un jour paumé dans la brumeuse deux mille quatorze.
elle est grande, la pièce. trop grande. trop claire. un bloc aux limites parfaites, aux barrières tout juste refaites.
on entend presque les morts crever. seul un mur est habillé d'une robe de verre feutré qui n'laisse rien passer. surtout pas les rétines avisées. une petite porte juste à côté au teint gris d'tout ces regrets qu'elle a tassé. d'toutes ces vies qu'elle a bâclé. y'a pas un bruit dans la grande pièce. juste le bourdonnement des tympans.
et d'ces lipes un timide chant.
si porque te quiero quieres, llorona
quieres que te quiera más.
un corps sombre dans cette boîte trop lumineuse. assise sur la chaise, retenue par la table ; la gamine aux cheveux à demi défaits qui d'puis plusieurs minutes s'est mise à fredonner. le timbre est
beau. mais ça, tout l'monde s'en cogne. elle n'est que territoire à posséder toute frêle dans sa jupe trop écourtée, dans ses talons bien trop relevés. ces chevilles qui sur l'trottoir tout à l'heure menaçaient d'se briser. ce n'sont pas les chants qu'on réclament au fond d'sa gorge. et c'n'est pas non plus une passion qu'on exige au fond d'ses tripes. c'qu'ils aiment, c'est sa poitrine en pâturage. son mascara qui chiale de douleur. son rouge à lèvre qui s'effrite de labeur. c'qu'ils aiment, c'est son regard qui n'consent pas -
la haine imprimée dans les pupilles- et surtout ses cuisses qu'elle ne serre pas. elle vient de la rue abelina, c'est écrit sur les lacérations de ses genoux. sur la poussière galamment déposée sur ses joues. recroquevillée comme une proie sur sa chaise, elle attend. compte les gouttes qui s'évadent de ses cheveux, en fredonnant.
si porque te quiero quieres, llorona.
la porte s'ouvre et la gamine s'arrête de chanter. redresse sa nuque et ses grands yeux blasés. un homme entre et elle ne voit que ses boucles brunes qui oscillent à chacun de ses pas. l'air grave qu'il a pour apparat. elle garde le silence puisqu'elle sait que les cartes sont déjà jouées. elle s'contente de l'épier. d'attendre le couperet.
d'où tu viens ? il pose la première question en même temps que ses mains sur la table.
mexico. elle sert une vérité sans poser d'question. avec un accent jamais travaillé.
où sont tes parents ? l'homme s'assoit lentement. comme s'il ne voulait pas la briser, il prend son temps. ses mâchoires disent non alors qu'elle balbutie un maigre
pas de parents dans un anglais plus que bancal -
paraît qu'l'exotisme, ça les fait bander. le flic soupire et joint ses mains devant sa bouche. il est l'seul à pas lui avoir encore adressé c'même foutu regard de pitié. celui qu'elle aimerait à tous, faire cracher.
tu as toujours travaillé pour eux ? ils ne se connaissent pas mais se comprennent.
eux, c'est une cible pour l'un et une fuite pour l'autre. la gamine articule un
si pour affirmation et précise un peu ;
je suis le objet. depuis toujours, elle n'se souvient que d'leur virilité dérangeantes qui lui perforent le ventre.
il a du mal à tenir en place tandis qu'elle, elle est pétrifiée. de froid ou de frayeur. il visse un de ses coudes dans la table et dépose sur son poing sa caboche bien pensante.
j'ai besoin de ton aide pour les faire tomber. un sourcil s'arque à l'exagération sur les traits de la brune qui parle mal mais comprend tout. il insiste,
tu seras libre s'ils ne le sont plus. ses lèvres délavées se pincent et son échine se plie dans un mouvement de peur.
je serai morte surtout. les r roulent mais la soumission, elle, elle ne vacille pas. elle marmonne ses craintes qui résonnent dans son corps alcôve et elle sent sa main qui soudain se dérobe. les rétines happées, il vient de lui emprisonner les phalanges. leurs bras tendus sur la table, abelina ne bronche pas ; reste étrange face à cette tendresse à laquelle elle n'avait jamais gouté. face à ce regard sincère qu'on n'lui avait jamais adressé.
je ne les laisserai jamais te toucher, abi. y'a son coeur qui s'arrête et la pénombre s'évapore. elle a envie d'le croire, pourtant c'est pas son fort.
d'accord.
cinq ans qu'elle commence à exister.
JUDΛ. ---- / 25 ans ---- / rpgiste