on aboie en silence.

ce soir c'est calme, du moins pour la ville de new-york ça l'est, y'a pas d'intervention d'urgence au programme, même les pompiers sont restés à la caserne et la fin de la garde s'approche doucement. il est quatre heures, ça veut dire que dans deux heures elle sera enfin off pour deux jours après une garde 24h. y'a tout le monde qui dort, certains s'envoient en l'air dans les douches si elle a bien entendu, mais andy elle reste assise dans le canapé de la salle de repos à regarder les infos défilées. elle se nourrit de ça andy, du malheur du monde, de voir qu'il existe pire ailleurs que dans sa propre ville, que dans sa propre vie. ça l'aide à relativiser, à accepter les choses, son destin peut-être. et puis y'a l'alarme qui se met en route, qui appelle pour une intervention d'urgence, mais y'a qu'elle qui est appelée. ambulance 19 qu'elle entend et il lui faut moins d'une seconde pour attraper sa veste et monter à l'arrière de l'ambulance. y'a clay qui se met au volant et qui démarre enfin le moteur avant de foncer dans le queens. elle souffle longuement andy, trouve sa respiration et sa concentration et ça dure le temps du trajet, parce qu'on sait jamais à quoi on va être confronté. elle peut entendre clay lui crier que c'est un gamin, certainement une bagarre qui a mal tournée et quand le véhicule se stoppe enfin, elle ouvre rapidement les portes avant de bondir son sac de secours à la main. les escaliers des cinq étages sont vite avalés quand elle entre dans l'appartement miteux. elle analyse rapidement la scène. il doit pas avoir plus de seize ans, le visage en sang et elle peut voir une lame dépassée de son tee-shirt. elle se met en place andy, tente de le rassurer, de le stabiliser et puis ça va très vite. parce qu'il perd beaucoup trop de sang, qu'à quatre mains c'est ingérable, alors elle s'excuse andy, prévient clay qu'elle va retirer ses doigts de la plaie qu'elle compressait jusque là avant de courir en dehors de l'appart. y'a ses mains gantées pleine de sang quand elle cogne à une porte et on l'ouvre et elle s'enfonce dans l'appart sans y être invitée. j'ai un gamin en train de crever à l'étage au dessus. elle prend rapidement conscience de la situation, des lignes de poudre blanche sur la table en verre, des pilules à droite et à gauche et enfin elle jette un regard à celui qui lui a ouvert. les pupilles sont dilatées comme rarement elle a pu voir. lequel d'entre vous est assez clean pour venir m'aider ? elle leur laisse pas tellement le choix finalement, son ton dit tout pour elle. il y en a un qui va venir. et puis y'a une jeune femme qui émerge de la cuisine et andy, elle a à peine le temps de capter que son visage lui est familier, qu'elle remarque que c'est la seule qui semble capable de comprendre ses mots. toi, tu viens avec moi. elle fonce andy, espère qu'on l'a bien comprise et quand elle se rassoit au côté de sa victime, elle peut sentir une présence dans son dos. tu vois là où se trouve les mains de mon collègues, bah tu vas positionner les tiennes au même endroit et appuyer du plus fort possible, ok ?! elle lui fait un signe de tête encourageant alors qu'elle lui laisse la place pendant qu'andy tente de trouver de quoi colmater la plaie. les grandes questions, ça sera pour plus tard.

