la nuit des masques // colomba.

traits de caractère / elle n'a pas froid aux yeux, même face au malin. lorsqu'elle s'entretient avec un opposant, le démon s'installe afin de prendre des notes. glaçante, les griffes s'enfonçant dans sa proie, elle se délecte du malheur de ceux ne pouvant s'élever à son niveau. mais, lorsque vient l'instant de gérer ses poupées, elle est d'une clémence peu commune. elle les cajole, les écoute, et fait tout pour que leur travail soit le plus agréable possible. elle se charge personnellement des hommes ne respectant pas les règles. ne pas faire de mal aux filles, ne pas aller contre leurs volontés. c'est une maison close respectable que dirige le mari de colomba, et non un vulgaire élevage de catins, comme elle aime le dire à la gent masculine. froide, elle ne vous adressera un sourire que si vous avez atteint son coeur, ou que vous êtes un client potentiel. sinon, à quoi bon porter un masque ? elle ne sait pas faire semblant, et ses sentiments se retrouve peints sur son visage. les traits tirés face à l'adversité, et déployés dans les instants généreux. elle aime son mari d'une passion charnelle, mais pas d'un amour parfait, il le sait, et s'en contente largement. ils se sont mariés par intérêt. elle voulait rester sur le sol américain, et avait besoin d'une excuse pour ne pas retourner chez ses parents aux pays-bas. de son côté, il avait besoin d'une couverture pour cacher ses affaires de trafics de corps. il la sait infidèle, mais c'est comme cela qu'ils vivent, passant de lit en lit, d'anecdotes à anecdotes. c'est mieux ainsi, elle a le loisir de vivre librement ses envies de femme. depuis peu, elle se sent tomber pour un homme nouveau venu dans les rangs du personnel. elle se montre intransigeante avec lui, et le traite comme un sous-fifre afin de se préserver de son regard qui la fait vibrer malgré elle. colomba, elle est instable, elle est dépravée, mais avec la classe nonchalante d'une lionne. reine de son théâtre, elle y règne en maître.

assise en haut, sur les fauteuils de velour, colomba attend que la belle débute son exercice. une grande représentation portera l'établissement dans une soirée hors norme. et pour cela, ils avaient besoin d'une pièce grandiose, de quoi raviver la flamme des comédiens passés. alors, elle attend, espérant tomber sur une perle rare. une femme frêle, aux bras ouverts fait son entré sous la lumière. son visage est sombre, et sa voix pleurante.

« Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu'ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que quand j'étais petite, ou mourir. »

doucement, colomba lève la main à la personne devant donner la réplique, afin de signifier que ce n'est pas la peine de se donner ce mal. elle se lève alors, sa longue robe dégringolant sur ses jambes de sirène. elle descend alors les marches de sa démarche gracieuse de danseuse défendue. « vous en faite trop. » montant sur les planches de la scène, elle se poste face à la femme, et l'observe de haut en bas. « il ne faut pas aller au-delà des mots. contentez-vous de ce qu'ils vous dictent. c'est la simplicité qui fait la force de notre âme. » se raclant la gorge, elle se tourne vers les sièges pour lui montrer. « un exemple, avec un autre passage de cette oeuvre, d'une émotion intense, formulée avec une telle simplicité, que vous fondrez bientôt en larmes. » ceci dit, elle prend une grande inspiration, et récite en fermant les paupières.

« Comprendre… Vous n’avez que ce mot-là à la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. Il fallait comprendre qu’on ne peut toucher à l’eau, à la belle eau fuyante parce que ça mouille les dalles, à la terre parce que ça tache les robes. Il fallait comprendre qu’on ne doit pas manger tout à la fois, donner tout ce qu’on a dans les poches au premier mendiant qu’on rencontre, courir, courir dans le vent jusqu’à ce qu’on tombe par terre et boire quand on a chaud et se baigner quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas juste quand on en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre.. Moi, je ne veux pas comprendre, Je comprendrai quand je serai vieille… Pas maintenant. »

ce n'était pas un texte commun, mais ainsi cité, il prenait un charme incontestable. ce n'avait été qu'un souffle, admirable, qui vous foudroie. ainsi, colomba resplendissait. la jeune femme à ses côtés sentit les larmes lui monter aux yeux, doucement, comme emportée. tête baissée, elle s'adressa enfin à la directrice qui tenait toujours à engager elle-même ses comédiens, avec de vives banalités, des félicitations que colomba se lasse d'entendre. regardant la petite, elle lui tend la main en soufflant. « reprenez. »