Night game - Silene

Chasser la solitude, tromper l’ennui, se débarrasser des idées noires, surtout. Les idées noires qui reviennent, qui la prennent, chaque fois qu’elle se retrouve seule, chaque fois qu’elle quitte les plateaux de tournage. Son terrain de jeu, son empire à travers lequel elle devient maîtresse usant de ses tours pour téléguider les pantins qui lui servent de candidats. Elle devient maîtresse, peu à peu, parce qu’elle s’est rapprochée de la reine des lieux, parce qu’elle est incontrôlable et que son esprit tordu n’a pas de limites. Ta seule limite, c’est cette putain de solitude, Silene. Ta seule limite, c’est ce dégoût que tu ressens, chaque fois que tu rentres chez toi et que t’es obligée d’affronter ta pire ennemie : toi-même. Ce qu’elle croit, depuis des années désormais. Ce qu’elle croit, depuis qu’elle s’est retrouvée abusée, encore et encore par le même homme. Elle est responsable. De tout ce qu’elle a vécu, de ces viols à répétition, de son enfermement dans cet hôpital, de tout ce qu’elle a dû faire pour survivre. Elle est responsable, de tout. Et lorsque la culpabilité devient trop dure à supporter, elle cherche tous les moyens possibles pour l’évacuer. Le moyen, ce soir, c’est Luis. Luis, parce qu’avec lui tout est simple. Luis, manipulateur hors pair, tout comme elle, qui ne la jugera pas, qui n’essaiera pas de la changer mais qui lui fera tout oublier. T’aurais pu te tourner vers Isabella, vers Lio ou même vers Melchior, mais tu sais qu’avec eux, c’est beaucoup trop profond, Silene. Tu sais qu’avec eux, les sentiments entrent en jeu. Luis, il se contentera de te charmer, tout comme tu sais si bien le faire. Il se contentera de t’offrir un verre et vous passerez certainement la nuit ensemble, comme à chaque fois. Les pensées qu’elle pourra effacer, avec sa simple présence. Comme une bulle d’oxygène, comme une bulle de légèreté. Elle ne tarde pas à le trouver, lorsqu’elle arrive sur le lieu du rendez-vous. Seul homme au bar qui n’est pas encore accompagné, le sien, vraisemblablement. Sans attendre, elle se dirige vers lui, jusqu’à lui, prenant la parole avec un sourire aux lèvres. - T’es tout beau ce soir. Un brin charmeuse, parce qu’il s’agit-là de leurs habitudes, celles prises depuis leur rencontre à sa table de poker. Elle sait tout des activités illégales de Luis, comme il sait qu’elle passe le plus clair de son temps à manipuler les âmes les plus faibles.

(c) calaveras.

Luis, il ne devait être qu’une distraction, qu’une âme aussi sombre que la sienne avec qui se complaire, mais il est resté. Il est resté quand d’autres ont disparu. Sans attentes, sans ambitions, parce qu’ils ne sont que deux partenaires, que deux personnes trompant l’ennui. Ils ne sont que cela et elle l’accepte. Rare, venant de toi, Silene. Rare, venant de toi qui cherche toujours à construire une relation sur ce qu’il y a de pire. Sur ce qu’il y a de plus mauvais. Elle aurait pu faire la même chose avec lui. Elle aurait pu engendrer le même manège avec Luis, mais tout est différent. Peut-être parce qu’ils se ressemblent un peu trop. Peut-être parce qu’ils sont davantage de vrais amis que des amants, bien que les amis, les vrais, se comptent sur les doigts d’une main. Parce que la vérité, c’est qu’elle ne sait pas respecter les autres, Silene. Elle ne sait pas respecter les autres parce qu’elle ne sait pas se respecter elle-même. Parce qu’elle ne pense pas mériter la moindre relation sérieuse. Parce qu’elle ne pense pas mériter quoi que ce soit de bon. Luis, il n’est pas bon. Luis, il n’est pas quelqu’un de bien. Mais ils se retrouvent justement pour cela. Ils se retrouvent, toujours, parce qu’aucun ne juge l’autre. Parce qu’ils sont égaux l’un à l’autre. - Merci… Qu’elle rétorque à son tour, un brin charmeuse, en s’installant sur le tabouret à ses côtés. L’attraction est là, l’attirance est présente, sans aucun doute. - Avec plaisir, pour le verre. Pour les verres. Mais tu devrais faire attention à toi, peut-être que tu n’auras pas toujours la main heureuse… Elle le taquine, elle le cherche, mais elle connait cette adrénaline. Elle connait cet enjeu. Elle connait, parce qu’il en est de même pour elle. Un jour, tu tomberas de ton piédestal, toi aussi, Silene. Un jour, tout s’arrêtera. La machination s’arrêtera. Un jour, tu t’effondreras, et ce n’est qu’une question de temps. - Je suis contente de te voir aussi. La journée a été longue. Passant commande auprès du barman, elle se retourne rapidement vers lui lorsqu’il disparaît. Son attention est entièrement portée sur lui. Sur Luis.

