oublions nos larmes. (irwin)

01/ beth et jules burton auraient pu être heureux, avoir un happy ending. mais leur histoire se termina brusquement, comme la page de fin qu’on arrache d’un livre. à vingt-et-un c’était le grand amour. celui qu’on ne connait qu’une fois. celui qui fait battre notre cœur si rapidement qu’on peut en oublier de respirer. ils étaient beaux ensemble. elle était le calme. lui la tempête. l'un n'allait jamais sans l'autre. lors de l’année 92, irwin ouvrit pour la première fois les yeux pour découvrir ce monde. il vit à quel point marcher à quatre pattes et boire des biberons pouvaient être merveilleux. six ans plus tard ce fut le tour de son petit frère, vladimir. la famille ne cessa de s’agrandir avec l’arrivée d’anita. au début, il ne comprenait pas comment un nouveau bébé pouvait sortir de nul part, et pourquoi sa mère avait des ventres aussi gros. on lui avait expliqué l'histoire de la cigogne, mais lui préfèrais ce dire que c'était comme les poussins, que le bébé sortait de son oeuf.  l’ainé burton était tout fier, trop heureux d’avoir des compagnons de jeux. il se sentait important, protecteur. bombant le torse, la tête haute. il devait montrer l’exemple, expliquer les choses de la vie. tenir leurs mains pour traverser les passages piétons. faire peur aux autres gamins un peu trop virulents. regarder vingt fois le même dessin animé. les aider avec leurs devoirs. toujours préparer un goûter de secours dans son sac juste au cas où. jouer à des jeux avec eux. prêter ses affaires. si pour certains avoir des petits frères ou petites sœurs était une tare, irwin embrassait l’ensemble avec légèreté.  il voulait les voir sourire, rire. en quelques secondes, juste comme ça, il avait déjà une autre raison de vivre.   02/  les études de médecine, quel gâchis. un parcours non terminé, un potentiel abimé. même pas un foutu diplôme. rien. le gamin avait tout perdu. mais vous ne méprenez pas,  étudier le corps humain l’avait fait vibrer, l’avait rendu heureux. pas que lui, ses parents aussi. ils étaient particulièrement fiers. irwin était le premier burton a entamé de grandes études, peut-être aussi parce que il était l’ainé. il allait faire quelque chose de sa vie, aider les gens. les soigner, les écouter, vivre leur peine. il se sentait dans son univers, et reconnaissant de pouvoir donner du temps à ceux qui en avait le plus besoin. son chemin semblait tout tracé. et puis, les filles n’étaient pas non plus complètement indifférentes à cette nouvelle étiquette, ce qui aidait bien. tout semblait si simple et pourtant. la médecine c’est faire de longues nuits blanches, de bouffer des bouquins encore et encore. lui il en pouvait plus, parfois il voulait appuyer sur pause et que tout s’arrête. mais quand il voyait la fierté dans les yeux de son père, il comprenait que l’échec lui était interdit. il n’avait pas le choix, il se devait de réussir, juste pour lui faire plaisir, toujours pour lui faire plaisir à lui et à sa mère. l’apprentissage il détestait cela. parfois, après des heures à réviser, il avait envie de dire que les études ce n’était pas si important. qu’ils pouvaient tous allés se faire foutre avec leurs notes et leurs concours, parce qu’avoir un bistouri entre les mains c’est bien plus que ça. un patient c’est une vie à sauver. il était contre ce système ridicule, il voulait être sur le terrain, voir la réalité en dehors des livres. son cerveau ne pouvait plus absorber toutes les conneries qu’il pouvait lire. dans cette fac tout était compétition, et il fallait avoir de l’ambition à revendre, mais il voulait leur dire d’aller se faire foutre avec leur ambition. qu’être médecin ce n’était pas que pour le prestige et faire partie de l’élite de la nation. que c’était bien plus que ça. mais irwin ne disait jamais tout ça. il fermait sa gueule comme il le faisait toujours. et au final il n’a jamais pu prouver à tous ces cons ce que c’était d’être un véritable médecin. d’ailleurs, il n’avait plus aucuns contacts avec ses camarades ou ses amis. tout le monde avait cessé de lui parler après l’enterrement, comme s’il portait la poisse.  