchaînés coup après coup. lui, l'autre rescapé d'une nuit ravageuse, en route vers demain. eden, elle reste plantée devant sa bagnole, à le regarder, lui, dans le blanc des yeux. ça fait combien de temps, qu'on ne lui a pas demandé comment elle va ? comment son corps vit, comment son cœur bat ? dear flore. je suis fanée. comme une fleur d'hiver qu'on a tué avant le printemps. a r r o s e z-moi. f l e u r i s s e z-moi. c u e i l l e z-moi. "j'suis toujours en vie." après des secondes de silence. elle tente un sourire, un sourire qui lui rappelle qu'elle a encore le contrôle, eden. qu'elle peut encore manipuler son visage et jouer des maux. elle éternise pas le compte-rendu sanitaire, elle se penche juste pour récupérer son sac puis elle contourne la vago accidentée pour rentrer à l'intérieur.  "putain." qui s'échappe, quand elle s'assoit enfin. il lui semble que tout le poids du monde accable ses jambes et que les caresses fiévreuses soufflées par le chauffage lui dégèle les membres. ses phalanges tremblantes couleur vermeil viennent gratter les contours abîmées de sa bouche ensanglantée. cruor sur empreintes, fichée d. "tu roules jusqu'au queens ?" les mots lui font mal. elle s'humecte les lèvres alors que ça pique. mais elle s'abandonne, eden. elle s'accoude à la vitre, passant la main sur son front. usée. le moteur grogne, le bolide reprend trajet. ses yeux vacillent, mais quand elle fait tomber ses paupières, le noir l'effraie. elle ne veut pas s'endormir avant d'être complètement en sécurité. alors, elle balade le regard où elle peut, où les couleurs naissent, où ça interpelle. elle tombe sur les souvenirs ramenés de soirée, et sa main, s'avance sans permission jusqu'aux cheveux du conducteur, qu'elle secoue délicatement pour en faire tomber des étincelles. "t'as des paillettes." aussi simplement. elle ramène sa main sur sa cuisse, découvrant les accrocs sur ses collants qui lui rappellent sur l'instant sa sorgue nocive. elle imagine que lui, a dû passer une meilleure nuit. pincée d'une douce jalousie.