et qu'importe le temps qu'emporte le vent, mieux vaut ton absence que ton indifférence | Phil

01/ Phil, c'est le petit garçon qui est né dans une famille qui n'avait pas besoin de lui.  Une mère trop jeune pour être mère, un père trop alcoolique pour être père, dans un petit appartement du Bronx où ils avaient pensé pouvoir échapper au monde. Mais ils se heurtent aux problèmes, parce que le père boit trop, qu'il consomme trop de merdes. Et elle, elle se retrouve toute seule, après un accouchement difficile, sans argent, et sans aide. Alors quand elle emmène son gamin chez le pédiatre, ce gamin qu'elle aime malgré tout, elle signe son arrêt de mort. Ce sont les services sociaux qui vont prendre le relais ; on lui retire son droit d'être mère. Et ça la rend folle, suffisamment folle pour sombrer à son tour dans les déboires de son mec.  De ses parents, Phil n'a aujourd'hui aucune nouvelle. Pas même une carte d'anniversaire, un billet de temps en temps, une proposition de rencontre. Rien. Peut-être même qu'ils sont morts, et lui, il ne le saurait pas. Parents, pour lui, ça veut pas dire grand chose, de toute façon - qu'est-ce qu'il en sait, lui, de ce que c'est une mère ? Il ne connait que la froideur d'une femme grossière qui lui sert un plat réchauffé à lui tout seul dans la cuisine. Ou l'attitude nonchalante d'une autre qui l'abandonne devant la télévision pour être tranquille. Et qu'est-ce qu'il en sait, de ce qu'est un père ? A part une main levée pour frapper, des remarques désobligeantes, des portes claquées dans la figure. Rien.  02/ malgré l'enchaînement des familles d'accueil, les services sociaux ont mis un point d'honneur à ce que toute la scolarité de Phil se déroule dans les mêmes établissements, pour ne pas trop le dépayser. Et ce petit détail, qui peut vous sembler anodin, c'est sans doute ce qui a sauvé Phil. Parce qu'au lycée, il a rencontré ses amis. Parce qu'il s'est rendu compte qu'il pouvait être apprécié des gens, que la violence n'était pas le seul moyen de communication des uns et des autres. Parce qu'il a rencontré sa prof de musique, celle qui lui a donné envie d'apprendre, celle qui l'a poussé, la seule raison pour laquelle il trainait encore au lycée après les heures de cours. Parce qu'il a rencontré Aly, parce qu'il a rencontré Ras, parce qu'ils sont son monde, d'une étrange façon peut être, mais lui il s'en fiche. Il s'en fiche de ce que pensent les gens, les gens sont superflus.  03/ La musique, ça l'a vachement aidé. Et même s'il n'a jamais eu de famille suffisamment concernée pour lui payer des cours, même s'il n'a jamais eu assez d'argent lui-même pour en prendre, il est doué. Naturellement doué pour reproduire les notes d'une mélodie, pour déchiffrer la musique seul dans son coin, pour regarder des vidéos sur internet et trouver l'inspiration. Ouais, il est doué, y'a pas de doute. Et quand il joue, il oublie. Alors il joue souvent, parfois dans sa tête parce qu'il a pas de piano. Juste une petite voix pour répéter les notes d'une musique qu'il apprécie. Une petite voix, et ses doigts qui pianotent dans le vide. 04/ Aly. Aly, il l'aime, c'est un truc inexplicable, qui le prend aux tripes. Quand il pense à Aly, quand il pense aux gens qui ont fait ou pourraient vouloir faire du mal à Aly, son propre père en première ligne, il devient fou. Incontrôlable. Il pourrait frapper quelqu'un tellement ça le rend fou. Quand il pense à ce qu'elle a vécu, quand il pense qu'elle n'est pas en sécurité, il vrille. Mais quand il est sûr, quand il est avec elle et qu'il est sûr, il est différent, Phil. Ras. Ras, c'est la troisième et dernière pièce du puzzle, c'est celui qui les tient tous en place. La relation a été bizarre, teintée de jalousie, de possessivité peut être, de maladresse parfois. Mais Phil, lui, il sait qu'il l'aime aussi. Différemment, peut être, parce qu'Aly, c'est sa princesse, presque sa vie, mais quand même. Ils sont tous les trois dans le même panier, maintenant. Et c'est un panier que Phil ferait n'importe quoi pour protéger. N'importe quoi. 05/ Pour gagner sa vie, pour bouffer à la fin du mois, Phil est serveur dans un bar du Queens. Il a menti sur son âge pour obtenir ce boulot - et alors ? Les cartes d'identité, ça s'achète. Il peut servir l'alcool tranquillement sans que personne le fasse chier. Et puis parfois, quand il trouve le temps, il joue du piano. C'est sa prof de lycée qui lui organise des auditions de temps en temps. En secret. Et il récupère un peu de sous. Parfois, quand les mois sont durs, il vend un peu de shit dans les coins de rue - et ensuite, il s'installe dans un parc pour dessiner, et il vend ses croquis aux gens qui passent et le prennent en pitié.