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Fréquenter Luis, c’est la facilité. La facilité, la simplicité, parce qu’ils se sont trouvés comme une évidence. Parce que l’un à côté de l’autre, ils s’enfoncent dans un monde qui n’a rien de commun, qui n’a rien de réel. Monde qui finira par s’effondrer, tôt ou tard. Lui, qui risque de perdre la main, qui risque sa liberté avec l’illégalité. Elle, qui partira en vrille, complètement, à un moment ou un autre. Ce n’est qu’une question de temps, avant qu’ils ne finissent tous deux par disparaître, comme les moins que rien qu’ils sont. Mais au moins, avec lui, tu te sens vivante, Silene. Tu te sens exister, exactement telle que tu es. Tu te sens libérée des chaînes de la société, libre d’être toi-même, néfaste. Et il y a cette dynamique entre eux qu’elle aime, ils se cherchent, se taquinent, se séduisent, à chacune de leur rencontre et recommencent à la suivante. Prouvant, une fois de plus, qu’elle se complet avec la facilité. Qu’elle se laisse aller dans cette simplicité qu’elle ne retrouve que trop rarement dans ses relations. La vérité, c’est que t’es complètement retournée, avec les hommes de ta vie, Silene. Elio, l’ex petit-ami un peu trop violent, l’histoire passionnelle terminée dans le drame, les retours perpétuels sur ce qu’aurait pu être leur vie à deux. Lio, avec lui, les choses vont et viennent, elle l’aime de tout son cœur, elle en est persuadée, elle le désire près d’elle pour pouvoir le consumer. Puis il y a Melchior. Melchior et les non-dits, Melchior et cette alchimie, attraction cachée, qui la pousse à sortir de ses limites, sortir de ses barrières. Rien de comparable avec Luis, ce vent de légèreté qui souffle sur sa vie et sur son cœur. - J’espère que tu dis vrai… Parce que, si tu venais à avoir des problèmes, ça m’embêterait, quand même… Le ton employé est toujours le même, le charme, cachant un semblant de vérité tout de même. Elle tient à lui, un peu, et peut-être bien qu’elle n’aimerait pas le voir disparaître soudainement de sa vie. Cette relation, aussi néfaste soit-elle, elle te fait du bien, Silene. - Tu as raison. Profitons. Verre porté en sa direction, elle n’hésite pas à trinquer avec lui, plantant son regard dans le sien pour savourer l’instant. - Non, la journée s’est plutôt bien passée, mais tu sais comment est mon travail… C’est la pression permanente, et te voir m’aide à oublier. A oublier ta solitude, surtout, Silene. A oublier que tu n'es rien, sans ce putain de boulot. - Mais c’est gentil… Je ne savais pas que tu avais ce côté si doux… Petit sourire en coin, toujours présent, toujours là.

