there's you in everything i do (finose)

je le reconnais, c'est vrai, j'ai pas été ce qu'il y a de plus gentil dans ma façon de lui parler, à rose. j'ai pas été agréable. mon ton était loin d'être chaleureux, ni joyeux. encore loin d'être agressif, je l'ai quand même attaquée à coups de sarcasme, d'arrogance et de colère.
je m'en serais voulu à la seconde même où j'ai parlé si seulement j'avais réalisé.
non. j'ai rien réalisé. j'ai réalisé que ça l'avait un peu calmée, que peut-être qu'elle allait arrêter de me prendre la tête avec cette histoire d'appartement, de colocation, d'avenir, de stabilité. pour un temps. et ce qui est certain, c'est que je vais finir par regretter, de lui avoir parlé comme ça. je vais finir par m'en mordre les doigts avec une violence inouïe.
le truc, c'est que j'veux pas, moi, que rose s'inquiète pour moi constamment comme ça, encore moins qu'elle ma situation la rendre malade, surtout pas ça. c'est à moi de veiller sur elle, la petite rose fragile dont j'voudrais surtout pas qu'on abîme les pétales. c'est pas l'inverse qui doit s'passer. moi, j'ai pas besoin qu'on veille sur moi. j'ai une carapace dure, et il en faut des coups pour passer au travers, il en faut un paquet pour réussir à m'atteindre.
sauf si ça vient d'elle. ma kryptonite, la seule capable de me briser en mille morceaux d'une pichenette, si elle le voulait. la seule.
et rien que de savoir, de m'imaginer qu'elle, elle pourrait se retrouver brisée de se demander où je vais dormir la nuit, ça m'fait mal. ça me tord l'estomac en deux, et ça finit par m'énerver, de la voir s'entêter, de refuser de lâcher le morceau quand j'ai beau lui dire qu'elle n'a pas à s'en faire pour moi.
ça m'attriste autant que ça ne peut m'énerver.
- il est hors de question que je prenne tes fiches de paie.
c'est catégorique, c'est sec, froid, ça tranche l'air. jamais de la vie. je refuse qu'elle se porte garant pour moi.
- si je venais à perdre mon job, tu ferais comment, hm? t'as déjà le tien, à payer. puis tes factures, ta bouffe, tout. tu peux pas non plus payer pour moi. c'est non.
et c'est définitif, tu ne me feras pas changer d'avis. c'est sûr que non. on sait aussi bien elle que moi, que mon job, je peux le perdre en un claquement de doigt, du jour au lendemain, aussi facilement que j'ai perdu les jobs d'avant, que j'ai besoin ce dernier logement. aussi facilement que je perds tout dans ma vie, que je pourrais aussi bien perdre rose, d'un coup, d'un seul. et cette simple pensée me file la nausée.
pas rose. tout mais pas rose.
et elle s'est lassée. des deux têtus, je suis celui au niveau le plus élevée, c'est elle qui baisse les bras en première.
- c'est pas que j'suis heureux comme ça, rose, c'est que si la situation devenait urgente ou grave, je viendrais te demander ton aide. mais là, c'est pas le cas, tout va bien.
alors t'as pas de soucis à te faire.

un refus, clair et net. il veut même pas lui laisser entrevoir la possibilité qu’elle l’aide, et elle a du mal à comprendre si c’est par fierté ou par peur de ce qu’il pourrait arriver. peut-être un peu des deux. mais ce qu’elle comprend surtout pas, c’est pourquoi il part toujours du principe qu’il pourrait perdre son boulot, pourquoi pour une fois, il se dirait pas plutôt eh! si celui-là, je le perdais pas? si je rendais la pareille à rose en faisant en sorte qu’elle n’ait pas à payer pour moi?
parce que ça demande plus d’efforts.
