Derrière chaque grand homme se trouve une femme, qui roule des yeux. - Warston

♛ Hold onto me.

Nikolaï est incapable de se contrôler, elle le sait. Peu importe ce qu’il peut dire, peu importe tout ce qu’il peut prétendre. Peut-être arrive-t-il à se persuader lui-même mais, elle, elle est beaucoup moins naïve. Elle sent bien qu’il est trop impliqué, trop touché par la mort de son coéquipier pour avoir les idées claires. Alors c’est à elle de les avoir. C’est à elle d’entrer en jeu. Et, sans s’en rendre compte, elle agit comme une partenaire de vie, comme… Une épouse. Et non, comme une maîtresse. Mais elle n’y pense pas, Isa. Elle fait ce qu’elle fait bien rarement, elle agit sans réfléchir. Elle sait écouter son intuition mais elle n’est pas si téméraire d’ordinaire. Elle n’a même pas conscience des risques qu’elle prend. Comme si ce qu’elle ressentait pour Nikolaï lui effaçait toute raison, comme si sa relation avec lui primait sur tout le reste. Et c’est peut-être le cas. C’est ce qu’elle prouve, en tout cas, en suivant cet homme qu’elle ne connaît pas jusqu’aux toilettes du bar. Tout ce qu’elle sait de lui, c’est qu’il fait partie d’un réseau important de trafic. Elle ignore même quel trafic, s’il s’agit de drogue, d’armes… Ou de pire encore. Mais cela ne lui importe pas. Tout ce qu’elle veut, c’est un lieu. Un endroit. Une adresse. N’importe quoi qui pourrait tous les faire arrêter, tant que cela éloigne Nikolaï de cette idée de vengeance. Arrivé à l’intérieur, le jeune homme l’attire jusqu’à lui. – Hum, tu sais, t’étais pas obligée de me renverser un truc dessus si t’avais envie qu’on se retrouve en tête à tête. Elle supporte mal son haleine alcoolisée, encore moins ses mains baladeuses. Mais elle lui sourit d’un air faussement innocent. Elle joue parfaitement bien à la femme aguicheuse… Elle a juste à dire et faire tout le contraire de ce qu’elle est. – Non, je t’assure que c’était involontaire… Je voulais réparer ma bêtise. – Laisse tomber cette tache. Il ne lui laisse pas le temps de dire un mot qu’il vient l’embrasser goulûment. Elle se fait violence pour prolonger son baiser. Mais quand il laisse glisser sa main contre sa cuisse, nue, elle sent un frisson d’effroi l’envahir. Peut-être que ce n’était pas une si bonne idée, tout compte fait. – Attend, je ne peux pas… Il s’arrête pour la regarder, l’air quelque peu froissé. – C’est toi qui es venue m’allumer ! Une réponse, vite ! – Parce que j’en ai très envie… Tu parles. Mais elle glisse sa main contre le torse du jeune homme alors qu’elle reprend, avec cette voix frivole qui n’est pas du tout la sienne. – Je t’ai repéré depuis tout à l’heure, mais y’a mon copain, et en plus il connaît tout le monde ici tu comprends… Elle retrouve l’intérêt de son interlocuteur. – Oh, j’vois. Faut qu’on s’trouve une piaule alors. – Tu habites où ? demande-t-elle le plus naturellement possible. Et, en même temps, elle joue de ses caresses et de ses regards pour le déboussoler un maximum. Il n’empêche qu’il a l’air d’hésiter, mais il répond enfin. – On crèche pas trop loin avec mes potes, mais y’a pas mal de mouvement là-bas. Tu m’étonnes. Elle comprend qu’elle est proche de savoir. Elle approche son visage du sien pour lui voler un baiser, le dernier, elle espère, avant de murmurer contre ses lèvres. – Donne-moi l’adresse, je t’y rejoins tout à l’heure. Il la regarde, il paraît beaucoup hésiter. Il sait sûrement au fond que ce n’est pas raisonnable. – Et chez toi alors ? – Bah non, il y a mon mec. – Ah oui, j’suis con ! Bon, ok, j’te la donne mais tu fais gaffe à c’qu’ils te voient pas quand t’arrives ! – Pas de problème ! Bon sang, elle est tellement contente. Elle attrape son téléphone portable pour le passer à son interlocuteur qui note rapidement une adresse dessus. – J’te mets aussi mon numéro, au cas où. Mais t’as intérêt de te pointer ma belle. Il rêve tout haut. Mais elle lui sourit et lui en fait la promesse avant de s’échapper enfin de son emprise. Elle ne se rend compte qu’à ce moment à quel point les battements de son cœur se sont accélérés. Elle est immensément soulagée lorsqu’elle sort enfin de cet endroit. Ne lui reste plus qu’à retrouver Nikolaï…

♛ Hold onto me.

