nos âmes perdus.

il ne comprend pas ce qu'il fait ici. ou. si justement, il ne le comprend que trop bien, même s'il ne se sent pas forcément à sa place. ça fait deux réunions qu'il est ici, un groupe de soutient où chacun est libre d'évoquer la tristesse pour remonter la pente. wes n'a pas décroché un seul mot. pas capable de raconter ce qu'il se passe dans son coeur aussi tôt. ça fait peu de temps qu'elle est morte, il aurait dû se laisser du temps à lui aussi. mais ses proches, ceux qui ont décidé de ne pas le laisser s'enfoncer, l'ont poussé à faire ça. et pour qu'on arrête de l'emmerder, il a dit oui. alors voilà... il en est là maintenant. assis sur une chaise, ses yeux jonglent entre le sol et l'horloge pour espérer que l'heure tourne plus rapidement et qu'il retourne dans son chez lui éphémère. squatter le canapé d'ambroise, c'était malgré tout la meilleure des décisions qu'il a pris pour le moment.
il y a des tonnes d'âmes perdus ici. la plupart se sont déjà exprimées. ont eu le courage de dire ce qu'il se passe dans leurs coeurs. ils sont deux à ne pas avoir encore décrocher un seul mot ; lui, et celle qui est arrivé visiblement en même temps que lui. elle s'appelle serana, il le sait car qu'ils sont obligés de se présenter dès leurs arrivés. pas en parlant de l'histoire tragique que chacun à ici, mais au moins pour mettre un nom sur leurs têtes. c'est la chose la plus polie qu'il a pu faire, lui qui en temps normal ne cherche pas à comprendre et reste dans cette ligne droite, soutenant tout le monde, s'oubliant lui-même. faut croire que ça doit changer, mais pas aujourd'hui. l'heure avance, il reste une seule personne qui a le droit de s'exprimer, c'est un ancien qui a clôturé les trois dernières réunions déjà. alors... l'histoire est connu, mais c'est toujours intéressant d'en apprendre un peu plus sur les émotions qu'il ressent, et son statut dans la voie de la guérison et de la paix pour lui-même. il donne des leçons moralisatrices qui ne sont pas méchantes, que de bienveillance. expliquant qu'en acceptant de tourner la page, ça ne veut pas dire oublier, ça veut dire avancer. et ça lui a plu, ça trotte dans sa tête. ce n'est absolument pas maintenant qu'il veut avancer, ni tourner la page, mais les sensations cruels qu'il pouvait ressentir vis à vis de ça s'apaise un temps soi peu.
à la fin de la réunion, tout le monde se lève. certains parlent entre eux, wes va directement vers le buffet pour ne pas qu'on vienne le déranger dans ses pensées. il souffle un bon coup. son estomac se noue. il n'a rien envie de manger, depuis des jours déjà, sauf quand ambroise le force mais ça... c'est une toute autre histoire. et ses yeux se rivent sur cette nouvelle fille. wes attrape un papier. lui tend. tiens, c'est pour tes larmes.

Voilà. Elle avait fait un premier pas. Serana s’était inscrite à ces soirées où l’on pouvait raconté un événement traumatisant dans sa vie... Parce que la brune avait vécu quelque chose d’horrible un an plus tôt. Elle s’était perdue dans ses sentiments, ses émotions pendant plus d’un an. Elle avait toujours gardé la tête au dessus de l’eau, mais parfois, elle avait perdu pied. Les pleurs, la colère, l’impuissante étaient ses amis depuis trop longtemps. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Ses parents et ceux de son fiancé lui avaient demandé de faire quelque chose. Tout comme son travail. La jeune femme n’avait pas encore repris, mais elle allait devoir le faire si elle ne voulait pas perdre son emploi. Ses collègues de travail lui envoyaient régulièrement des nouvelles du service où elle était, mais rien ne faisait pour qu’elle puisse reprendre confiance. Il faut dire que voir son fiancé se faire tuer devant ses yeux, c’était quelque chose qui vous marquait à vie.

