let me touch your fire. (cass)

new-york est de ces villes dévorées par les mafias et les gangs. invisibles, discrets, ils ne se font remarquer que lorsqu'ils l'ont décidé. et c'est ainsi qu'ils se partagent le gâteau en parts distinctes.
les territoires sont décidés ou ont été décidés longtemps à l'avance, et ils n'ont plus qu'à faire des partenariats ou à payer le droit d'y séjourner ou d'y passer.
c'est une sorte de monopoly géant qui fait froid dans le dos.
et quand on a la chance ou le malheur d'être sur la route d'une de ces mafias, on n'a plus qu'à se plier aux règles éditées.
alors quand la ms-13 a contacté kaz pour une énième mission – comme si la protection de la gamine n'était pas suffisamment prenante, ou la falsification de preuves suffisamment dangereuse – concernant les genovese, kaz a presque supplié pour des informations supplémentaires.
une mafia concurrente. une mafia avec qui les tensions sont presque palpables.
- je vais devoir faire quoi?
il avait demandé, à la fois résigné et farouche. le corps se crispait déjà dans l'attente de la mauvaise nouvelle, d'une mission trop délicate pour kaz et qu'il devrait quand même mener à bien – pour la vie de jean.
et c'est là que c'était tombé.
- tuer la fille. débrouille-toi pour trouver son identité.
la voix monocorde, les opales menaçantes, et kaz qui en vient presque à courber l'échine avant de se retirer.
alors il avait fait ses recherches. cass clark. plus franchement affiliée à sa famille, avec le besoin et l'envie de prendre ses distances. comme je te comprends, cass… il s'était dit. et puis il l'avait suivie.
et il aurait dû la tuer.
c'était la demande. mais un meurtre était déjà bien suffisant à son actif. alors il avait décidé de la kidnapper. un mouchoir de chloroforme, l'approcher par derrière pendant la nuit dans une rue déserte, et l'affaire était jouée.
ça faisait environ une semaine que cass était enfermée dans la maison près des baies du queens que possédait kaz.
- comment ça va aujourd'hui ?
il demande en entrant dans la pièce qui lui sert de chambre.
kaz n'a jamais voulu la retenir comme une prisonnière et a été assez franc directement : tu n'es pas interdite de sortie. ce que j'ai fait, je l'ai fait pour toi. ils m'ont mandaté pour te tuer, et je n'ai pas pu m'y résoudre. sors et ce sera un autre qui aura pris ma place. tu ignores les risques que j'ai pris pour toi.
il s'avance avec un plateau où s'additionnent diverses viennoiseries – achetées dans une boulangerie "à la française" qui a ouvert à quelques pas de chez lui – et la boisson favorite de cass. depuis ces derniers jours, ils ont un peu appris à se connaître mais les rapports demeurent difficiles… et il le comprend parfaitement : cass a l'impression d'être un lion en cage.
- je comprendrais que t'aies pas trop envie de me parler, tu sais… mais comme on est coincés ensemble jusqu'à ce que je trouve une solution…
haussement d'épaules résigné. parce que kaz a beau tourner et retourner le problème dans sa tête, il ne voit aucune solution à part continuer de vivre à deux en autarcie ainsi. mais même ça, c'est temporaire : un jour ou l'autre, la ms-13 va débarquer chez lui et lui demander des comptes. ils vont tomber sur cass, et ils vont finir le travail… autant pour elle que pour lui.
autant dire que les jours ne sont pas franchement roses pour ces deux rebelles qui ont osé vouloir sortir du système un jour ou l'autre… ou qui auraient souhaité ne jamais en faire partie.

Une soirée bien arrosée, trop arrosée. T'as baissé ta garde. T'as merdé, t'es rentrée sans te soucier des monstres qui rôdent dans la nuit.
Des pas rapides derrière toi. Tu t'inquiètes pas plus que ça, la tête dans les étoiles. Tu ne penses pas que tu es la proie et que son piège est en train de se refermer sur toi.
Une odeur familière te chatouille les narines, c'est fort. Beaucoup trop fort.
Vainement, tes bras et tes mains gesticulent jusqu'à ce que le produit fasse effet.
Trou noir.
Réveil brutal dans une chambre que tu ne connais pas, dans une maison qui t'es inconnue.