Quelques minutes… Cela n’a duré que quelques minutes. Pourtant, quand elle sort de ces toilettes, Isabella a la sensation qu’elle y est restée bien plus longtemps. Elle est quelque peu chamboulée par tout ce qui vient de se produire. Une partie d’elle est heureuse, rassurée surtout. Elle a réussi à obtenir ce qu’elle voulait. Peut-être qu’enfin, Nikolaï laissera tomber l’idée de vengeance. Arrêter toute un gang fera bien plus de bien au monde que de tuer un seul membre de la bande. Mais elle est aussi remuée par ce qu’elle vient de vivre. Elle se rend compte que, quelque part, c’était normal pour elle. Embrasser quelqu’un dont elle n’avait pas du tout envie pour une autre raison. Comme si, ce qu’elle a subi durant son adolescence faussait son regard sur la situation, comme si… Ce n’était juste qu’un moyen de survie comme un autre. Elle cligne des yeux et prend une profonde inspiration, comme pour se calmer. Mais c’est sans compter sur son amant qui se trouve subitement face à elle. Elle qui ne l’a même pas vu arriver, encore trop déboussolée. Il lui attrape le bras pour l’entraîner avec lui un peu plus loin. Son premier réflexe, après ce qu’elle vient de vivre, c’est de tenter de se dégager de son emprise, instinctivement, comme si elle ne le reconnaissait pas tout de suite. Mais il est fort et imposant alors qu’elle est si frêle. – Tu me fais mal… proteste-t-elle vainement avant qu’il ne la lâche enfin. Et, tout de suite, il commence à lui faire un sermon. Non, en fait, il est vraiment en train de l’engueuler comme il pourrait le faire avec une enfant. En temps normal, elle lui ferait très vite comprendre qu’il n’a aucun droit de lui parler de cette manière. Elle devrait surtout le rassurer, le calmer. Lui dire, au moins, qu’elle a obtenu les renseignements dont ils ont parlé. Mais, à la place, elle reste obstinément silencieuse. Elle l’écoute bien, elle entend ce qu’il dit, mais c’est ses mots lui passent au-dessus. Elle a l’impression d’être prise en faute. Elle déglutit difficilement alors que son regard accroche enfin le sien, vulnérable et perdu. – Est-ce qu’on peut partir d’ici ? C’est la seule chose qu’elle lui répond, la seule chose qu’elle demande. Elle en a besoin. Elle se sent étouffée dans cet endroit.

♛ Hold onto me.

Elle n’a pas réfléchi. Elle a laissé parler son instinct. Elle a rejoint cet homme avec l’idée précise d’obtenir une adresse de sa part. Elle savait qu’elle devrait jouer de ses charmes, ne serait-ce qu’un minimum. Elle savait qu’elle n’allait pas se retrouver dans une situation agréable. Mais elle n’a pas réfléchi, non. Elle n’a pas réalisé l’ampleur de son idée, pas avant de l’avoir réalisée. Et elle se sent mal, maintenant, mal d’y être… Si facilement parvenue. C’est difficile à expliquer, sans doute plus encore à comprendre. La vérité, c’est qu’elle sait qu’elle ne devrait pas être capable de faire si aisément une chose pareille. Elle n’est pas une policière aguerrie, elle n’est pas non plus une comédienne de talent. Elle est juste une femme qui a appris il y a longtemps déjà, à ses dépens, combien le sexe peut être un instrument du pouvoir. Ce qui vient de se produire la ramène des années en arrière, à l’époque où elle n’était qu’une adolescente fragile et à la merci d’un père monstrueux. Elle n’est plus cette adolescente, elle a grandi, elle a évolué. Elle a évacué ces souvenirs de sa vie comme on voudrait cacher une tache sur une moquette. Elle a juste posé un voile dessus, sans jamais en parler, sans jamais avouer. Avouer, comme si c’était elle, la coupable. Elle refuse même d’y penser, habituellement, mais ce soir… Ce soir était la preuve flagrante qu’elle est loin d’avoir guéri de cette souffrance. Elle est toujours là, en elle, impactant ses pensées, ses actions. Elle toute entière. Elle et ses tourments, présents plus que jamais, jamais devant un homme. Jamais devant Nikolaï. Nikolaï, elle l’a totalement oublié. Il est là, devant elle, à lui lancer tous les reproches du monde, à tenter de lui ouvrir les yeux sur les risques démesurés qu’elle a pris. Mais elle ne l’écoute pas. Elle entend des bribes de mots, elle essaye de se concentrer dessus, mais c’est comme s’il parlait une autre langue, une langue qu’elle ne comprend plus. Elle n’est plus là, avec lui. Elle se retrouve des années en arrière, avec son père. Alors qu’il l’assaille d’une nouvelle vague de reproches, elle ne réagit toujours pas. Elle croise, enfin, son regard. Ce regard océan, rempli de profondeur et d’intensité, ce regard qu’elle aime tant. C’est ce regard qui lui fait retrouver la réalité, une réalité encore altérée mais, au moins, elle sait qu’elle est avec lui. Et, tout ce qu’elle lui demande, sans lui répondre une fois encore, c’est de partir. Le regard de Nikolaï change immédiatement. Comme si elle avait dit les mots qu’il fallait. Ou peut-être est-ce la façon dont elle les a dit qui les a rendus si forts. Les prunelles emplies de douceur, il vient poser sa main contre son bras avec tendresse. Il veut savoir. Encore. Elle entend cette fois. Elle secoue la tête, de gauche à droite, pour lui dire non. Non, il ne lui a pas fait de mal. Peut-être qu’elle s’en est fait toute seule. Dans une supplique, elle reprend, cet air toujours si fragile sur le visage. – S’il-te-plaît. Elle ne sait pas comment, ni pourquoi, mais il accepte subitement. Il l’entraîne jusqu’à la sortie du bar. Et, enfin, elle peut respirer à nouveau normalement. Elle s’éloigne encore et encore, autant qu’elle le peut, de cet endroit alors qu’il continue de l’interroger. Elle sent la colère dans sa voix, et c’est elle qui la pousse enfin à réagir. – Non ! Non, je t’assure qu’il ne m’a fait aucun mal. Il croyait que c’était ce qu’elle voulait. Il s’est arrêté dès qu’elle l’a demandé. Non, vraiment, elle n’a rien à reprocher à cet homme. Elle sort son téléphone portable de son sac à main, pour lui montrer la petite note inscrite. – C’est l’adresse où ils ont élu domicile. Il semblait vraiment inquiet que ses amis découvrent ma présence. Et… Il a dit qu’il y avait beaucoup de remue-ménage aussi. Elle se remémore toutes les informations. Comme si elle retrouvait enfin la réalité. Comme si c’était ça, le plus important. – J’ai son numéro de téléphone aussi, si tu veux le localiser, je ne sais pas si tu en as besoin mais… Elle ne termine pas sa phrase. Elle se sent fatiguée. Vidée de ces émotions qu’elle n'attendait pas.

