( ♡ ) Est-ce la surprise qui est étonnante ou est-ce l'étonnement qui est surprenant ?

Tu détestes ce que tu fais, tout simplement. réellement. comme tu n’as jamais détesté avant. ok ce n'est pas le pire des métiers, tu pourrais passer ton temps à genoux en train de torcher la merde des autres, mais sous ton crâne, ça ou livrer des pizzas, c’est du pareil au même. mais tu sais pourquoi tu fais ça, tu connais la bonne raison : elle. c’est pour elle que t’essaie de te ranger, de devenir un homme meilleur, de gagner ta vie honnêtement. tu veux pas te retrouver derrière les barreaux, comme ta taularde de mère, privé de voir ta progéniture grandir. tu sais que tu ne serais probablement pas le meilleur des pères, mais tu veux faire de ton mieux.

sauf que ça marche pas, ça suffit pas, ça paye pas assez, même quand on additionne les pourboires. tu sais que c’est temporaire, qu’il te faudra une autre solution, sauf que pour le moment t’en a pas. coup d’œil sur la nouvelle course qui arrive, t’embarque le lot de pizza pour commencer ta tournée, naviguant entre les rues du quartier sur ton scooter. classique du vendredi soir, des spécial peppéroni, des extra fromages, et une dernière commande des plus étonnantes. végétariennes. le genre de pizza qu’on commande rarement, souvent par des bobos qui veulent se faire plaisir tout en gardant leurs lignes. conneries.

il te faut que quelques minutes pour atteindre l’adresse, garer ton scooter devant, et profiter de la sortie d’un des occupants de l’immeuble pour t’y engouffrer. Ce n'est pas tellement dans la norme, mais l’adresse mentionne l’étage et le numéro de l’appartement, et tu te dis que c’est une bonne opération pour quelques dollars de plus. tu martèles la porte de ton poing fermé, hurle derrière le bois, “c’est votre pizza”, tu patientes, avant qu’elle ne t’ouvre.

Tu n'as pas grande qualité Vince, mais l’une d’entre elles, c’est probablement d’avoir la mémoire des visages. Ce n'est pas ce qui te fera devenir riche, ou ce qui changera ta vie, mais sur les quelques années que tu as passées sur cette terre, ça a pu te servir quelques fois. et tu sens que ce sera le cas. tu l’observes, la jolie blonde derrière la porte, lui tend sa pizza sans la lâcher du regard. un instant, avant de demander. “On se connait non ?", t’en mettrais ta main à couper, tu ne sais pas vraiment d'où, ni de quand, ni comment tu as pu faire sa connaissance, mais tu le sais, tu sens que tu la connais, que tu l’as déjà vu. t’espère juste ne jamais avoir couché avec elle pour l’abandonner au petit matin…

Normalement, dès que le dernier épisode aura touché à sa fin, Saddie pourra satisfaire sa faim, manger cette fameuse pizza qu'elle attend tant. Tandis qu'elle grimace lors de passages gores, rit dès que de l'humour est installé, réfléchit à la suite de l'épisode dès que le suspense est présent, crie mais quel con! quand le protagoniste s'aventure dans un coin sombre, où toute personne ayant du sens ne mettrait même pas un pied, elle croit entendre frapper à la porte.

Au départ, elle se demande si ça n'est pas dans sa série et continue de rester plantée là, semi-allongée dans son canapé, ce, jusqu'à ce qu'elle entende des coups beaucoup plus forts que le premier. Bon, il est certain que ça ne provient pas du son de la télévision, cette fois. Alors elle arrête l'épisode, se lève et part ouvrir. Sûrement la pizza, enfin ! se dit-elle. Songeant malgré tout au fait que les coups étaient particulièrement forts, elle prévoit de faire la remarque à celle ou celui qui se présente derrière.

Bonsoir. Je ne suis pas sourde, vous sav- . Dès qu'elle ouvre la porte un peu plus, constatant qui se situe face à elle, elle qui voulait faire entendre son mécontentement face au bruit, n'arrive pas à finir sa phrase. Elle réfléchit quelques secondes, en oubliant presque de prendre sa pizza et reste là, le regardant tout autant. Lorsqu'elle entend sa voix, des souvenirs commencent à lui remonter. Effectivement. Evidemment qu'ils se sont déjà vus. Et ce passé, elle aurait préféré ne jamais avoir à y repenser. Alors elle garde le silence deux bonnes minutes, avant de répondre. Oui. Oui, on se connait. À cet instant-même, elle hésite entre refermer la porte d'un coup rapide ou lui dire directement ce dont elle se rappelle, à lui qui n'a pas l'air de se souvenir quand et où ils se sont déjà croisés.