03/ elle était arrivée comme ça. du jour au lendemain, sans explication. ce petit ange. cette douceur. mais qui était donc cette petite ingénue avec ce regard pétillant ? deborah qu’elle s’appelait. avec son visage mutin et sa peau un peu trop blanche, le petit burton trouvait que ça lui allait bien. irwin lui sourit, un sourire sincère et chaleureux. pas besoin de mots entre gamins. il plaça simplement sa main dans la sienne et lui dit tout content  « viens jouer avec nous ». il ne la quitta jamais vraiment des yeux. il l’aimait bien. elle semblait si triste, si timide que son petit cœur de mioche lui compressait la poitrine. il voulait l’aider. les yeux pleins d’étoiles il souhaitait lui montrer à quel point le ciel était beau. puis tous les débiles avec leurs mots haineux et leurs bouches venimeuses pouvaient se faire voir chez les grecques. il prenait inlassablement sa défense, parce que deborah c’était pas simplement une gamine qu’ils hébergeaient, c’était sa famille. il l’aimait presque autant que son frère et sa sœur bien qu’il ne la connaissait pas depuis si longtemps. mais il se disait que tout le monde devrait avoir la chance d’avoir un papa et une maman. il n'avait pas compris que vlad et anita pouvaient être jaloux de cette nouvelle présence. il ne comprenait pas, il trouvait ça idiot. son cœur était suffisamment grand pour avoir de la place pour tout le  monde. il ne s’en rendit pas compte tout de suite, trop naif et ignorant. vlad commença à bouder pour anita à grogner. ils s’éloignèrent comme ça. irwin était dépité, parce que lui voulait jouer avec tout le monde.   04/ quatre ans qu’ils sont partis vers un monde meilleur.  quatre ans qu'ils ne sont plus, qu'ils gisent sous le sol, ensemble. mais irwin et les autres gamins, ils sont toujours là, sur terre. les enfants burton sont là, et pas eux. il se souvient encore de ce jour, lui tranquillement en train d’étudier dans sa chambre pour son prochain examen. il ne lui restait que trois ans à tirer à la fac de médecine, et il aurait terminé. son téléphone avait sonné. il avait décroché, et peut-être qu’il n’aurait pas dû. une femme lui expliquait qu’il y avait eu un accident de voiture, qu’elle était infirmière à l’hôpital et que ses parents étaient morts. le choc, l’incompréhension, le vide. tout était allé trop vite. sans s’en apercevoir il courrait déjà dans la rue, les larmes coulant le long de ses joues. à ce moment précis, il en voulait au monde entier. il voulait crier, s’époumoner, s’égosiller la voix pour lâcher toute cette frustration, mais aucun son ne sortait de sa bouche. il continuait à courir sur l’asphalte, les poumons en feux, les yeux rouges. s’affalant contre un arbre, il chiala tous les pleurs de son corps. il se souvenait encore de quand il était petit, sa maman lui disait toujours que le ciel était un voile tout noir. et qu'il y avait des petits trous dedans. mais que c'était normal. car à travers ses petits trous on pouvait y voir la lumière provenant du paradis. maintenant, la mère burton les regardait de tout en haut, veillant sur eux dans la nuit.  à ce moment précis, il comprit qu’il ne les reverrait plus jamais. leurs sourires. leurs voix. tout allait disparaitre. que c’était la fin. ses épaules s’affaissèrent sous le poids de ses nouvelles responsabilités. les secondes s’écoulèrent. une minute ? des heures ? tout est flou. se relevant, il rebroussa le chemin vers la maison. tout doucement. irwin afficha ce même sourire idiot, sans sentiments, et demanda à la voisine de garder les autres gosses. il ne pouvait pas les affronter maintenant. l’ainé avait besoin d’être certain, que ceci n’est pas qu’un mauvais songe. puis, prenant son courage à deux mains, il alla à l’hôpital. les gens semblaient avoir pitié, il pouvait le lire dans les prunelles de leurs yeux, et lui ça, il en voulait pas. serrant et desserrant les poings il écouta le médecin lui expliquer ce qu’il s’était passé. alors qu’au fond irwin voulait juste taper dans un mur jusqu’à s’en péter les phalanges. l’ainé ne broncha même pas quand le docteur posa une main sur son épaule, comme pour le calmer. il lui raconta que c’était parce que dieu les voulait près de lui. irwin manqua de rigoler. si c’était le cas, dieu était qu’un pauvre con égoiste. après tout, dieu avait le choix. il aurait pu prendre une autre femme, une plus vieille, sans enfant, qui manquerait à personne. et le pire dans tout ça, c’est qu’il se sentait impuissant. se disant « et si ? » et s’il avait eu son diplôme de médecine plus tôt ? et si il avait pu les empêcher de partir en voiture ? mais c’était trop tard. le mal avait frappé. maintenant il allait devoir retourner chez eux, chez lui, et dire à trois autres gamins qu’ils allaient devenir orphelins.  