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Sa question vient semer en elle l’ombre d’un doute, un petit doute. S’il venait à lui arriver quelque chose, serait-elle vraiment inquiète ? Ce n’est pourtant pas ce qui devrait arriver, entre deux amants. Il ne doit pas y avoir d’inquiétude, pas d’engagement, pas sentiment et pourtant, face à cette question, elle se sent prise au piège parce qu’au fond, elle s’inquiéterait, un peu, elle le sait. Elle, serpent égoïste qui se fiche bien de ce qui peut arriver aux autres. Elle, serpent égoïste qui manipule le monde. Il y a bien quelques petites exceptions, dans sa vie, mais de très rares. Et Luis ne devrait pas en être, un amant ne devrait jamais en être. Alors peut-être sont-ils autre chose que des amants. Peut-être qu’ils deviennent amis, autant qu’ils peuvent l’être. Autant que peuvent l’être deux personnes partageant les mêmes draps. T’es pas la plus douée qui soit, en amitié, Silene. T’es pas la plus douée qui soit pour les relations quelles qu’elles soient. Toi, t’es plutôt la meilleure pour les détruire. La meilleure pour bousiller les quelques personnes qui peuvent sincèrement tenir à toi. Sourire un brin gêné, ne sachant pas si elle doit lui avouer la vérité ou encore une fois tout camoufler, elle reprend la parole. - Et bien… Je m’amuserais beaucoup moins sans mon complice… Pour ne pas dire que oui, elle tient peut-être un tout petit peu, rien qu’un peu, à lui. Pour ne pas avouer qu’elle est encore capable de s’attacher. Pas d’une jolie façon, pas d’une douce façon, mais à sa façon à elle. Peut-être un peu trop machiavélique, mais attachement quand même. Et tu commences à croire que c’est peut-être réciproque, Silene, parce qu’il semble attentif à ce qui t’arrive, à toi aussi. Parce qu’il semble se soucier de toi, de ta journée, de ton travail, ce qui est plutôt rare pour une personne comme Luis. - J’accepte tous les verres que tu me proposeras. Qu’elle lâche, en riant, prête à se mettre la tête à l’envers. Prête à transformer ses pires états en plus beaux. - Oh, moi, rien de spécial tu sais. J’ai des problèmes avec mes exs. Et toi ? Qu’est-ce qui se passe d’exaltant dans ta vie ? Tout lui semble complètement naturel, totalement naturel, à ses côtés. Comme si elle se retrouvait face à son reflet. A tel point qu’elle évoque ses anciens petits-amis, ceux de qui elle ne parvient pas à se détacher.

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Elle est de celles qui se lient, trop intensément, sans savoir comment gérer la relation par la suite. Elle est de celles qui se lient, sans savoir comment s’y prendre. Ce lien qu’elle entretien avec Luis, il est unique par sa légerté. Il ne ressemble en rien à tout ce qu’elle connait, à tout ce qu’elle cherche, d’ordinaire. Parce que tu te persuades toi-même que tu cherches le grand amour, que tu cherches à avoir ta fin heureuse, toi aussi, Silene. Mais la vérité, c’est que si tu trouvais l’amour, tu serais bien incapable de le garder. Tu ne ferais que le briser, que le consumer, que le dévorer. Tu ne ferais que tout gâcher, Silene. Et avec Luis, il n’y a pas tout ça. Il n’y a pas ce risque, il n’y a pas ces inquiétudes, il n’y a rien à détruire parce que rien n’est construit. Mais malgré ça, elle ne veut pas que quelque chose lui arrive. Mais malgré ça, elle ne veut pas le voir disparaître de sa vie. Un fait avéré qu’elle peine pourtant à admettre. Parce que cela signifierait enfreindre la règle, celle des amants voués à le rester. - Quoi ? Tu ne serais pas inquiet, toi, si je venais à disparaître ? Qu’elle lance, succube cherchant toujours à avoir le dessus, à maîtriser la situation par peur d’être abusée à nouveau. T’aimerais qu’il te dise qu’il le serait aussi, Sisi. T’aimerais qu’il te dise qu’il a besoin de toi dans sa vie. Au fond, c’est ce que tu fais toujours, tu t’imposes, tu t’acharnes, comme un poison qui dévore de l’intérieur. Et ce n’est même pas étonnant que ses relations restent conflictuelles avec ses ex petits-amis, parce qu’elle ne s’en va jamais vraiment, Silene. Parce qu’elle reste, encore et toujours. - L’un d’eux me demande encore des comptes, et avec l’autre, c’est… Compliqué… Disons que nous ne sommes jamais vraiment ex mais jamais vraiment ensemble non plus. Compliqué, oui, parce que vous vacillez, toujours, entre couple et séparation. Entre amour et ignorance. Parce que rien n’est jamais facile, à travers le jeu des sentiments. - De nouvelles personnes ? Quelque chose d’intéressant ? Curieuse d’en apprendre un peu plus sur lui. Sur l’homme qu’il est, lorsqu’il ne passe pas ses soirées avec elle.

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