la nuit se fait héritière de leurs folies sombres, témoin de ces rétines qui ne réagissent plus face aux lumières stroboscopiques, l'onyx n'est plus que l’abri des déchéances usées, comme elle l'a toujours été. les âmes se sont entassées dans l'appartement miteux, l'auraient griffé de leurs pauvres ongles pour ne voir que le vieux papier peint et les histoires qu'il aurait pu raconter. sordides se font les corps qui se mouvent dans la pièce, qui se tordent et se rapprochent dangereusement, le rendez-vous des morts encore vivants qu'ils diraient, ceux qui croient encore que le pardon se mérite, que la rédemption d'un démon vengeur est encore possible. une nuit par semaine, les débauchés se réunissent pour s’érafler encore un peu, pour se plonger dans une sorte de transe commune, dans les paradis utopiques qu'ils consomment tous, ça s'voit dans le creux de leurs lèvres, dans leurs pupilles trop dilatées. ils n'ont plus d'éclat dans le regard, ne sont plus que les aberrations du queens, de celles qu'on rejette de peur qu'elles contaminent et absorbent les dernières âmes incandescentes. celles qui vivent encore. et entre ces murs, les souvenirs d'une ancienne vie se pressent contre l'abdomen de jolene, écraseraient ses poumons face à leurs visages absents, ils ne sont déjà plus là, ils sont ailleurs, dans une réalité qu'elle a toujours cherché à rejoindre. qu'elle rejoint même souvent, qu'elle rejoignait avec un autre auparavant. elle n'est plus que seule entre les êtres défoncés et ses pensées meurtries qui s'envolent vers silas, seule consciente dans un appartement qui l'oppresse et lui donne la nausée des fictions qui s'font dans son crâne.
cette fois, j'suis clean.
cette fois, je suis là.
alors la chimère, qui semble ne plus en être une ce soir, se pare de ses rêves fous pour enjamber les quelques corps endormis pour retrouver la cuisine, l'endroit est désert, décalé face à l'atmosphère pesante qui trône dans le lieu, la fenêtre ouverte vers les rues illuminées. et jo se sentirait souveraine de la ville, qui tourne aussi vite que son encéphale, qui diffère chaque jour, mais qu'elle exècre profondément. laquelle des deux tombera en premier? le queens lui a tout pris qu'elle raconte parfois, le queens n'est qu'un tombeau pour ceux qui attendent de mourir, mais elle voit jo, elle voit que les autres savent qu'elle a précipité sa chute.
c'est la violence du poing qui s'acharne contre la porte qui la sort de sa propre torpeur, mais la môme reste immobile, ne sachant que faire. alors les mouvements se font mécaniques, elle se lève timidement, observe l'intrus et le reste de la scène qui se déroule devant ses prunelles. les mots sont clairs, suis-moi et jolene s'exécute, obéissante. elle réprimerait un haut-le-cœur si la vue de ce sang n'était pas si habituel, surtout dans cet immeuble maudit, alors elle place ses mains où on lui dit, demande l'approbation de cette voix familière, qu'elle ne reconnaît pas. comme ça? elle appuie aussi fort qu'elle peu, espère que ça suffit, que la mort ne prendra pas ce gamin, encore moins devant ses yeux. il va s'en sortir? qu'elle demande, absorbée par la vision de ses mains, du sang qui s'écoule et de la faucheuse qui pourrait s'pointer à chaque instant. éclair dans l'encéphale, la mémoire reviendrait presque tandis que le prénom se trouve sur ses lèvres, andy. elle l'a prononcé tout bas, espérant que personne ne l'entende.
mais c'est bien andy. un autre fantôme.

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elle a pas conscience de grand chose andy, seulement qu'il y a un gamin qui est en train de se vider de son sang devant ses yeux. elle fait pas attention au regard de clay qui cherche à lui demander ce qui lui a pris d'inviter une civile sur leur mission, elle fait pas attention à la manique et au tremblement de la jeune femme à ses côtés. elle hoche simplement la tête quand on lui demande si le geste est bon. ouais, c'est parfait, garde la pression au max, d'accord ? elle veut se montrer rassurante andy, alors elle tente un léger sourire avant de passer de la lumière dans les pupilles de l'adolescent, mais il n'y a déjà plus de réponse et c'est pas bon. j'espère. c'est un murmure plus qu'une déclaration. elle n'a aucune idée et ne veut pas mentir, elle ne fait pas ça andy, jamais, alors elle préfère lui dire la vérité plutôt que de lui cacher des choses. ils foutent quoi les autres ? elle regarde clay, tente de trouver son soutien mais à la place il a l'air tout aussi démoralisé qu'elle, il hausse les épaules. les renforts ne se déplacent pas ici, car trop dangereux et quand ils le font ils ne sont pas pressés, pas même pour un gamin. elle fait tout ce qu'elle peut pourtant andy, elle retire le capuchon de la seringue d'adrénaline et vient la planter dans une veine qu'elle trouve rapidement. mais y'a rien. alors là c'est mal. y'a son prénom qui est murmuré et elle peut jurer que ce n'est pas clay, alors c'est son instinct qui répond. ouais ? elle détourne le regard du corps dégoulinant de sang pour le porter à sa droite. écoute, tu fais un super travail. elle a pas le temps de la rassurer, pas le temps de comprendre que non, on ne l'appelait pas, c'était juste la réminiscence d'un souvenir. et puis y'a clay qui prend son pouls au gamin et andy qui comprend qu'il faut rapidement faire un massage cardiaque. bouge. elle pousse la fille sans ménagement, n'a pas le temps de s'inquiéter de ce qu'elle pourrait ressentir et commence les répétitions. et puis une minute passe, puis deux. puis trois. et elle sait pas combien de temps ça dure quand clay vient poser sa main sur son tee-shirt noir, au moins on n'y verra pas une trace de sang. elle transpire andy, son coeur bat à un rythme effréné, ses biceps brûlent et elle baisse la tête, laisse les quelques mèches rousses s'échapper de sa queue de cheval avant de soupirer. c'est pas vrai. elle ferme les yeux parce que c'est jamais facile. parce qu'il faut reprendre ses esprits, savoir faire la part des choses, c'est son métier. mais c'est pas celui de la camé qu'elle a ramassé au hasard, alors elle se retourne andy, se dégage du corps pour laisser clay annoncer l'heure de la mort et appeler la police pour qu'il vienne prendre le cadavre en charge. elle retire ses gants andy, les balance quelque part avant de se rapprocher de la brune, pose une main qui se veut amicale sur son bras droit avant de pencher la tête sur le côté dans l'espoir de trouver son regard. hey, ça va ? question stupide quand on vient d'assister à la mort de quelqu'un. écoute, t'as super bien aidé, on pouvait pas faire grand chose de toute façon. ça peut paraître détaché, mais elle n'a pas le choix andy. ça va te paraître bizarre, mais ... on se connaît non ? y'a son visage qui vient lui rappeler un truc et y'a un sentiment qu'elle aime pas trop qui commence à monter en elle, un truc qui lui dit que c'est pas la rencontre de l'année.