Ce soir là, Serana était assise sur une chaise pendant la réunion qui avait lieu. C’était la deuxième fois qu’elle y venait, mais elle n’avait pas encore eu le courage de raconter son histoire. Chaque fois qu’elle voulait se lancer, lever un doigt pour pouvoir discuter de ce qui s’était passé, les larmes venaient et le courage lui manquait... Alors, elle baissait les yeux et regardait ses chaussures ou jouait avec les manches de son pull trop grand. Ce n’était pas son pull, c’était celui de son fiancé. Elle n’avait jamais eu le courage de se séparer de ses vêtements... comme s’il était toujours là avec elle. Le soir, elle s’endormait souvent dans l’un de ses vieux tee-shirt pour se rassurer. Elle avait gardé aussi son parfum qu’elle aspergeait sur les vêtements qu’elle lavait, juste pour continuer de sentir sa présence. Est-ce que c’était une façon de vivre ? Non sans doute pas. L’appartement qu’ils partageaient avant le drame était toujours dans le même état, elle n’avait pas bouger les meubles. Elle y faisait le ménage, mais plus par automatisme... Serana secoua la tête pour revenir à la réalité. Elle se perdait parfois dans ses pensées pendant ces réunions, n’entendant qu’à moitié les histoires plus ou moins tragiques qui s’étaient déroulées dans la vie des autres personnes présentes dans la salle. Elle leva les yeux juste un moment pour regarder qui était là ce soir. C’était toujours les mêmes la plupart du temps, mais parfois, il y avait de nouveaux visages. Ils devaient tous se présenter et pour Serana, ça avait été une torture. Elle qui n’avait pas parler pendant des mois, sa voix était cassée, rauque. Elle avait juste dit l’essentiel. Et elle n’était pas la seule à ne pas parler. Il y avait un autre garçon qui était là depuis aussi longtemps qu’elle et qui n’avait pas parler. Ils étaient deux. Elle l’avait regardé plusieurs fois pendant les réunions. Quelle était son histoire ? Etait-il aussi brisé qu’elle ? Elle n’osait pas lui parler. Après tout, il n’avait pas parlé et elle non plus, pourquoi le feraient-ils maintenant entre eux ? La réunion se termina enfin et Serana se leva. Elle ne voulait pas partir trop vite, mais elle ne voulait pas se mêler aux autres. Elle se dirigea vers son buffet. Quelque chose lui rappela alors son fiancé et sans le vouloir, les larmes coulèrent contre ses joues. Pourquoi est-ce qu’elle pleurait pour de la nourriture ? Quelqu’un lui tendit un papier et lui dit que c’était pour ses larmes. Elle leva les yeux et vit ce jeune homme. Wes. C’était son prénom, il s’était lui aussi présenté.

«Oh merci... Désolé... pour les larmes.»

La jeune femme tendit la main et attrapa le mouchoir pour sécher ses larmes. Elle s’en voulait d’être aussi fragile. La jeune femme baissa les yeux et lui murmura :

«Tu... Tu vas bien ?»

Elle n’avait pas l’habitude de faire la conversation aux gens, mais Wes lui inspirait confiance. En fait, elle se disait qu’il pouvait peut-être un allié pendant ces réunions car ils étaient les deux seuls à ne pas avoir parler... Oh, elle ne voulait pas le forcer à parler de son histoire et elle ne le fera pas pour la sienne non plus... mais un peu de solidarité, ça pouvait aider non ?