Et ton ravisseur se tient là, t'expliquant ta présence en ces lieux.
« Tu n'es pas interdite de sortie. Ce que j'ai fait, je l'ai fait pour toi. Ils m'ont mandaté pour te tuer, et je n'ai pas pu m'y résoudre. Sors et se sera un autre qui aura pris ma place. Tu ignores les risques que j'ai pris pour toi. »
La chute est mortelle et tu dois te faire violence pour ne pas lui sauter à la gorge. Ta raison reprend le dessus. Tu serais déjà morte si il l'avait voulu et y a une partie de toi qui peut pas s'empêcher de se dire qu'il aurait dû appuyer sur c'te putain de gâchette, qu'il aurait dû te laisser partir. C'pas vraiment que t'es suicidaire, t'aimes la vie mais tu l'apprécies d'autant plus en compagnie de Caz. Ton frangin qu'on t'a, injustement, arraché. Et puis y a Revlon qui l'a rejoint et tu l'as toujours pas digéré ça non plus. Et tu sais pas pourquoi tu ressasses tout ça d'un coup. Peut-être parce que t'as bien failli être des leurs toi aussi, peut-être parce qu'il serait temps que tu fasses ton deuil, que tu les laisses s'en aller. Mais ça t'es impossible, t'as besoin de les retenir encore un peu. T'as besoin d'un peu plus de temps...mais ça fait déjà six ans.
« C'qui ils ? Et où on est ? Et toi t'es qui ? »
Déboussolée, agressive, méfiante, farouche. Quatre adjectifs qui te décrivent à merveille à ce moment-là et même si plusieurs fois t'as eu envie de franchir cette porte et le laisser se démerder avec la balle qui l'attendait si jamais tu t'échappais, t'as pas bougé. Mutisme total. Ton cerveau pas inactif pour autant. La ms-13 qu'il t'a répondu. Mafia rivale des Genovese et toi qui te retrouve encore éclaboussée par les emmerdes de ton père. Non seulement, t'es devenue une vraie cible ambulante avec ses avis de recherches mais en plus, ta mort vaut autant que ta vie. Pourtant ça te fait pas peur, loin de là, ça te fait juste chier. Ton absence a déjà dû se faire remarquer et tu vas devoir y trouver des explications logiques.
Une semaine que t'es enfermée. Une semaine que vos vies ont -plus ou moins- basculées. En réalité, la tienne t'importe peu mais étrangement, la sienne a plus de valeur à tes yeux. Il s'est déjà sacrifié en refusant de presser la détente. Seulement, t'as beau retourner le problème dans tous les sens, le résultat reste toujours le même : Kaz avec un trou à la place de la poitrine.
« Comment ça va aujourd'hui ? »
Sa voix te sort de tes rêveries et c'est ton air morose qui lui répond. Tu t'es habituée à lui et tu l'apprécies plus que tu ne l'aurais pensé. Il te rappelle toi par certains égards. Pris dans les mailles d'un filet, incapable de s'en dépétrer. Mais cette situation ne peut plus durer, tu ne peux plus le supporter. T'as pas fait tout ça pour te retrouver enfermée pour ta liberté. C'est tellement paradoxale que ça te prend la tête et tu ne touches même pas aux viennoiseries qu'il t'a ramené.
« Je comprendrai que t'aies pas trop envie de me parler, tu sais... mais comme on est coincés ensemble jusqu'à ce que je trouve une solution... »
Jusqu'à ce que je trouve une solution. Jusqu'à ce que je trouve une solution. L’écho se répercute dans ton crâne qui assimile mal l'information. Hors de question que je reste ici plus longtemps. Cette fois-ci, tu lui fais face, tes iris plantés dans les siens.
« J'vais sortir Kaz. J'vais reprendre ma vie en main. »
Et j'trouverai une solution pour toi.
