midnight blues (shaye)

ce que tu détestes ta vie maintenant. au fond, peut-être même plus qu’avant. c’était con d’avoir voulu tout tenter pour changer de vie, d’avoir voulu aussi tout plaquer, partir loin pour recommencer. recommencer quoi ? t’es incapable de construire quoi que ce soit loin de chez toi, loin de Molly, de jill et des autres. capable de rien quand t’es seul, même pas du pire. pourtant ce ne sont pas les mauvaises idées qui manque, t’es plutôt expert dans ce domaine. tu détestes ça, crécher chez Molly, devenir ce putain de parasite encombrant, bon à rien. ce job de merde qui va juste te permettre de survivre un peu plus longtemps. ton nouveau rôle de père absent, celui que secrètement tu t’étais juré de ne jamais jouer. tu détestes tout ça. et tu te demandes si revenir été une bonne décision.

Tu n'avais jamais remarqué à quel point Molly pouvait ressembler à m'man. dans sa façon d’être, de parler, dans ses mots, et ses phrases entières, dans son regard qui te donne l’impression que quoi que tu fasses, ce ne sera jamais assez bien. Est-ce qu'elle est comme ça depuis toujours ? ou est-ce que tes dernières conneries, tes dernières promesses ont suffi à achever la part de gamine qui survivait en elle ? elle débarque dans le salon, monté sur des talons, une robe près du corps. tu sais même pas quelle heure il est et tu ignores aussi ce qu’elle compte faire de sa soirée. elle te toise du regard, tu crois entendre un souffle entre ses lèvres. “ fais pas d'connerie si tu veux pas t’faire arrêter”, il te faut quelques instants pour comprendre le sens de sa phrase de son message. Quel putain de super pouvoir possède-t-elle pour savoir avant même que l’idée ne germe dans ton crâne que t’ira faire une connerie ? C’est ça le fameux instinct féminin ? Ou fraternelle ? « J'serais sage », que tu promets avant de replonger dans ton bol de céréales.

Moins d’une heure après ta promesse à Molly t’es déjà dehors. Tu lui as promis d’être sage, mais pas de rester enfermer, pas de passer ta soirée seule, à ruminer ta vie de merde et tout le reste. T'as pas l’intention de crever en silence. le froid te glace le sang un instant, alors tu accélères, retrouve les mêmes chemins que tu prenais autrefois, les rues qui se chargent d’inconnu au fur et à mesure que les heures avances. tu passes devant les restaurants, les bars, sans reconnaitre les visages, étranger dans ta propre ville. peut-être bien que tout le monde t’a oublié ici, peut-être bien que plus personne n’en a rien à foutre de toi. n’être plus qu’un souvenir t’angoisse. disparaitre t’angoisse. il te faut presque une heure de plus à déambuler dans le quartier avant de reconnaitre un visage familier, ami de longue date, ce genre de personne qui ne peut t’oublier. tu restes vague, sur les raisons de ton départ, de ton absence et de ton retour. À quoi bon lui expliquer. tu préfère tes mauvaises idées, celle de les suivre, faire le tour des bars, trinquer, boire, jusqu’à atterrir devant cette boîte qui t’est si familière.

rien n’a changé. pas même la musique, pas même les alcools avec lesquels on s’enivre, pas même les tenu des filles. non rien n’a changé. pas même Shaye. tu l’as repéré, un peu plus loin. belle comme au dernier jour, comme au premier jour. comme la première fois que tu l’as vu ici, au même endroit. dans ce même état. mais tu l'sais Vince, les choses ne s’arrangent vraiment jamais. surtout ces choses la. tu l’observes un moment, le pas chancelant, la démarche mal assurée. tu devines son état, tu ne peux t’empêcher de laisser ceux qui te servent de compagnie pour la rejoindre. “putain Shaye”, tu la rattrapes, in extremis, lui évitant la chute. T’es même pas sûr qu’elle t’entende dans ce brouhaha ambiant, même pas sûr qu’elle te reconnaisse. non vraiment, rien n’a changé.


@Shaye Fernsley

Tu n'as pas résisté à l’irrépressible envie d’aller faire un tour, de sortir, d’aller voir ce qu’est devenu la vie sans toi. T'es pas dupe, tu sais bien que la terre à continuer de tourner malgré ton absence, que tes proches ont continuée à vivre, Jill, Shaye, Molly, Betsi, tout le monde. Comme si au fond, ce départ n’avait rien changer pour eux. et c’est peut-être, surement, le cas. T'as jamais pensé être indispensable de toute façon. mais ce soir là t’a besoin de le voir par toi-même et tu t’éclipses, Molly n’est pas là, tu en profites pour quitter l’appartement sans qu’elle ne te mette en garde, qu’elle te regarde avec son regard noir, typique des mauvais jours.