l'encéphale s'est abîmé de ces substances consommées, de ce trou béant qui ne cesse de grandir, vorace de la chair noircie, insatiable de la peine qui se cache sous les os. dans l'appartement aux murs ternis, écorchés par les âmes en délire, par ceux qui se sont envolés dans une réalité aux couleurs de l'aube, jolene n'est plus que la figure fantomatique qui les observe d'un œil immuable, tel charon faisant passer les derniers morts au-dessus du styx, passeuse d'espoirs et arracheuse des dernières consciences encore présentes. la môme se sentirait souveraine de ces êtres, la chimère aux fissures si découvertes, tant elle en est la plus pure représentation, noircie et amère, aux mots recouverts d'un tranchant certain. dans les iris brunes, ne se montre plus qu'une fausse catharsis échouée, qu'un semblant de purgatoire âcre où elle ne serait que son propre accusé, une sorte d'imposture acidulé, là où les regards ne s'attardent plus. alors, elle déambule jolene, entre ces corps endormis et la poudre dispersée, entre les cachets et les seringues, dans cet enfer trop promis pour qu'elle ne le rejoigne pas, seule et morose. elle se verrait brûler le queens en entier, saccager l'appartement en hurlant comme si le diable s'était emparé de son frêle corps. le manque certainement. il n'y a plus que les reflets lumineux pour s'emparer de sa rétine, pour contraindre son encéphale en furie à s'étouffer, à ne pas céder à ces envies destructrices qui s'infiltrent dans le sang comme de l'adrénaline, comme une impulsion funeste à laquelle on ne résiste pas. le cœur s’oppresse, la cage thoracique se bloque pendant que les seules pensées vont vers l'amour disparu, le seul connu, et les derniers souvenirs partagés, dans cet endroit dont on ne revient pas, meurtrier. seule jo pourrait se permettre cette erreur. dont on ne revient plus. ils n'ont plus que la culpabilité pour les ronger de leurs actes, que les regrets pour déplacer leurs tristes carcasses, que des promesses d'amnésie certaines. seuls plongés dans leurs ressentiments.
seuls contre le monde
seuls,
abandonnés,
elle surtout
puis les autres.
silencieuse se fait la pièce, contrastant avec le bourdonnement de l'asphalte, toujours présent, presque berçant dans cette atmosphère acide. les yeux se sont fermés un instant, et il semblerait que l'être tout entier se serait éreinté de la haine qui le constituait, de la noirceur qui commençait à s'agglutiner, à pourrir dans les recoins. mais ce n'est qu'un leurre qui masque le manque lorsque la morphine n'est pas absorbée à temps, quand jolene ne s’anesthésie pas assez vite. pourtant, la réalité se fait déchaînée sous cette nuit onyx, et tout semble tourner encore plus vite, la gamine n'est plus qu'une simple spectatrice de sa propre vie. la torpeur est vite oubliée quand on la ramène devant un gamin presque sans vie, mais elle s'exécute, obéis, reste silencieuse et bouge lorsqu'on le lui demande, s'applique à ne pas faillir à la mission qu'on lui a donné, sans doute à contre cœur. la mort s'est invitée dans l'immeuble en décomposition, une énième fois, et le regard s'échappe de la vision de ce corps, de ce gamin qui méritait une pulsion de vie, un échappatoire. elle s'écarte, respire.
prenez-moi à sa place
j'attends,
mais laissez-le
c'est la nausée qui l'envahit, même si jo n'a eu que la mort et son rouge sang dans le creux de sa chair pendant des mois, la voir en face ne lui donne plus que le tournis, qu'une sensation que tout lui échappe, qu'elle n'est qu'une simple mortelle, loin d'être éternelle, trop impuissante face aux discours qu'elle prétendait tenir. j'ai la nausée, ça va passer. l'inconnue, tentant d'être rassurante pose un bras sur son épaule, cherche son regard qu'elle n'offre pas, encore moins lorsqu'elle se souvient de son ancienne vie. c'est andy. c'est andy et c'est tout qui la rattrape, jo. andy, silas, quand tout allait bien encore. c'est souvent comme ça ici. qu'elle ajoute, sans rien montrer du trouble qui s'est emparé d'elle, se préparant à retourner dans l'appartement, et à s'en aller rapidement. non, on ne se connaît pas. le myocarde s'emballe et jo, elle a l'impression de crever sur place, que ses jambes vont la lâcher, qu'ils vont devoir l'emmener aussi. enfin, j'sais pas. andy baxter c'est ça? elle se retourne et cette fois, pose ses yeux dans ceux de la rousse, andy est toujours la même, même si jo n'avait jamais pris le temps de réellement l'observer. on avait un ami en commun.
on avait.

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