il n'arrive pas à savoir si c'est une bonne idée, ses fameuses réunions. à quoi ça sert, d'en parler ? de libérer un poids le temps d'un instant, d'accord. mais après ? il se passe quoi quand on rentre chez soi et qu'on se sent à nouveau seul ? on en parle à qui, par la suite ? personne. pourtant, il est là, encore là, à tenter dans cette seconde réunion à s'incruster, à écouter, et peut-être à parler. on lui a lancé deux, trois fois, la perche sans qu'il ne soit capable de l'attraper, préférant la laisser tomber au sol. pas prêt à se livrer à des inconnus quand il n'est même pas capable de le faire à ses proches. ambroise en sait, sans trop en savoir. max en sait. sans trop en savoir. ella n'en sait rien, pour le moment. conscient qu'il pourrait lui en parler, c'est ce qu'elle a réclamé lors de leur dernière visite mais... mais pourquoi lui envoyer un peu de noir dans la tronche, elle, qui nage dedans depuis bien trop longtemps ? wes a préféré se taire, finalement. jamais trop en dire. jamais trop déranger. il s'efforce à rester deux heures ici, son fessier endolori par l'assise peu confortable.
dès la fin, il préfère se lever. ne pas disparaître immédiatement, c'est la méthode la plus censée. vis à vis de la personne qui prend le temps d'entretenir ses réunions, toutes les semaines. il ne peut pas s'empêcher d'être un minimum respectueux envers autrui. s'effaçant presque à nouveau, mais peu importe. il préfère s'approcher du buffet, regarder ce qu'ils proposent cette semaine comme gourmandise, sans que l'envie ne lui vienne de picorer dedans. il n'est visiblement pas le seul à s'éloigner du groupe, serana est là elle aussi. il lui suffit de poser ses yeux sur elle pour voir toute la tristesse qu'il ressent, lui aussi, sans être capable de la sortir. il a pleuré une seule fois ; le jour où il lui a dit au revoir, avant qu'elle ne s'en aille à six pieds sous terre. plus de larmes par la suite, juste la même et profonde tristesse d'un moment qu'il n'arrive pas à ressortir. un jour, ça finira par exploser. mais pas aujourd'hui, pas ce soir, pas demain. t'excuses pas. il pourrait sourire, mais il n'en fait rien. il se contente de la regarder, bêtement, sécher ses larmes en se sentant un peu impuissant. est-ce qu'il a l'air d'une horrible personne, parce qu'il ne pleure pas ? il n'en sait rien. comme toi. c'était certain qu'il n'allait pas répondre affirmatif, ils sont là, c'est bien qu'ils ne vont pas bien. wes passe une main dans ses cheveux, c'est maladroit, et sa main tremble. ça fait longtemps ? ils ne connaissent rien de l'un, de l'autre. deux âmes qui se protègent encore vis à vis d'un dur moment. arrivés au même moment, peut-être que c'est plus facile d'en parler quand les regards ne sont pas braqués sur eux hein ? moins d'un mois, pour moi. il tente quoi ? de parler ? oui. à quelqu'un qui peut bien comprendre la peine qu'il ressent.

Est-ce que parler de tout ça pouvait aider une personne à aller mieux ? Peut-être, mais pour Serana, elle avait surtout l’impression d’être une extraterrestre et de ne pas réussir à passer au dessus du traumatisme... En fait, cela faisait un an maintenant et rien n’avançait. Elle s’était laissée sombrer, elle avait essayer de s’en sortir pour mieux replonger par la suite. Ses parents n’avaient pas réussi à lui rendre le sourire. Est-ce qu’ils pouvaient comprendre tout l’amour que la jeune femme avait ressentit pour son fiancé ? Est-ce qu’ils auraient été dans le même état si c’était à eux que cette histoire était arrivée ? En fait, la brune n’avait pas trouvé d’autres personnes qui auraient pu la comprendre... Puis, on lui avait parlé de ce groupe de parole. Après de longs jours d’hésitation, elle avait finalement sauter le pas, mais, après sa présentation, elle n’avait jamais pris la parole. Elle se contentait d’écouter ce qui se disait, d’écouter les histoires de ces personnes brisées par la perte d’une personne. Serana ne savait pas qu’il y avait autant de personnes dans cette ville qui pouvait avoir vécu quelque chose de traumatisant. D’un coté, elle les écoutait pour mieux se faire à l’idée qu’elle aussi, elle avait le droit d’être mal, même après un an. Les histoires lui permettaient surtout d’oublier la sienne. Rester sur une chaise, c’était un moyen de s’évader en quelques sortes...

Lorsque la soirée se termine, Serana traîne toujours un peu. Elle ne va pas vers les autres, elle préfère les observer. Peut-être qu’un jour, elle aura le courage de leur dire ce qui s’était passé ce soir là... Pour l’instant, elle observe, analyse. Contrairement aux autres dehors, les membres de ce groupe de paroles ne sont pas là pour la juger, elle le sait. Ils ont vécu la même chose alors pourquoi juger le malheur des autres... La jeune femme se dirige vers le buffet et quelque chose lui fait penser à son fiancé et les larmes montent d’elles-mêmes à ses yeux... C’est toujours comme ça, il y a toujours quelque chose pour lui rappeler son malheur alors qu’elle pense prendre pied, elle le perd aussitôt. Serana n’est pas la seule à s’éloigner du groupe. Il y a Wes qui n’est pas très loin et qui la voit dans sa tristesse. Ils sont arrivés en même temps dans le groupe de paroles et tous les deux n’ont pas encore parler de leur histoire. La brune ne cherche pas à savoir ce qui lui est arrivé, elle s’excuse seulement pour ses larmes qui coulent contre ses joues lorsqu’il lui tend un papier. Elle le regarde alors qu’il lui dit de ne pas le faire. C’était une habitude, s’excuser pour quelque chose donc elle n’avait pas besoin. La jeune femme le regarde pendant qu’elle essuyait les larmes qui perlaient le coin de ses yeux. C’était bien la première fois qu’elle discutait avec quelqu’un pendant ces réunions. La plupart du temps, elle restait un petit moment avant de rentrer chez elle et de s’enfermer dans son univers pour affronter une nouvelle nuit de cauchemars.

