shiloh / don’t ghost me.

01/ avant l'accident de cet été, il a toujours eu la vie dont n'importe quel gamin rêverait. né dans une grande villa, chouchouté par ses deux parents, il n'a jamais manqué de rien. quand il voulait quelque chose, il n'avait qu'à le demander et il l'obtenait. c'était aussi simple que ça. mais sa petite vie parfaite, partagée entre les expériences scientifiques maison et les soirées cinéma en famille, ne fut plus qu'un souvenir pour lui quand ses parents trouvèrent la mort dans un banal accident de voiture. une simple collision, celle dont on se croit immunisé par on ne sait trop quelle croyance débile. 02/ suite aux funérailles, pendant lesquelles tout le monde lui jeta des coups d'oeil attristés et compatissants — pleins de pitié —, on le plaça chez son oncle maternel, un type pas foncièrement mauvais, mais avec qui le courant ne passait pas trop entre lui et shiloh. en fait, il n'a jamais été proche de lui, à un point tel qu'avant la tragédie, il galérait à mettre un nom sur son visage quand il le voyait dans les réunions de famille annuelles. alors il s'est fait petit, shiloh. il ne s'est pas plaint, n'a pas tapé du pied comme un gamin. parce que ça n'aurait rien donné, sinon foutre la merde sous son nouveau toit. alors il a encaissé, en silence, parce qu'allez, il n'y avait que ça à faire. 03/ il y a une personne, par contre, qui lui donne espoir : son grand frère biologique, azhar, qu'il ne connaît que par les paroles de ses défunts parents, qui ont été forcés de l'abandonner à la naissance, leurs propres parents désapprouvant ce fils conçu dans l'alcool. il faut ici préciser que le couple rhimes était bien trop jeune pour élever un enfant, sortaient tous deux à peine du lycée. tout de même, ils l'auraient sans doute autant aimé qu'ils ont aimé shiloh... au lieu de ça, azhar a grandi dans une famille d'accueil sans jamais connaître ses parents. il n'a pas mal tourné, faut pas croire. au contraire, il a vite collectionné les éloges quant à son art, la peinture. il est devenu un beau jeune homme, que shiloh ne peut s'empêcher d'admirer. il possède un cahier dans lequel il colle tous les articles de journaux mentionnant son frère, ce frère de sang qu'il n'a jamais connu. depuis qu'il est au courant de son existence, c'est-à-dire depuis que ses parents l'ont jugé assez grand pour lui en parler, il rêve de le rencontrer en chair et en os. comme une idôle qu'on veut à tout prix toucher, palper de ses doigts, pour se dire, ouah, il existe vraiment, il respire le même air que moi. 04/ après la mort de ses parents, il a cru que tout irait mieux au fil des semaines. il a été assez naïf pour gober les belles paroles de la psy qu'il a été forcé de consulter. il a essayé d'être positif : il avait un toit au-dessus de sa tête, trois repas par jour, des résultats scolaires certes loin d'être excellents, mais suffisants... pourtant, ça n'allait pas, pour shiloh. il sombrait jour après jour, ses grands yeux sombres fixaient le vide, il n'écoutait personne, il n'écoutait rien sinon les voix dans sa tête qui lui chuchotaient qu'il n'était qu'un bon à rien, qu'il avait tout perdu, qu'il était seul au monde, que son grand frère se fichait sans doute de lui en fait, qu'il méritait ce qui lui arrivait. des voix qu'il n'arrivait jamais à vraiment faire taire. elles étaient là, c'était tout. et ses parents, eux, ne l'étaient plus. 05/ il aurait pu baisser les bras. mais non. non, shiloh, lui, s'est repris en main. comment? lui-même l'ignore. il sait seulement qu'un jour, il en a eu assez de sa nouvelle vie, fade et monotone, où il n'avait pas sa place. pour remonter la pente, il devait faire quelque chose, n'importe quoi. sinon, il en crèverait. alors un soir, il a fait son sac, s'est glissé par la fenêtre de sa chambre, minuscule comparée à son ancienne chambre, puis s'est retrouvé à l'air frais, les oreilles envahies par le grésillement des criquets. désormais, il serait un gamin libre. libre de ses propres choix. le coeur léger, il s'est mis à errer dans la ville, à la recherche de nul autre qu'azhar, le grand frère tant adulé. la seule famille qui lui reste. azhar, son phare dans la nuit. 06/ les fantômes le fascinent. en fait, ça va plus loin que ça : il y croit dur comme fer, il est persuadé que nous ne sommes pas seuls, qu’il y a une vie après la mort. il passe beaucoup de temps sur les forums de discussion avec des gens aussi passionnés que lui, à analyser des témoignages et à analyser des photos et des vidéos. certains diront que ce drôle de passe-temps tient de la mort récente de ses parents et peut-être que c’est vrai. peut-être qu’au fond de lui, il cherche juste un moyen de dire au revoir à ses parents pour la dernière fois. dans une moindre mesure, les aliens et les théories du complot l’intéressent également. 07/ sa série préférée est doctor who. il possède le screwdriver d’eleven. 08/ c’est un grand fan de harry potter. il a même développé un rituel : en septembre, il relit les sept livres et re-regarde les huit films, même s’il connaît l’intrigue et les répliques par coeur. d’ailleurs, il possède au moins dix comptes sur pottermore tant il a fait re-fait le test pour savoir dans quelle maison il appartient : le fait est qu’il est chaque fois tombé sur une maison différente. alors bon, il ne sait pas trop s’il est un serpentard, un gryffondor, un serdaigle ou un poufsouffle — ne vous moquez pas, c’est le drame de sa vie. 09/ depuis qu’il est enfant, il vise la fac de médecine à harvard, rien de moins. il veut réussir dans la vie, ce petit. mais bon, il faudrait déjà qu’il arrive à décrocher son bac au printemps prochain et ce n’est pas gagné avec tous les cours qu’il a manqués dernièrement… 10/ récemment, il a recommencé à dormir avec pluton, son vieil ourson en peluche, tout simplement parce qu’il lui rappelle ses parents, l’époque où ils étaient encore là. certaines nuits, quand la douleur est trop forte, il serre pluton très fort contre son cœur, ça le réconforte un peu. évidemment, c’est un secret; ce serait la honte si on découvrait qu’à son âge, il dort encore un ourson en peluche.