Finalement, elle opte pour la seconde option, sans donner les détails qu'elle aimerait oublier pour toujours. On... On s'est déjà vus, il y a plus d'un an, il me semble. Lors d'une soirée, quelque chose du genre, sûrement. Je traînais pas mal à cette période. puis par politesse, adresse un délicat sourire avant de reprendre par En tout cas, merci pour la pizza ! Elle m'a l'air en bon état et bien chaude. La gentillesse lui permettra peut-être de savoir si celui-ci en a parlé à quelqu'un et surtout, s'il fait semblant de ne plus se souvenir véritablement d'elle.

c’est plutôt simple comme boulot. tu prends la pizza, tu livres la pizza, tu repars sans la pizza mais avec un joli pourboire. Y'as pas plus simple en fait, et t’es censé repartir aussi tôt la pizza livrée, ne pas faire des heures supplémentaires à faire la discussion à tes clientes. T’arrivais à t’y tenir jusque-là, ne pas draguer lourdement la petite meuf en face de toi, ne pas accepter de boire un verre avec ce groupe d’étudiants. mais ce soir, tu déroges à la règle.
elle t’accueille en râlant, peut-être parce que t’a été trop longue, peut-être parce qu’elle crève de faim, ou simplement parce que tu tambourines en vociférant derrière la porte. elle t’ouvre, tu lui tends la boîte, sans la lâcher du regard. elle te dit quelque chose cette fille, alors tu lui demandes, lui pose la question, savoir si tu l’as connu, vraiment. elle hésite, quelques minutes, avant de confirmer. oui tu la connais. maintenant il s’agit de savoir d'où…

mais elle te laisse pas le temps de torturer ta mémoire pour savoir où tu l’as croisé la première fois, elle te répond immédiatement, précise ce que tu cherchais. elle te parle d’une soirée, y a un petit moment de ça, une période où elle sortait beaucoup. tu refais l’historique dans ta tête, ça colle à peu près à la période ou toi, t’était encore ce petit vendeur qui s’incrustait dans les soirées de bourge pour vendre de la poudre et des joints. Voilà. c’est là. c’est probablement là-bas que tu l’as connu cette fille-là, probablement une de ces petites bourges qui aime se défoncer en soirée pour faire “comme toutes ses copines”, et le regrette aussi sec le lendemain.

elle te remercie, prête à fermer la porte et à partir. tu t’avances, un pas pour bloquer la porte. “Attends”, un sourire amusé aux lèvres. T’as plus de pizza à livrer, il n’est pas encore très tard, et a vrai dire tu n’as aucune envie de rentrer. “Je me souviens de toi, tu m’as acheté un truc ce soir là, pas vrai ?”, tu ricanes, amusé, quelques souvenirs revenant au passage. “ouais on avait bien discuté, et tout, j'savais pas que tu vivais dans le coin”

Quand Saddie s'apprêtait à refermer la porte comme si elle souhaitait en même temps faire disparaître ces souvenirs, il la bloque, se souvenant sûrement où il l'avait déjà croisé. À cet instant précis, elle était tellement étonnée et non agréablement puisque cette fois-là, c'était tout sauf un instant d'exploit qu'elle avait réalisé, qu'elle en aurait presque fait chuter la pizza désormais entre ses mains.

Tentant malgré tout de maîtriser ses émotions, elle se contente de sourire à nouveau. Après tout, elle n'était pas obligée de se rappeler d'à quel moment exactement ils s'étaient croisés, pas vrai ? Elle pouvait très bien faire mine de rien, seulement dire qu'en effet ils s'étaient vus à un moment donné et basta. Peut-être qu'il éviterait d'en parler, comme ça. Peut-être qu'elle pourrait tourner la page... Ou peut-être pas.

Jouer les filles ayant perdu la mémoire, ça peut toujours fonctionner, chose qu'elle décide de réaliser. Acheter un truc ce soir-là ? Possible, oui. J'en ai tellement acheté des choses que j'ai du mal à me souvenir, c'est plutôt flou... Espérant que ça fonctionne, elle tente de reprendre confiance, avant de répondre de façon sympathique, un grand sourire aux lèvres Ah ouais ? Ouais, logique. Moi non plus je savais pas que t'étais pas loin. Encore moins que tu bossais pour la pizzéria. Le monde est petit !

T'es pas vraiment ce qu’on peut appeler un physionomiste, tu n'as pas une très bonne mémoire, et puis il faut dire qu’à l’époque t’en croiser un paquet de fille comme elle : plutôt mignonne, un peu égaré dans ces soirées d'fils à papa, qui pour passer le temps, ou juste une meilleure soirée, dépenser quelques billets en petite pilule, ou dans un peu d’herbe. ouais, tu les connais bien ces filles-là, t’es juste un peu étonné d’en croiser une ce soir, et celle-là pour le coup, tu l’as reconnu. tu sais pas pourquoi d’ailleurs, t’es pas sur qu’elle a quelques choses en plus, mais tu sais pas, tu t’en souviens c’est tout.

pourtant, de son coté, elle joue un jeu étrange, fait semblant de ne pas te reconnaitre. c’est peut-être le cas ? t'es pas si incroyable que ça Vince, pas si inoubliable. tu lui demandes pourtant, la remet dans son contexte, lui rappelle qu’il y a quelque temps de cela, elle t’avait acheté quelques choses… mais elle tente de noyer le poisson. acheter des choses ? elle ne le fait tout le temps, et pas qu’à toi. tu ricanes, elle a surement mal compris. “ouais, non, je parle pas de ce genre de chose”, t’insiste un peu pourtant, tes yeux qui ne la quittent pas. elle aussi sont étonnés de te voir livrer sa pizza, elle non plus ne savait pas qu’elle serait amenée à te recroiser. “ouais, je fais pas ça depuis longtemps”.
tu te penches un peu, la tête en avant pour jeter un coup d’œil chez elle, essaie de voir si elle est en bonne compagnie, ou au contraire, si elle vit seule. tu n'vois rien, n’entend rien, et te recule un peu, le sourire amusé aux lèvres. “tu m’invites à entrer ? j’ai terminé mon service”, après tout, t’as bien un peu de temps à passer avec elle pour vous rappeler cette fameuse soirée, ou en écrire une autre…