Chez Wes, la tristesse se voyait dans ses yeux, mais pas autrement. En fait, peut-être qu’il avait déjà pleurer tellement longtemps qu’il ne pouvait plus le faire ? Serana savait que pour certaines personnes garder leurs émotions étaient une façon de combattre leur tristesse. Peut-être était-il comme ça ? Elle lui demanda alors comment il allait... pourquoi est-ce qu’elle posait la question alors qu’il était là pour une histoire sans doute aussi horrible que la sienne ? Mais il prit le temps quand même de lui répondre. Comme elle. La brune le voit passer une main tremblante dans ses cheveux et l’entend lui demander si ça fait longtemps. Est-ce qu’elle se sent prête de lui en parler ? Ils n’étaient que tous les deux après tout. Il rajoute que pour sa part, ça fait moins d’un mois. Oh. La douleur terrible doit être encore très présente pour lui. La jeune femme chiffonne le papier qu’elle a dans la main et baisse les yeux en lui disant :

«Je suis désolée...»

Avant de relever la tête, de tenter de faire un sourire compatissant, mais elle n’y arrive pas. Il y a si longtemps qu’elle n’a pas sourit. Elle préfère lui répondre :

«Depuis plus longtemps... ça a fait un an il y a quelques semaines...»

Il va s’en doute se dire qu’elle n’arrive pas à remonter la pente, mais est-ce que l’on peut vraiment le faire ? Elle regarde ses pieds et joue nerveusement avec ses doigts avant de lui dire :

«J’ai... j’ai du mal à m’y faire. C’est pour ça que je... je suis ici... mais comme tu l’as vu, je n’ai pas encore réussi à parler de mon histoire... Je sais que je devrais. Mais je n’y arrive pas devant toutes ces personnes...Peut-être qu’à une seule personne, je pourrais.»

Ils ne se connaissent pas et voilà qu’elle lui dit que peut-être, elle pourrait lui en parler. Il est vrai qu’il est plus facile de parler à une seule personne qui vous regarde qu’à une dizaine qui vous fixe, guettant vos sentiments et vos émotions... La jeune femme regarde les autres autour et ils ne semblent pas prêter attention à ce qui se passe.

«Tu n’es pas obligé de m’en parler tu sais... Je sais... je sais que les premiers mois sont difficiles... Tu... Tu as des gens autour de toi qui peuvent te soutenir ? Parce que, c’est important...»

Le jeune homme savait sans doute tout ça, mais elle se sentait obligé de lui dire. Peut-être qu’elle pourrait l’aider à ne pas sombrer comme elle dans cette dépression qui la torturait depuis des mois maintenant...