05/ « non » qu’on lui avait dit. on avait scellé le destin d’un enfant par trois lettres. non. non. ils n'avaient même pas cherché à comprendre que deborah faisait partie de la famille. peut-être pas part les liens du sang, mais aux yeux des burtons c’était tout comme. irwin avait demandé à l’adopter, ou en avoir la garde comme avec ses frères et sœurs. il était majeur, un grand garçon. mais on lui avait dit non. un non froid et distant accompagné de ce petit regard méprisant. on le prenait pour un gamin, on lui disait qu’il ne comprenait pas comment les choses de la vie fonctionnaient. qu’il ne pouvait pas se permettre d’avoir un autre enfant à charge.  que de toute façon il y avait un problème administratif avec son dossier, que c’était faute à pas de chance. que deborah retournerait dans le système un point c’est tout. irwin avait réussi à garder plus ou moins son calme, même s’il aurait voulu balancer plusieurs fois la table par-dessus la fenêtre. il se sentait inutile. impuissant contre la vie. deborah n’avait pas besoin de retourner chez des étrangers qui attendrait juste un chèque de l’état tous les mois. au contraire, elle avait besoin d’amour, de douceurs, de tendresses, d’un soutien inconditionnel.  d’un endroit pour s’épanouir, obtenir une stabilité, tout ce qu’elle avait déjà reçu dans la famille burton. et pourtant le gouvernement en avait rien à faire. ce n’était qu’une gosse parmi tant d’autre. ce jour-là des sanglots se déversèrent sur le visage d’irwin. encore un autre échec, il n’avait pas pu sauver ses parents, et maintenant il ne pouvait pas non plus protéger déborah. l’ainé savait que si ses parents avaient été là, ils auraient trouvé une solution eux, et pas lui. il ne pouvait pas affronter le regard de sa petite sœur, lui expliquer qu’elle allait à nouveau vivre loin d’eux. la gamine allait le détester. il gérait plus rien, et se rendait compte qu’il coulait. vlad et sa anita lui reprocheraient surement son incompétences. la culpabilité lui rongeait déjà le ventre.il en avait rien à foutre de ce qu’on lui disait, de ce putain de gouvernement. il l’aiderait à sa façon, s’assurant qu’elle tombe dans des familles convenables. l’observant de loin. vérifiant qu’elle était tout simplement heureuse. et oh combien il aurait aimé aller lui parler. mais il n’y arrivait à s’y résoudre. il avait bien trop honte de l’affronter  à nouveau, de sentir son regard empli de reproches sur sa peau. il avait aussi peur de détruire le peu de stabilité qu’elle avait enfin réussi à trouver. il le faisait pour son bien. il s’était renseigné, avait continué à demander si un jour il réussirait à avoir sa garde, mais malgré les années, le même  « non » continuait à se faire entendre. il n’abandonnait pas, s’acharnant.mais son espoir avait ses propres limites.    06/ l’argent. il ne s’en était jamais inquiété avant. surtout lorsque c’était papa et maman qui gérait le portefeuille familiale. il ne se rendait pas compte de la porter de quelques billets. il ne se demandait jamais combien avait pu coûter les vêtements qui se retrouvaient dans son armoire ou la nourriture dans son assiette. un peu comme un tour de magie. il s’était toujours dit que c’était normal, lui c’était l’enfant, un enfant parfois adulte, qu’il n’avait pas à penser à ce genre de chose. c’était même pas le sien, un peu comme un billet de monopoly dont on ne connait pas réellement la valeur. et pourtant, maintenant il prend conscience des sacrifices qu’avaient parfois dû faire ses parents. qu’il fallait se serrer la ceinture. que chaque centime disparaissait aussi rapidement qu’il était apparu. qu’être adulte ce n’est pas recevoir du courrier de ses amis, mais des lettres de la banque, de l’état, des impôts. qu’on te demande de donner ton bras, ton torse alors que tu possèdes à peine un ongle. que si tu payes $16 pour une boisson ça intérêt de sortir tout droit de la vessie de jesus. l’argent c’est ce qui semble guider sa vie. qu’il en veut toujours plus, qu’il en a tout simplement besoin.  