Tu l'as trop laissé entre parenthèses depuis que t'es ici et tu commences à perdre pied. Tu t'en fous de passer l'arme à gauche, t'as plus rien à perdre. Propos que tu te répètes pour te rassurer. La mort ne te fait pas peur, l'idée de mourir non plus. La seule chose qui t'embête dans l'histoire, c'est d'abandonner tes proches. Parce que tu sais ce que ça fait et tu souhaites à personne de ressentir ce vide, ce manque. Décidément, restée enfermée fait naître chez toi tout un tas de pensées plus morbides les unes que les autres. Jamais auparavant, tu n'avais songé aussi souvent à ton trépas et ses conséquences, Caz et Revlon dont leur mort t'es insurmontable, cette fuite en avant qui met à mal tous tes fondements. T'es pourtant solide mais quelques coups bien placés et tu pourrais t'effondrer.

la situation est très compliquée.
parce que la copine de kaz, elle arrête pas de jacasser et de poser des questions.
parce qu’ils sont censés vivre ensemble, mais que kaz a toujours gardé sa petite maison en périphérie du queens, au bord de l’eau, « au cas où ». au cas où ça n’irait plus avec elle, au cas où la ms-13 lui demanderait des choses trop dures, au cas où il devrait torturer des gens pour eux.
au cas où ils voudraient faire du mal à sa copine, au cas où ils voudraient faire du mal à jean… il est hyper discret vis-à-vis de sa baraque, et personne ne la connaît. au cas où, pour protéger sa copine de ses implications avec la ms-13, pour ne pas la décevoir aussi.
parce que y’a quatre ans, kaz, il lui avait montré à quel point il était intègre et à quel point il rêvait de changer le monde. au final, c’est le monde qui a changé kaz… et kaz, il a juste l’impression de s’être fait rouler dessus en jouant aux échecs avec la vie. l’échec, c’est lui qui l’a eu. l’échec, c’est lui, tout simplement.
elle a bien remarqué qu’il avait changé, mais il passe un peu trop de temps à éviter les conversations pour que ça mène sur quelque chose de plus profond.
en attendant, il passe beaucoup de temps dans la maison avec cass. putain, si elle savait, sa copine, qu’il passe la plupart de son temps avec deux autres nanas. elle l’aurait déjà buté.
« J'vais sortir Kaz. J'vais reprendre ma vie en main. »
il manquerait presque de faire tomber le plateau qu’il a dans les mains. il le pose sur le bureau, à quels pas de là.
- tu t’fous de moi ?
il a envie d’exploser. il a envie de laisser la violence s’exprimer. il a envie de la frapper. il a envie de lui tordre le cou.
il a envie de la gifler. pour lui remettre les idées en place. au lieu de ça, il se décide pour une approche plus modérée, alors que la soupape de sa casserole interne manque déjà d’exploser.
- tu nous condamnes tous les deux, si tu « vas reprendre ta vie en main ».
il se passe la main sur le visage quand tout en lui entre dans une panique totale. pourtant, y’a rien qui se lit sur son minois, à part une lassitude totale. ça fait quelques temps maintenant que c’est comme ça, qu’il surveille ses arrières comme un condamné quand il doit se rendre dans sa baraque. depuis le temps, la mara salvatrucha a bien pigé qu’il les avait trahis d’une certaine façon ; mais quand il se pointe le soir pour surveiller jill, y’a rien ni personne qui lui tombe dessus. kaz, il sait qu’il a un compte à rebours placardé sur le poitrail mais il sait pas quand ça arrivera au bout. p’têtre qu’ils le testent ; parce qu’il est dans un entre-deux qui le caractérise si bien. pas tout à fait infidèle à la ms-13, pas tout à fait fidèle à la justice.
- tu comptes faire quoi ?
il essaie de garder la tête froide et d’examiner toutes les options possibles. il fait les cent pas, manque de passer à travers le plancher.
- et puis steuplé, c’est quoi ta vie ? à part essayer de prendre le même chemin que ton frère.
il lui adresse un regard en biais ; il cherche pas à la blesser, juste à attiser sa colère. il est pas toujours hyper mature, kaz, et quand on l’énerve à essayer de foutre sa vie en l’air, il réplique. parce que cass est bien mignonne, mais que cass ne pense qu’à elle.
au fond, kaz a eu le temps de se renseigner, et à part faire des courses de bagnole hyper dangereuses pour suivre le même chemin que son frangin – décédé dans un accident, quand même – elle fait quoi de sa vie ? rien de suffisamment important pour niquer celle de kaz.
le jour où cass quittera la maison, c’est sur son cadavre qu’il pourra se recueillir.