il aurait pu tracer sa route. récupérer un semblant de brownie, son nouveau colocataire serait contente d'entendre qu'il a un peu mangé. mais non. il s'arrête, cherche un mouchoir, toujours un paquet sur lui depuis sa mort. au cas où. il n'en a aucune utilité, pour tout dire. wes se sent comme un sans-coeur, alors qu'il est incapable de verser une larme. wes se permet quelques mots, ou, de lui répondre. si c'était une autre personne ; une personne plus ancienne, plus adepte à ce genre de réunion, il aurait pu tourner le dos, s'en aller, ne pas faire attention et... rentrer chez lui. du moins, dans son nouveau chez lui. chez ambroise. l'aider, lui. celui qui est encore coincé chez lui suite à une agression. mais il n'en fait rien. il ne bouge pas. toujours face à ce buffet, après lui avoir tendu le mouchoir. la voix est fébrile, lui qui ne parle plus beaucoup. il n'en sait rien, il essaye. se livre. il peut, c'est simple avec serana. elle est là pile en même temps que lui.
haussement d'épaules. ce n'est pas méchant, mais il n'en a rien à faire des excuses. lui aussi, il l'est. il l'est d'être autant brisé alors qu'il aurait dû être préparé à cette situation. elle était malade. il a forcé le destin avec ce traitement, et sans doute qu'elle aurait eu plus de temps. il aurait probablement dû l'écouter mais... il n'a rien fait. on ne peut pas refaire le monde avec des 'et si'. pourtant, il aimerait avoir une baguette magique, il aimerait revoir son sourire, il aimerait toucher sa joue, caresser ses lèvres. mais il ne peut plus rien faire. et wes vient se décomposer. d'un coup.
un an.
un an putain, et elle est là. elle est arrivée en même temps que lui.
la douleur est là, si longtemps... lui aussi, alors ? ça veut dire qu'il va mettre une année et demie à se remettre de la perte de sally ? ça serait terrible. c'est trop. il ne veut pas. il préfèrerait mettre fin à ses jours directement, plutôt que de chercher sa présence dans la pièce pour lui raconter une histoire pas drôle. il préfèrerait revivre encore des disputes, si c'est le prix à payer pour qu'elle se réveille d'entre les morts et qu'elle revienne. mais encore une fois, c'est espéré pour rien. se faire des faux espoirs. wes ne juge absolument pas. si c'est ce qu'elle pense. mais il ne cache pas la désolation sur son visage. merde. merde. merde.
un an et la pente n'est toujours pas remontée.
il secoue la tête, face à ses confessions. je ne veux pas que tu te forces à m'en parler. oui, wes parle bien plus qu'en temps normal. sans doute car c'est plus simple, là. et tu n'es pas obligée de te forcer à en parler, à toutes ses personnes. ils attendent tous ça, peut-être, mais... ses réunions sont faîtes pour ça ; pour qu'on parle sans se sentir forcer un seul instant. lui, ne parlera probablement jamais. ou, dans quatre, cinq réunions. dès que des anciennes têtes partiront, auront enfin la paix. des nouvelles âmes arriveront, ne parleront probablement pas dès le début, et c'est là où il prendra potentiellement la décision de se lever. de livrer son histoire. pas que les premiers mois, visiblement... il lâche, un peu au bord du désespoir. il ne comprend même pas comment il pourra se relever, face à ce genre de confession. j'ai. pas beaucoup. mais j'ai. il a ambroise. il a ella. et cette dernière, il ne pensait pas la revoir aussi rapidement. c'est sans doute le destin qui ont poussé leurs âmes à se retrouver. il a été là, à plusieurs reprises, quand elle n'allait pas bien. les choses changent. c'est elle qui le ramasse à la petite cuillère désormais. sa boutique est définitivement mis à l'abandon. il ne lui manque plus qu'à signer les papiers, du moins, à les envoyer. mais même ça, il n'en a plus le courage désormais.
wes fini par attraper un brownie, enlevant l'emballage en caoutchouc. c'est plus simple de ne pas la regarder, face à la question qu'il s'apprête à poser. tu finis par oublier son visage ? c'est ce qui me fait peur. l'oublier. complètement. ne plus se souvenir des traits, ni rien. les photos, qui, à un moment, ne suffisent même plus. wes n'est pas prêt.

La tristesse se lisait sur le visage des deux jeunes gens. Depuis combien de temps est-ce qu’il avait perdu la personne qu’il aimait ? Il allait lui dire sans doute ou pas, elle ne voulait pas paraître insistante... Il lui dit finalement que cela faisait un peu moins d’un mois. Serana se rappelait de la douleur des premiers mois. Elle n’avait pas parlé pendant un moment, elle avait du apprendre à reparler, solliciter sa voix, mais ça avait prit du temps. Elle avait aussi fait de la rééducation pour ses différentes blessures physiques puis apprendre à vivre sans fiancé. Ça avait été long, douloureux. La jeune femme ne voulait pas faire peur à Wes parce qu’il pouvait être plus fort qu’elle. Elle ne le connaissait pas après tout. Elle le voit se décomposer lorsqu’elle lui répond que ça fait un peu plus d’un an qu’elle avait perdu cette personne qui avait fait battre son coeur pendant des années... Il la regarda et lui demanda si la douleur était là, si longtemps... Elle se mordit la lèvre inférieure. Elle aurait du se taire... Peut-être inventé un petit mensonge ? Non, ce n’était pas elle, elle ne savait pas mentir. Elle baissa les yeux de nouveau en chiffonnant le mouchoir entre ses mains et lui dit, doucement :

«Tu es... tu peux être différent de moi... Si tu es mieux entouré que moi tu peux t’en sortir mieux que moi... Mais la douleur reste, même si parfois, elle s’estompe un peu...»