- donc emménager avec moi c’est pas un soucis, mais m’avoir comme garant si... énonce -t-elle doucement, comme pour essayer de comprendre son raisonnement.
peut-être qu’il blaguait après tout, peut-être qu’il avait pas du tout l’intention de se poser avec elle, et qu’elle l’a pris au sérieux.
elle se retient d’en rajouter quand il dit que tout va bien. c’est ça le problème, celui qui est si évident aux yeux de rose, celui qui l’amène toujours à le pousser à faire mieux. il se résignera pas à la laisser faire tant que c’est pas urgent, tant que c’est pas la catastrophe. mais elle a pas envie d’en arriver à la catastrophe elle, elle préfère prendre les choses en main avant que ça ne puisse se réaliser. si elle est déjà capable de se ronger les ongles face la situation actuelle, qu’est ce que ce sera une fois que ce sera vraiment urgent? il y a pensé, à ça?
et puis c’est triste. triste d’entendre fin survoler le sujet, admettre que ça le rend pas spécialement heureux tout en lui faisant comprendre que c’est pas sa préoccupation principale. ça devrait l’être. et s’il la laissait faire comme elle l’entend, elle elle ferait tout, pour le rendre heureux.
mais ce genre de confession c’est pas son genre, c’est pas le leur, surtout après l’avoir entendu dire qu’elle devait lui foutre la paix. parce que quand on connaît son passé, on se doute que la blonde supporte assez mal le rejet. alors elle la ravale et elle reste fidèle à ses paroles, par fierté, et parce que c’est moins difficile à prononcer.
- pas urgent... ouais, répète-t-elle en regardant droit devant. si tu le dis.
clairement, ils ont pas la même définition de ce qui peut paraître urgent. mais ça se comprend, car elle a quand même eu un foyer, un semblant de famille pour finir son adolescence. fin, personne est venu le sauver.
son regard est attiré par une petite devanture bleue et blanche au coin de la rue, et elle pose sa main sur le bras de fin le temps d’une seconde, juste assez pour lui signaler qu’elle veut y entrer.
- attends moi, dit-elle simplement.
elle en ressort quelques minutes après avec deux cafés, tendant l’autre à fin, toujours sans le regarder.

tu comprends pas, rose, pas vrai? tu comprends pas, ou alors tu refuses d'essayer de comprendre, j'en sais rien. je sais pas ce qu'il se passe dans ta tête, mais bon sang, tu vois pas la différence entre les deux? entre le fait de m'installer chez toi, ou bien que tu deviennes mon garant. tu vois pas la différence de ce qu'il t'arriverait, si jamais j'avais plus de quoi payer mes factures? c'est simple. dans un cas, tu garderais ton appartement, avec un supplément de bouffe que je me tuerais à payer même sans salaire. dans le deuxième, tu pourrais peut-être y perdre ton appartement, t'aurais sûrement des dettes énormes. j'en sais rien, la différence me paraît flagrante, pourtant.
puis, quitte à vivre à ton crochet, autant vivre aussi à tes côtés.
- laisse juste tomber, tu peux pas comprendre.
tu peux pas comprendre tout ce que je traverse à chaque fois que je perds un appartement ou un boulot, tu peux pas parce que tu l'as pas vécu, toi, tout ça. et j'te souhaite de ne jamais le vivre. l'angoisse te tuerait, à toi. tu ne le supporterais jamais, c'est sûr et certain, y a qu'à voir comme t'as du mal à le vivre rien que quand ça me concerne à moi.
et rose, elle insiste encore, elle appuie sur ce que je dis, elle peut pas s'empêcher de répéter mes mots, comme s'ils n'avaient aucun sens pour elle, comme si elle avait du mal à les ancrer dans sa tête.
