Arlene, la fausse simplicité.

New-York/ Son port d'attache.  Les rues bruyantes et bondées, les quartiers qui l'ont vue grandir. Ce bar dont les tables ont soutenues son poids plus d'une fois alors qu'elle dansait, un verre à la main, une copine de chaque côté. Ce parc qui a été le témoin de ses balades nocturnes et de quelques baisers langoureux. Cette fac dans laquelle elle est arrivée jeune adulte et est ressortie diplômée. Les boutiques qui ont raison de son bon sens à chaque fois. Les taxis qui l'ont emmenés d'un bout à l'autre de la ville. New-York, tous ses repères, les géographiques et les sentimentaux. Sa famille, ses amis, les premiers émois et la seule grande histoire. Si l'idée de la quitter lui a déjà traversé l'esprit, vivre ailleurs n'a jamais été une réelle option.

Famille/ Fille unique. Parents présents, aimants, parfois intrusifs, mais encourageants. Si tu te plantes, tu recommences. Tu peux le faire. Nous avons confiance en toi. Famille unie, famille les pieds sur terre, famille avec des principes. Arlene porte le nom Curtis mais n'oublie pas qu'elle est née Kaplan. Ce qu'ils lui ont transmis, elle le garde précieusement, attend de pouvoir le transmettre à son tour. "Fille à papa", plus qu'elle ne veut bien l'admettre, il est rare qu'une semaine passe sans qu'elle ait communiqué avec ses parents. Ces derniers temps, elle peine à leur parler. Son mariage semble faire naufrage, et comment leur dire ? Impossible. Inenvisageable. Alors les visites se font plus rares, les appels durent moins longtemps, et elle tait le plus important.

L'enseignement/ Pas une réelle vocation à la base, elle a mis les pieds dedans par hasard, et c’est devenu une évidence. Arlene a suivi un cursus de lettres, spécialisée dans la littérature anglaise et a suivi de nombreux ateliers d’écriture durant ses études. Sa réelle passion, ce qui la prend aux tripes, ce sont les mots. Elle lit partout, dans le métro en allant au travail, pendant ses pauses, dans les cafés, assise sur un banc ou debout dans une file d’attente, dans son lit le soir. Sa maison regorge de livres, elle en entame parfois plusieurs à la fois et en a toujours un dans son sac. Arlene ne fait pas que lire, elle-même écrit. Des tonnes d’histoires inachevées, dans son ordinateur ou sur des cahiers. Des poèmes, des nouvelles, des ébauches de romans. Sa limite, c’est son manque de confiance en elle. C’est comme un murmure incessant qui répète « tu n’as pas le talent nécessaire, tes phrases sont plates, tes histoires n’ont aucun sens, arrête ». Elle n’ose pas faire lire ses écrits et pourtant rêve d’être un jour publiée. En attendant, elle transmet, elle enseigne, elle invente mille et une manière de rendre la langue intéressante aux yeux de ses élèves. L’un d’eux aura peut-être la foi dont elle manque.

L'amour/ Pacôme, c’est sa seule relation d’adulte. Avant lui, elle a connu ses premiers émois, et les amours qui paraissent éternels. Mais avec Pacôme, elle a tout de suite compris que ce serait différent. Un coup de foudre. Alors elle s’est demandé si elle n’avait pas lu trop de livres, vu trop de films à l’eau de rose dont le romantisme aurait fait grillé son cerveau. Les jours ne semblaient pas ébranler ce premier sentiment, cette conviction qu’il était fait pour elle et ses questions se sont évanouies dans le rose bonbon d’une relation toute neuve. Pacôme et son immense famille qui l’accueille à bras ouvert, Pacôme et son caractère à la con qui à ses yeux est adorable, Pacôme et la promesse d’une vie à deux. Les oiseaux chantent, les cloches sonnent, les voilà mariés et amoureux, si amoureux. Une multitude de projets, des soirées-canapé, des sorties à deux, des vacances à dix, une routine dont on pense qu’on ne se lassera jamais. Les années défilent. Le temps efface les certitudes, le quotidien injecte lentement son venin. Un matin, Arlene se réveille, et tout à changé. L’amour ne froisse plus les draps, les voilà même froids. Les rires ne fendent plus la pièce, dans laquelle règne un silence pesant. La télévision à remplacé les conversations, les sorties entre copines ont pris la place des dîners en tête à tête. Arlene s’éteint dans la maison qui était son cocon, a l’impression de perdre chaque jour quelques centimètres et de devenir minuscule. Elle se bat, pourtant. Elle n’admet pas la défaite, elle refuse de perdre la bataille, de laisser son histoire d’amour au fond du tiroir avec celles qu’elle n’a jamais fini d’écrire. Elle cherche des solutions, du soutien, une étincelle dans les yeux de Pacôme. Comme figée devant l’inévitable catastrophe qui se profile, incapable de détourner les yeux.

Famille bis/ Arlene s'ouvre, donne, reçoit, aime. Etre son ami, c'est obtenir une confiance aveugle et un respect sans faille. Ceux qu'elle a connue jeune lui ont donné l'amour-propre dont elle manquait, ceux qu'elle a connu plus tardivement l'ont fait grandir sur tous les fronts. Ils ont pansé ses blessures quand elle n'y arrivait pas seule, félicité chacune de ses réussites,  bravé le temps qui passe et qui emporte les souvenirs. Arlene n'a pas l'âme solitaire. Toujours entourée, toujours besoin de partager. La solitude l'effraie autant que l'abandon. Pas de trauma connu dans l'enfance ni d'événement particulier, seulement l'angoisse est bien présente.

En vrac/ Elle a le permis de conduire et une voiture qui sort du garage deux fois l'an, caprice d'adolescente. Plusieurs petits jobs l'ont aidée à financer ses études, elle refusait de laisser tous les frais à ses parents. Elle a surtout voyagé au travers de ses lectures mais rêve d'aventures et  de découvertes. Arlene veut des enfants, au pluriel, être fille unique a longtemps été une frustration. Pour en avoir plusieurs, encore faudrait-il commencer par en avoir un, mais chaque test est négatif et à chaque mois qui passe, c'est un peu d'espoir qui s'envole. On la croit timide, il n'en est rien. En réalité elle observe minutieusement avant de décider si une personne est "ok". Pas évident de trouver sa place dans la tribu de son époux pour cette fille unique, et pourtant aujourd'hui elle se sent chez elle avec les Curtis. Son premier rendez-vous chez la psychologue date d'il y a huit mois, en ce moment elle s'y rend une fois par semaine - seule, et ce n'est pas faute d'avoir demandé à Pacôme de participer aux séances avec elle.