Elle n’arrive pas à choisir les bons mots, elle le sait. Elle n’est pas très douée pour parler, pour rassurer. De toute façon, comment le pourrait-elle alors qu’elle n’arrive pas à remonter la pente elle-même ? Elle lui dit alors qu’elle pourrait lui raconter son histoire, il n’y a personne autour d’eux pour les juger, regarder. Mais, il ne veut pas qu’elle se force. Il rajouta qu’elle n’est pas obligé d’en parler à toutes ces personnes. Ils attendent juste ça. Serana relève les yeux vers lui pour l’écouter. Elle avait toujours eu cette impression effectivement. Il ne fallait pas se forcer, c’était le but de ces réunions. Elle hocha doucement la tête.

L’histoire de Serana était un peu particulière, sans doute plus que celles des autres... L’horreur qui avait déchiré la jeune femme cette nuit là avait été un calvaire encore un an plus tard. Est-ce qu’elle allait en parler un jour ? Peut-être. Elle regarda Wes et lui dit :

«Non, je ne me force pas... Je veux bien t’en parler si tu as le coeur bien accrocher et si tu as envie d’entendre... Peut-être que ça pourra m’aider...»

Puis, elle lui dit qu’il n’était pas obligé de lui en parler comme il lui avait dit quelques secondes plus tôt. Elle ne voulait pas qu’il se sente coincé. Elle lui dit qu’elle savait que c’était difficile les premiers mois et il lui dit que ce n’était pas que les premiers mois. Serana lui fit un petit sourire timide. Il était au bord du désespoir puis il rajouta qu’il avait quelques amis, pas beaucoup, mais assez pour tenir le coup. La jeune femme lui dit alors :

«C’est important d’avoir des gens autour de soi... Tu pourras t’en sortir.»

C’était la vérité. Autour de Serana, personne n’était resté parce que personne n’avait su la rassurer. Il y avait bien sa meilleure amie, mais cette dernière avait sa vie personnelle à gérer aussi. La brune n’aimait pas déranger alors elle préférait ne pas l’appeler. Elle avait bien quelques nouvelles de temps à autre, mais c’était tout. Elle vit Wes attrapé un brownie, comme s’il était timide, comme s’il allait lui poser une question qui allait être dérangeante... La jeune femme attendit. Elle était prête à lui répondre si cela pouvait le rassurer. Peut-être est-ce que c’était ça son but ? Aider ceux qui avaient perdu quelqu’un ? Mais peut-être qu’elle devrait finir de se faire soigner avant de se lancer dans quelque chose de la sorte... Wes finit par lui poser la question qui le torturait. Il lui demanda alors si elle avait fini par oublier son visage... C’était ce qui lui faisait peur en fait, l’oublier complètement. Serana attrapa un verre et se servit de l’eau avant d’en boire une gorgée. La jeune femme n’avait jamais oublié le visage de son fiancé. Les photos aidaient bien sûr, mais les souvenirs. Elle ne pourrait jamais oublié son visage. Un an après, elle n’avait pas oublié. Elle n’avait pas oublié non plus son visage ensanglanté avant qu’elle ne perde connaissance ce soir là. La jeune femme regarda autour d’eux pour être certaine qu’ils étaient bien seuls et elle lui dit :

«Non. Je ne l’ai pas oublié. Je ne crois pas que je vais oublié un jour. Les souvenirs restent dans ma tête même les plus mauvais, même après un an. Si... si ce que tu ressentais pour cette personne était assez fort, tu ne l’oublieras pas. Ceux que nous avons perdu, ils restent dans notre coeur, dans notre mémoire... C’est ce que je crois. Je pense que je vais toujours avoir son visage en tête... Même si j’essaye de refaire ma vie...»

Elle joua doucement avec son verre avant de rajouter.

«Je sais qu’il ne voudrait pas que je sois aussi mal, mais je n’arrive pas à remonter la pente... C’est... c’est dur de se dire que le soir où on te demande en mariage, ta vie vole en éclats quelques minutes plus tard.»

Les larmes remontèrent aux yeux de Serana qui les ferma un moment pour ne pas se laisser submerger par l’émotion avant qu’elle ne lui dise :

«Mais tout ça, tu dois le découvrir toi même... Je ne veux pas te faire peur parce que je suis là, ici, un an après... Peut-être que toi, tu arriveras à surmonter tout ça plus rapidement. Je ne te parle pas d’oublier cette personne... juste d’apprendre à vivre avec son absence...»

