stupidly think you had it under control

Shea rit franchement, incrédule au procès qu'on lui intente. Elle jète un dernier regard vers Amalia, et avec un mouvement du visage, invite Devon à s'en débarrasser. « C'est comme ça que tu décrirais la nuit qu'on a passé ensemble ? » murmure-t-elle en récupérant son téléphone. Elle se penche un peu, glisse une main près de son épaule, pensive. Elle peut voir la couleur de ses yeux dans sa périphérie, et la forme de ses cheveux - irréguliers. Elle en attrape une mèche avec ses doigts pour la ramener derrière ses oreilles, geste qu'elle remarque lorsqu'elle le termine, et brusquement, pour elle, Devon ne dégage plus la moindre gêne ou antipathie, elle transpire l'érotisme. Son visage est à moins de vingt centimètres du sien. Elle voit sa peau lisse, ses lèvres et la bouche de Shea se déforme légèrement alors qu'elle se mordille le coin de la lèvre inférieure. Elle aurait pu rester là des heures, à se délecter de la vague de chaleur qui va et vient dans le bas de son ventre. Elle hésite une seconde, emprise à une soudaine timidité qu'elle reconnaît mal, la main dans les boucles brunes, puis s'incline toujours plus : « tu peux me montrer comment il faut faire alors. » Shea fixe sa bouche désormais, le bout de sa langue pointant entre ses dents. Ça lui déclenche une nouvelle décharge dans le ventre alors que son regard s'attarde dessus, puis ses yeux remontent se plonger dans les siens, fiévreux, vitreux et quelque peu demandeurs. Elle en perd la conception du temps et de l'espace ; elles pourraient être restées des heures ainsi, à moins de dix centimètres l'une de l'autre, le visage incliné, au bord de la suffocation. Elle prend alors vaguement conscience de la troisième présence dans la pièce et qui divague devant elles pour s'installer sur le matelas au côté de sa tante. « C'est pas une raison pour se faire des films. » marmonne-t-elle en se redressant.

« Surtout qu'elles savent à quoi s'en tenir. » L'attirance l'habite encore jusqu'à la suffocation, jusqu'au manque ultime de ses mains agrippant son dos, de son ventre en sueur contre le sien, de ses gémissements, et y renoncer, ce serait se tirer une balle dans le pied : ce serait lui accorder plus d'importance qu'il ne faudrait. Et de nouveau, elle se trouve là, debout et habillée, et franchement ahurie, au milieu d'une chambre inconnue à seize heures de l'après-midi - elle qui depuis des mois est prisonnière d'un cycle de sommeil destructeur - à se demander comment rompre ce rythme infernal avec sa collègue, mais au moment où ses yeux s'arrêtent sur le lit, l'idée d'y renoncer lui est tout bonnement impensable. Elle passe une main dans ses cheveux, néanmoins, et secoue son tee-shirt, de l'air s'il vous plait, de la distance, surtout. « Je vais descendre chercher une bière, t'en veux une ? » Shea s'installe sur le pas de la porte et finit par en sortir, progressivement d'abord, puis brusquement, s'enfonçant directement dans les escaliers. Lorsqu'elle capte son reflet dans son téléphone, elle aperçoit le rouge sur ses joues et lève les yeux au ciel une seconde avant de se reprendre.