tu flânes, laisse tes pas te guider devant cette boîte de nuit que tu connais bien, pour y avoir passé bon nombre de tes nuits il y a quelque temps. tu bois, avec les quelques amis retrouvés, échangent des banalités affligeantes, reste vague sur les raisons de ton absence, de ton retour. T’as encore dit à personne que Jill avait accouché, que t’étais devenu père. merde Vince. T’es père, tu le réalises ? tu t’éloignes, pour prendre l’air, tu t’éloignes parce que tu l’as vu, un peu plus loin, visage connu qui se fond dans la foule, glisse entre les corps. tu la rejoins en quelques enjambés, la soutient quand elle manque de tomber, pestant entre tes lèvres. non elle n’a pas changé, non, et c’est peut-être même pire qu’avant. elle a cette voix trop aiguë pour être naturelle quand elle prononce ton prénom, se redresse difficilement, accrochant ses mains à ton visage. tu laisses un bras autour d’elle pour la soutenir, son souffle alcoolisé confirme tes craintes. elle est ivre, divague sur ton départ, sur les raisons de ton départ, celle que tu as omise de lui donner. T’aurais dû lui dire à Shaye, qu’il fallait que tu partes, la prévenir que peut-être un jour tu reviendrais, ou peut-être un jour tu reviendrais, ou peut-être pas d’ailleurs. T'a rien fait de tout ça, t'a rien dit et t’es juste parti. sans prévenir. “J'sais Shaye, j'ai pas eu le choix, j'suis désolé”, tu glisses une mèche de ses cheveux sur le côté de sa joue, sans jamais la lâcher du regard, un demi-sourire sur tes lèvres. “j’texpliquerais”, un jour, peut-être, ou peut-être pas, je t’expliquerais si je dois te demander pardon, je t’expliquerais si tu veux entendre la vérité, celle qui est moche.

de la même façon tu as décidé de revenir, de réapparaitre comme une fleur, espérant, tentant de reprendre ta place dans la vie de tous ces gens qui ne t’ont pas attendu pour continuer à vivre. “T’es venue seule ?”, tu jette un coup d’œil autour de vous, sans savoir si tu te feras casser la gueule d’être aussi proche d’elle, ou s’il te faudra la surveiller pour le reste de la soirée. Tu sais pas non plus si elle acceptera de rester avec toi dans l’éventualité de sa solitude, si elle acceptera que tu décides de la ramener chez elle. tu glisses tes doigts dans les siens, “viens, je te ramène”, peu rassurer par l’idée de la laisser là, de l’abandonner, une seconde fois.

@Shaye Fernsley

T’es même pas étonné de la voir là, dans cet état, parce qu’on ne change pas, on ne change jamais. Shaye non plus. ça t’inquiète un peu pourtant, réveil la conscience qui dormait en toi, sonne la cloche du “hé attention, ton pote là, elle n'est pas de plus en plus bourrée ?”, mais t’es partie trop longtemps pour pouvoir encore avoir le droit de lui faire la morale. peut-être même que t'avais pas plus le droit avant, que tu l’as jamais eu. Etiez-vous assez proche à un moment donné pour que tu puisses t’improviser “grand sauveur de l’humanité ?”, t'es pas bien sûr non. n’empêche que c’est comme ça, que la petite voix dans ta tête sonne l’alarme, la cloche de ta conscience. et t’a beau vouloir t’excuser, promettre de lui expliquer, un jour, elle te croit pas. et elle a bien raison, qu’est-ce que tu pourrais lui dire à Shaye ? la vérité ? certainement pas, elle filerait probablement te dénoncer au flic le plus vite possible. tu pourrais inventer un mensonge, lui trouver une bonne excuse, une jolie histoire qu’elle goberait, avaler sans poser de questions, mais tu n’en fis rien.

tu ne dit rien, simplement,
aidant juste son corps désarticuler à ne pas chuter sur le trottoir souillé,
la maintenant comme tu peux,

tu proposes de la ramener, lui demande si elle est venue seule, accompagné, quelques amis. elle ne sait plus trop, elle pense être venue seule, te fait remarquer qu’elle est toujours seule. bim, dans les dents Vince, fallait pas l’abandonner, pas la laisser là. d’ailleurs elle ne veut pas de toi, refuse ton aidé, elle n'a pas besoin de la tienne, elle n'en veut pas, se redresse comme pour te montrer qu’elle n’a pas besoin de toi. sauf que visiblement, elle n’y arrive pas, se rattrape à toi de justesse, sa main sur ton bras, l’autre qui la retiens par les hanches. elle demande cinq minutes, rien que cinq petites minutes. “ouais si tu veux”, t'es pas convaincu, et tu compte pas la lâcher. même si elle refuse que tu l’aides, même si elle joue la fière, tu refuses de la laisser là. “on devrait marcher un peu shaye, ça va t’faire du bien de prendre l’air”, tu soupires une nouvelle fois sans la lâcher des yeux, un tas de questions au bord des lèvres. tu comprends pas, comprend pas ce qu’elle a, pourquoi elle est comme ça, encore comme ça malgré tous les mois passé. pourquoi elle va mal, qu’est-ce qui ne va pas, qu’est-ce qui la pousse à boire autant ? “qu’est-ce qui n'vas pas shaye ?”, tu t’improvises psychiatre maintenant, tu te rappelles pas de la dernière fois où tu t’es autant intéressé à quelqu’un d’autre que toi.