- oui j'le dis, fais-moi confiance. j'suis en bonne santé, tu l'es aussi. puis t'es heureuse, tu réussis ta vie, t'avances, et c'est l'essentiel, hm?
c'est le plus important, tout ce qui compte à mes yeux. et il n'y a que si un de ces paramètres venait à s'effondrer que là, la situation deviendrait urgente. en l'occurrence, elle ne l'est pas.
ou peut-être qu'elle l'est, au contraire. peut-être que je devrais me bouger le cul, me motiver juste parce que rose avance dans sa vie, et pas moi. et qu'un jour, rose, elle va finir par avancer sans moi, et me laisser sur le bas côté, comme plein d'autres avant elle l'ont fait, comme d'autres le feront encore.
sa main sur mon bras m'électrifie, rapidement mais brutalement, et je la regarde partir, sans rien dire, sans bouger, j'obéis sagement et je l'attends.
moi, j't'attendrais toute ma vie, tu sais.
elle revient avec deux cafés, m'en tend un que je prends rapidement. j'voudrais la remercier d'un sourire, rapide, silencieux, mais son regard ne s'est toujours pas tourné vers moi, depuis tout à l'heure. alors je souffle un tout léger merci, très discret, et reprends la route.
en silence.
silence de mort, silence pesant, étouffant.
je finis par la bousculer gentiment, pour la faire réagir, qu'elle me regarde enfin, au moins un peu.
- allez, fais pas la tête, comme ça. c'est pas grave.

elle a un peu le temps de réfléchir à ce qu’il lui dit pendant qu’elle part chercher les boissons, réfléchir à ce qu’il lui dit juste avant qu’elle s’absente quelques minutes. l’essentiel c’est qu’elle avance? ça l’est, sans aucun doute, du moins pour elle. mais lui, dans tout ça? c’est de lui dont elle se soucie, elle elle s’en sort plutôt bien, et elle sait pas trop quoi penser du fait que c’est ce qui semble lui importer.
et si tu pouvais te concentrer sur ton avancée hossman, t’avancerais avec moi... mais faut croire que tu veux pas, se dit-elle amèrement, accordant un sourire absent au barista qui lui remet les cafés.
il la bouscule légèrement après qu’ils aient repris leur marche, d’un coup d’épaule, essaye de la rassurer.
et faute de pouvoir acquiescer à voix haute, elle agit. elle glisse sa main dans la sienne, qu’elle serre juste une fois, très rapidement, avant de la lâcher. elle a pas vraiment les mots, et même si elle les avait en pense pas qu’elle pourrait les lui dire. elle espère juste que le message se transmette seul, qu’il y en ait au moins un parmi cette montagne de non dits qui arrive à bon port. je te fais confiance. j’ai peur, j’y peux rien. si, c’est grave. ou encore si tu veux pas le faire pour toi, fais le pour moi.
un tas de trucs qu’elle pense tout bas au final, mais elle préfère se servir de sa bouche pour siroter son café plutôt que de se prononcer.
elle lui glisse un regard et lui accorde un léger sourire, comme pour lui montrer qu’elle a compris.
retiens-toi rose, tu lui as dit à fin. tu le laisses faire.
c’est bien pour ça qu’une fois qu’ils rejoignent la voiture, une fois qu’elle a retrouvé sa place sur le siège passager, elle décide de lui laisser le choix pour ce qui doit être la première fois de la journée.
- on fait quoi? lui dit-elle d’un ton un peu détaché.
voilà, s’il veut en rester là, elle lui lâchera la veste. peut-être que c’est à elle d’apprendre à arrêter de vouloir contrôler sa vie. peut-être que la sienne serait plus simple si elle s’y acharnait pas, et à l’entendre celle de fin aussi.
- parce que j’ai quand même faim, ajoute-t-elle pour détendre l’atmosphère, mais aussi parce que c’est vrai, la blonde est un ventre sur pattes. heureusement que la grand-mère de daisy était là pour prendre le problème en main pendant son adolescence, parce que c’est pas les tristes rations du foyer qui auraient satisfait son appétit.  