à quoi ça sert de vivre, si on vit dans la douleur depuis plus d'un an ? pour sa soeur, il avait réussi à relever la pente, pas dans les premières semaines. certes. mais il avait quand même réussi à se relever. pourquoi ce n'est pas similaire avec sally ? c'est horrible de dire ça, mais sa mort le touche bien plus. sans doute car il avait imaginé des projets futurs avec elle. il s'imaginait l'aimer, vivre, jusqu'à ce qu'ils soient vieux et qu'ils meurent, forcément, mais meurent avec deux enfants dans la vie, avoir vécu des tonnes de choses. ils n'ont pas pu vivre, si ce n'est quelques mois avant qu'elle préfère le quitter sans raison, dans le but de le protéger. ça aurait dû le repousser, il aurait dû prendre ses distances, tourner la page, vivre sa vie autrement.
il n'a pas choisi cette option, malheureusement.
sans doute car sally était toujours là. ils s'envoyaient des messages, ils s'appelaient, il venait dès qu'elle avait besoin de lui, il l'a emmené à boston pour vivre un moment fou, d'amour. il est allé vivre chez elle, ils avaient décidé de reprendre leurs vies ensembles. je ne suis pas certain qu'être mieux entouré change quoi que ce soit. je pense que c'est un travail de volonté avec soi-même. et lui n'a aucune volonté, n'a aucun sens dans sa propre vie, depuis qu'il a reçu l'appel de l'hôpital pour lui annoncer la mort de l'amour de sa vie. la douleur reste, s'estompe, des fois. pour mieux repartir ? non, il ne veut pas vivre ça. et, sans doute qu'elle a raison. malgré tout, il ne vit plus tout seul, il a abandonné cette appartement trop cher où il reste malgré tout co-locataire, où le loyer tombe tous les mois. d'un salaire qu'il n'a pas. d'une boutique qui ne fonctionne pas. mais peu importe, il ne vit pas tout seul. ambroise est là. son ami, meilleur ami, lui offre le toit et un semblant de chaleur, même s'il ne parle pas tant. et bientôt, s'ajoutera ella, qui saura, qui sera là. les rôles s'échangeront. deux personnes valent mieux qu'personne, c'est sans doute pas plus mal finalement. c'est toi qui voit. on peut en parler, mais je n'ai pas envie qu'on reste ici. ici, il y a malgré tout des oreilles qui écoutent tout. qui peuvent s'incruster dans cette conversation, briser le peu d'intimité qu'ils sont en train de construire. si serana, ou wes, n'ont rien dit encore pendant ses réunions, c'est pour une bonne raison. s'ils acceptent de s'offrir un moment d'intimité, ce n'est pas pour que les autres soient dans les parages. mais aller où ? il n'en a aucune idée.
il attrape un brownie, retire l'emballage. il le dévisage, ce pauvre gâteau qui n'a rien demandé. l'envie de le manger n'est pas présente, mais il doit se forcer, ça pourrait être bien pour son estomac qui n'a pas mangé grand chose depuis trop de temps. ambroise aussi, serait forcément rassuré. mais il n'en fait rien. l'emballage est ouvert, cette pâtisserie risque de finir dans la poubelle à la fin de la conversation. la question lui brûle les lèvres, et il fini par la poser, par savoir. il doit se préparer à ce genre de choses, à peut-être oublier sally. même les photos peuvent ne pas aider à ce qu'il se souvienne de ses traits ou du son de sa voix. et toi aussi, tu te remets en question ? tu te dis que t'aurais pu mieux faire, que les gestes auraient pu avoir des conséquences sur le futur et que, peut-être, il serait toujours là ? il va un peu trop loin, car, ça le coupe sur place d'entendre ses aveux. merde alors... il peut comprendre le traumatisme d'une magnifique soirée, avant que tout parte en ruine. son fiancé est mort, alors qu'ils venaient de se promettre l'éternité. même si ça ne change rien, je suis désolé pour toi. non, c'est certain que ça ne change rien. lui non plus, n'aime pas quand on lui balance ce genre de phrases bateau. sally serait pareil. à ne pas vouloir que je sois mal. sauf que c'est eux qui sont morts, pas nous. c'est eux qui sont plus avec nous, quand nous, on a encore besoin d'eux. les mots sont injustes, mais c'est ainsi qu'il voit les choses.