♛ Hold onto me.

C’est pour lui. C’est uniquement pour lui qu’elle a pris tant de risques. Elle ne mesure pas elle-même l’importance de ses actes, et tout ce qu’ils peuvent bien signifier. Elle ne réalise pas que, ce soir, elle a prouvé bien plus de choses à Nikolaï qu’elle ne l’a jamais fait, avec aucun homme. Tout ce dont elle a conscience, c’est qu’il avait besoin d’elle. Qu’il l’admette ou non, qu’il le sache ou non, il avait besoin d’elle. Il aurait pu faire quelque chose de mal, quelque chose qu’il aurait regretté le restant de sa vie. Il aurait pu tout perdre en une fraction de seconde. Alors, sans aucun doute, si c’était à refaire, Isabella le referait. Mais elle n’imaginait sûrement pas être si bouleversée. Elle n’a pas réfléchi, elle a laissé parler son instinct, car il est plus fort que tout quand il s’agit de cet homme. Elle, elle s’en remettra. Elle se remet toujours. Mais Nick insiste pourtant, il lui demande pour la énième fois ce qui a pu se passer. Il veut même savoir si l’autre homme l’a touchée, et d’une certaine manière c’est largement le cas. Mais pas plus qu’elle ne l’a fait, peut-être même que c’est elle qui a été la plus entreprenante. Seulement ce n’est pas le plus important. L’essentiel, c’est qu’elle a obtenu ces informations qui pourront, elle l’espère, suffire à convaincre son amant d’oublier cette histoire de vengeance. Il semble surpris qu’elle y soit parvenue. Pas vraiment ravi de l’entendre. Il la remercie, certes, mais tout ce qui le préoccupe, c’est elle. Mais elle ne veut pas de toute cette attention, Isa. Elle veut juste… Oublier ce qui vient de se passer. Comme elle l’a toujours fait. – Cela n’a aucune importance. lui assure-t-elle pour évacuer toutes ses questions. Elle arrive, peu à peu, à retrouver une certaine contenance. Voilà, c’est en train de passer. C’est ce qui compte, non ? Non. Elle voit le regard de Nikolaï posé fixement sur elle, ce regard qui paraît vouloir la sonder pour lire à travers elle ce qu’elle ne dit pas. Ce regard qui la déstabilise à chaque fois. Elle tente bien de lui faire face. Mais il ne lâchera pas l’affaire. Tant qu’elle ne lui expliquera rien, il continuera de l’interroger. Alors elle prend une petite inspiration avant d’avouer enfin. – Il voulait coucher avec moi. J’ai prétendu que je ne pouvais pas ici parce que mon… Petit-ami était là. Mais il a accepté que je le rejoigne plus tard, chez lui. C'est tout. C’est un résumé extrêmement simplifié de ce qui s’est produit. Mais à quoi bon lui décrire la manière dont elle a usé de ses charmes ou bien du désir de cet homme. Nikolaï n’est pas naïf, il doit bien se douter qu’elle ne s’est pas contentée de parler. – Ce n’était pas le moment le plus agréable de ma vie mais je vais bien. Je t’assure que je vais bien. dit-elle comme pour le rassurer. Ou se rassurer elle-même, elle ne sait plus trop.