@Devon Willis

Shea hausse des épaules, sa façon de lui dire qu'elle est désolée, sans doute. « Toi tu sais déjà comment je suis. » qu'elle marmonne, encore. Sa dureté de coeur, elle va en entendre longtemps parler. Tout le temps qu'il faut pour boire deux bouteilles de bière. Ses fautes sont récapitulées par la conquête à chaque nouvelle erreur, et contrairement à ce qu'elle croyait, Devon ne fait pas exception. Elle ne sait pas ce qu’elle doit lui dire, ou faire. Elle contemple une seconde l’idée d'esquiver complètement la cuisine et prendre la porte sans se retourner. Comment sauraient-elles à quoi s'en tenir ? Comment ne le sauraient-elles pas ? Si sa réputation la précède, chacune d'entre elles agit en connaissance de cause. Qu’est-ce qu'elles attendent d’elle ? Qu'est-ce que Devon attend d'elle ? Et si le fait qu’elle attende quoi que ce soit pourrait l’agacer, elle ne peut se résoudre à lui en vouloir. Elle a l’impression d’être une pagaille sans précédent. Mais elle se félicite, parce que de toutes les absurdités qu’elle peut faire et dire, elle avait choisi de se rapprocher d’elle, avançant à tâtons sur le matelas. Et désormais seule dans la cuisine, elle se mord les doigts de cette nouvelle proximité. Elle échange quelques mondanités entre deux questions : vous voulez une bière ? et où est le décapsuleur ? et à chaque regard, elle essaie de ne pas se formaliser, alors elle sourit et joue le jeu.

Devon lui adresse un coup de menton et Shea met trois secondes entières avant de comprendre : les bières en main, son pied referme la porte derrière elle. « Pas plus lourds que d'autres. » grommelle-t-elle en posant sa bouteille sur le sol. Indécise, Shea ne peut s’empêcher de reculer d’un cran, le regard clairement hagard, avant de sentir les lèvres de Devon sur elle. Lui saisir le col et l’attirer contre elle, voilà l'unique réponse qu'elle veut lui offrir, sans mesurer sa force puisqu'elle lui grimpe quasiment dessus. La langue de Devon est chaude contre la sienne et elle a le goût du risque et elle se retient de s’agripper à ses vêtements pour la ramener plus près d'elle, parce qu'elle en voudra toujours plus. C’est saisissant à quel point elle se perd aussi facilement en elle. Elle embrasse ses lèvres férocement, plusieurs fois de rang, puis sa joue, puis sa mâchoire, son cou. Et enfin le lobe de son oreille où elle s’attarde un bref moment : « Ouais. » Elle retourne enfin capturer ses lèvres, fascinée et irrévocablement attisée par la confusion, les c'est pas une bonne idée et les ça veut rien dire, la passion, la violence, la tendresse, l'ambivalence qu’elle découvre en Devon. Bien plus qu’elle ne voudrait jamais l’admettre.

Elle retire d'abord son tee-shirt, puis, assise sur elle, Shea tient ses poignets renversés au-dessus de sa tête, bougeant doucement dans la lourde et lancinante tension. Le temps qu'elle réalise qu'elle a gémi, elle a déjà enfoui son visage dans son cou. Elle détaille ses épaules, ses clavicules, avec ses lèvres, sa langue, ses dents, glissant jusqu'à son ventre, puis les os de ses hanches entament l'intérieur des cuisses de l'américaine. Son ventre adhérant déjà dans la sueur contre son sweat. « Enlève ça. » intime-t-elle. Ses lèvres cherchent les siennes tout en les évitant. Un grand truc qu'elle exécute, ne rien laisser paraître, ne jamais satisfaire, jusqu'à ce que l'autre devienne dingue. Elle contemple sans comprendre ce visage face au sien. Elle pose un doigt sur ses lèvres pour lui suggérer le silence. Elle voit que Devon doit être dans un conflit interne et Shea laisse son doigt glisser contre sa lèvre inférieure, jusqu’à ce que la dernière phalange de son index vienne s’échouer sur son menton qu’elle relève enfin pour faciliter l’angle.