Serana se rendit compte qu’elle parlait trop et surtout, qu’elle ne choisissait pas spécialement les bons mots. Elle avait toujours du mal à s’exprimer correctement, sans doute lier à sa timidité depuis toujours. La seule personne qui pouvait la faire parler librement, c’était son fiancé. Mais, il n’était plus là. La brune dit alors à Wes qu’il pouvait s’en sortir s’il était bien entouré. C’était une certitude. Pour l’infirmière, les choses s’étaient un peu compliqué parce qu’elle n’avait jamais laisser personne venir vers elle. Lorsqu’elle l’avait fait, c’était déjà trop tard. Le jeune homme lui dit qu’il n’était pas certain que d’être entouré changeait quoi que ce soit. Serana haussa un sourcil. Il rajouta qu’il pensait que c’était avant tout un travail sur soi. La jeune femme hocha doucement la tête. Effectivement, il y avait un peu de tout. Il n’était pas bête en fait. Serana avait peu de volonté avec elle-même depuis cette agression, ce qui faisait qu’elle mettrait encore du temps avant de remonter la pente. Mais, elle pensait être sur le bonne voie. Certains jours, elle se disait qu’elle pourrait sans doute retourner au travail pour oublier un peu ce qui s’était passé dans sa vie ces derniers mois. Est-ce que ce n’était pas une volonté d’aller mieux ? La jeune femme lui dit alors qu’elle était prête à lui dire ce qui s’était passé dans sa vie, mais le jeune homme lui dit qu’il ne voulait pas qu’ils le fassent dans cette salle. La brune regarda autour d’elle. Effectivement, les murs avaient des oreilles et elle n’était pas certaine d’être prête à affronter le regard des autres. Ce regard que l’on vous jete parce que vous êtes la survivante. Celle qui n’est pas morte dans cette agression. On compati, on vous dit que vous avez eu de la chance. De la chance ? Est-ce que c’était vraiment de la chance de vivre sans l’être qui vous aimait ? La jeune femme hoche de nouveau la tête et lui demande :

«Je suis d’accord... Je n’ai pas très envie d’étaler ma vie à tout le monde pour le moment... Un café au petit resto au coin de la rue ?»

Elle proposait, cela ne coutait rien. Elle vit que le jeune homme jouait avec le brownie qu’il avait déballé. Il n’avait pas faim, ça se voyait. Elle avait connu cette phrase aussi. Maintenant, elle mangeait un peu mieux, mais pas en grande quantité. Tout ce qui lui faisait envie n’était plus que de lointain souvenirs. En fait, elle mangeait plusieurs fois par jour pour éviter de se gaver. Elle regarda Wes qui se demandait s’il devait manger la patisserie... mais la question qu’il brulait de lui poser traversa ses lèvres et Serana lui répondit du mieux qu’elle le pouvait. Non, elle n’avait pas oublié son fiancé. Loin de là. Son visage était presque trop clair dans ses rêves, trop réel. En fait, chaque fois qu’elle rêvait de lui, elle avait l’impression que leur agression ne s’était jamais déroulée... Le réveil n’en était pas moins dur le lendemain... Elle lui expliqua comment elle voyait les choses, les ressentait. Puis, il lui demanda alors si elle se remettait en question. Si elle aurait pu mieux faire... Serana baissa les yeux et lui murmura :

«Tous les jours, je me dis que j’aurai du réagir autrement. Ne pas rester tétaniser devant la peur...»

Elle lui dit que son fiancé l’avait demandé en mariage quelques minutes avant que tout bascule. Il peut sans doute comprendre la douleur de perdre un être aimé sinon, il ne serait pas là si ? Il lui dit qu’il est désolé, même si cela ne changera pas grand chose. Elle hausse les épaules et lui dit :

«C’est ainsi... Je suis aussi désolée pour toi...»

Bien qu’elle ne sache pas qui était la personne qu’il avait perdu, à quel degré ils étaient proche. Serana lui dit alors que son fiancé n’aurait jamais accepté qu’elle se laisse aller de la sorte et Wes lui répond que Sally non plus. Une jeune femme alors. Sans doute sa petite amie. Il rajouta qu’elle n’aurait pas voulu qu’il soit mal, sauf qu’ils étaient morts et pas eux. Les mots sont durs, mais la jeune femme sait qu’il a raison. Elle pose le verre qu’elle tient dans la main sur la table et lui pointe le gâteau :

«Si tu ne le manges pas, allons dans ce café au coin de la rue... On sera mieux seuls je pense...»

Des gens s’étaient approché du buffet et Serana commençait à se sentir mal à l’aise. Est-ce qu’ils avaient entendu leur conversation ? Est-ce qu’ils n’allaient pas leur poser des questions ? La jeune femme se dirigeait déjà vers le porte de sortie sans prendre le temps de savoir si Wes la suivait. Peut-être n’avait-il pas envie d’écouter son histoire après tout ?