c’est aussi dépendant qu’une drogue, et on peut facilement devenir accro.  c’est ce qui fait tourner son monde et c’est ce qui le rend le plus triste. parfois, seul dans sa chambre, lorsque tout le monde est endormi il s’enroule sous la couette et pleure. parce qu’au fond c’est qu’un mioche qui a dû grandir trop vite. un mec perdu qui ne sait même pas ce qu’il fait. il y a pas mode d’emploi. il ne sait plus quoi faire, quoi dire aux autres gamins. alors il  cherche la force intérieure pour continuer d’avancer, afficher ce sourire rassurant alors que tout part en vrille et que l’angoisse lui retourne l’estomac. de continuer à acheter des produits bas de gamme parfois périmés. de parfois supplier le propriétaire de leur pauvre appartement pour lui donner quelques jours supplémentaires. de voir sa carte bancaire se faire refuser à la caisse. être pauvre c’est putain humiliant. et c’est pas son pauvre salaire de serveur qui lui permet de tout payer. les études des plus jeunes, leurs besoins, toutes les merdes qui peut aussi lui tomber dessus. alors quand il apporte des viennoiseries et des cafés aux clients, il sourit comme un con. comme pour leur faire croire que c’est son rêve à lui d’être ici alors que le sien est parti en fumé. de lancer des regards aguicheurs aux vieilles dames pour qu’elles lui laissent des pourboires plus importants. c’est une forme de prostitution en soit, disons que l’ainé tire avantage de ses gênes. de la beauté que les cieux lui ont offert pour se faire des dollars supplémentaires. c’est aussi ce qui pousse irwin a entreprendre un chemin plus risqué et bien moins légal pour arrondir ses fins de mois. de fermer sa gueule et de faire ce qu’on lui demande. en soit son travail est assez simple, livré quelque chose d’un point a à un point b. c’est de se montrer discret et pas en demander trop. moins il en sait mieux il se porte. le jeune burton ne souhaite pas mettre le reste de sa famille en danger. alors il fait tout à l’écart, dans le secret. les gens pour qui ils travaillent ne sont pas commodes et il le sait, il tente donc rester dans leurs bonnes grâces. c’est loin d’être le travail idéal, mais pour le moment il n’a point trouver d’autres solutions.  07/ les voir grandir, s’épanouir lui donne l’ombre d’un sourire. il tente d’être à la fois un frère, un père, une mère mais l’équilibre est délicat. un rien peut le faire basculer. il tente de faire du mieux qu’il peut. être là pour tous les moments importants ; les études, les amis, les amours. il souhaite sincèrement aider vlad et anita à traverser l’adolescence. il est plutôt doué pour donner des conseils. les mots, il sait les trouver. peut-être parfois légèrement maladroit, un brin lourd,  irwin veut leur montrer que quoi qu’il arrive il sera là. il ne bougera pas. il s’accrochera. il ne les laissera pas partir, ni tomber, au contraire il sera toujours là pour les rattraper. même si parfois c’est difficile. il se dit qu’au final les morts ont bien plus de chance que les vivants, car ils ont pas à endurer le après. à se remettre physiquement et émotionnellement de leurs sentiments.  puis il a enfin compris, que quoi qu’il fasse il ne pourra jamais remplacer ses parents. que ce n’est pas son rôle. avancer, sans s’arrêter, sans regarder en arrière c’est le plus simple. il réussira peut-être à les oublier, et conserver que les bons souvenirs. peut-être qu’au final le secret est d’arrêter de se comparer avec ceux qui l’ont mis au monde, à les mettre sur un pied d’estale. ça fait maintenant quatre ans, et tous les enfants burton sont encore en vie. maigre victoire. ils leur restent encore toute leur vie. à se battre, à faire comme si tout allait bien. comme si une tragédie n’avait pas frappé la famille. au final  tout s’accélère. sourire. faire semblant. toute la journée. encore et encore.  sur un fil comme un funambule qui lutte contre le vent. continuer à avoir peur de demain, alors qu’hier était tout aussi dangereux.