@Devon Willis

Shea n'essaie pas de s'empêcher de saisir l’avant-bras de Devon avant d’incliner la tête de manière préventive, un air qui veut dire : fais pas un seul bruit. C'est davantage de l'arrogance qu'un attachement à la prudence, elle est sensiblement la dernière personne à se soucier d'être surprise dans cette chambre d'ado qui ne lui inspire rien d'autre qu'une libido insoutenable. Elle grogne, sait que cette frustration ne s’en ira que lorsque Devon décidera enfin de l’embrasser et de la toucher. Et lorsqu’elle le fait, c’est une telle libération qu’elle ne peut s’empêcher d’en gémir son nom. Et sur le matelas, Devon se redressant, prenant le relai sur Shea, il y a beaucoup de tendresse mais aussi beaucoup de pugnacité, toutes deux ponctuées par le désir qu’elles manifestent l’une pour l’autre et la tension qui a été ignorée trop longtemps. Shea soutient Devon contre elle pour être le plus proche possible. Des myriades de sensations lui tournent dans la tête, souvenirs effroyables des soirées passées à avoir envie de la posséder toute entière. Elle ne se pose plus la question de savoir d’où lui proviennent tous ces désirs, l’excitation dissipe les moindres tentatives de raisonnement de Shea. Elle les met toujours sur le compte du physique de Devon. Mais ce n’est pas uniquement son physique. Ce sont certes ses yeux pleins de luxure, son visage magnifique, mais c'est aussi le mouvement de son bras, ses dents sur sa peau, sa langue dans sa bouche, les courbes sous ses mains, ses gémissements, ses cris, son souffle chaud et erratique dans son cou, son prénom dans son oreille lorsque Shea est sur le point de s’abandonner.

Elle la prend en même temps, le regard l'un dans l'autre, unies par leurs souffles courts. Leurs mains s'accordent et leurs bras se croisent sur leurs flancs. Alors pour un instant, et pour instant seulement, elle pourrait lui dire qu'elle pourrait prendre goût à leurs débordements. Mais cet instant est affaire de micro-secondes, et très vite, à peine redescendue, elle se retrouve à intimer Devon de se retirer et la britannique de s'affaler entièrement sur le dos, le souffle court, les dents immobilisant le tremblement de sa lèvre inférieure, le bras passant par dessus son visage rougi, à attendre que le silence devienne intolérable. Shea se penche pour l'embrasser sur la joue, sans un regard ni un mot sur ce qu'elles auraient pu se dire. Pour quelques secondes encore, elle gît là, prise à des réflexion philosophiques sur la vie, ne discerne pas les mouvements dans le couloir de la maison, ni les voix à l'étage du dessous, ni même la présence auprès d’elle. Shea sort de sa torpeur en allant repêcher son jean sur le sol. Elle trouve son téléphone, compose un message au hasard, lis une notification, le verrouille et peut enfin se redresser. Force est de constater qu’une minute plus tard, elle est toujours là, dans la même position, les yeux rivés sur le plafond et réfléchit, campée sur ses convictions avec fierté. Elle veut crier au monde qu'elle a la haine du consensus, de cette abdication de la liberté, de ce nivellement par le bas, de cette médiocrité du plus grand nombre. Tandis qu'elle tortille ses doigts dans la longue et angoissante attente, elle se promet qu'un jour ses ménagements ne seront plus vains. Un jour, le monde s'éveillera et elle y aura enfin une place. Car elle n’a jamais renoncé et ne renoncerait jamais. Même quand elle va droit au mur, rien ne peut atténuer sa résolution, pas même la perspective de l'échec ni, pire encore, celle d'une défaite publique.

Elle la sent, à ses côtés. Elle suppose que Devon doit se trouver dans la même condition, sinon plus, de grande satisfaction physique, et peut-être plongée elle aussi dans des réflexions sur le monde. Au bout d’un moment, Shea se tourne pour lui faire face ; elle sourit et se détend. « Merci. » Elle hésite entre lui tourner le dos et lui prouver quelque chose. Elle adopte la deuxième option et se penche vers elle pour déposer un baiser sur la commissure de ses lèvres. Elle ne bouge pas quand elle lui dit : « Je vais y aller. » Elle ne sait pas que c’est contradictoire : oui dans les gestes, non dans les mots, aveugle à tout, si peu apte aux relations sociales. Et à la bière pleine sur le sol, elle ne lui accorde même pas un regard.

@Devon Willis