le temps qu'elle s'absente, des tonnes de pensées me traversent la tête, même si elle s'absente peu. ça a le temps de fuser. je pense à son avenir, tout tracé. je pense au mieux, complètement incertain, sans réel lendemain. je pense au notre, ensemble, qui peut-être ne pourra jamais se réaliser. notre avenir qui va peut-être un jour finir par se séparer, la vie qui va nous filer un grand coup de bâton, et nous crier à la figure qu'on est trop différents, putain, pour s'acharner à vouloir être ensemble constamment. et mon coeur, qui s'immisce dans tout ça, mon coeur qui hurle de désespoir à la simple idée de perdre rose. mon coeur qui me dit d'emmerder la vie et de m'accrocher.
mon coeur, qui veut me foutre un grand coup de pied au cul.
rose, qui veut me foutre un grand coup de pied au cul.
mon coeur, c'est rose.
elle revient, rose, elle revient enfin à mes côtés, ces quelques minutes interminables, sa main qui finit par se glisser dans la mienne, qui la serre, même brièvement. ce contact qui transmet tout un tas de choses, qui veut dire qu'elle m'a écouté, et qu'elle m'a entendu, surtout. qui veut dire qu'elle me lâchera pas, jamais, quoi que j'en dise, quoi que j'en démontre. qui veut dire aussi, qu'elle est effrayée.
ce contact qui veut en dire plein, des choses. du moins, celles que j'aimerais qu'il veuille dire.
et mon coeur se met à danser la samba sur le rythme de ses battements effrénés. si elle pouvait l'entendre, probablement qu'elle paniquerait.
on fait quoi? comment ça, on fait quoi, rose? moi, j'croyais que t'avais tout un planning prévu pour nous, pour la journée, j'croyais que j'étais obligé de le suivre à la lettre, que j'allais pas y couper. alors j'sais plus, moi. si tu me laisses libre choix, j'en sais plus rien, de ce que j'veux faire.
la vérité, c'est qu'en sortant que cette visite-là, moi, j'voulais juste partir. te ramener chez toi, t'abandonner pour le reste de la journée, partir de mon côté, aller me calmer dans mon coin, et peut-être revenir plusieurs heures plus tard, voire même le lendemain. le truc, c'est que t'as déjà réussi à me calmer. avec ton café, avec ta main, avec ta simple présence. tu m'énerves, et ensuite c'est toi qui me calme. comment est-ce que tu fais?
- c'est pas nouveau ça, t'as toujours faim.
léger sourire en coin, je démarre et entame déjà le trajet jusqu'à la bouffe, sans même y réfléchir plus d'une demi seconde.
- tu préfères.. mexicain ou japonais? des tacos ou des sushis?
choisis, rose, je te laisse le choix, et c'est moi qui régale. juste pour qu'elle me redonne un vrai sourire, juste pour que je voie à nouveau le bonheur dans ses yeux pétillants, qu'elle a perdu depuis un moment maintenant. à cause de moi. juste pour essayer de la rendre heureuse, même s'il s'agira plus de régler les conséquences que les causes.
c'est toujours la même chose. je casse tout, et je tente de réparer à coup de charme. pas capable d'éviter de briser les choses, de lui faire de la peine. jamais.
je mets l'autoradio en route, le son léger, juste pour avoir une musique de fond, et, la main sur le levier de vitesse, je la retourne discrètement, paume vers le ciel, pour qu'elle y glisse la sienne, si l'envie lui prend.

ça la fait déjà de sentir un peu mieux qu’il reprenne la route pour aller manger, comme en témoigne le petit sourire qu’elle a difficilement du mal à contenir. c’est tout ce qu’il lui faut pour se rassurer un peu et se dire qu’il est peut-être prêt à continuer la journée. les disputes qui se terminent avec l’un d’eux qui fait demi-tour sont devenues plus rares, mais aussi plus douloureuses, comme si ça allait de paire. on pourrait se dire que rose, dans son rôle d’asociale en chef, serait ravie qu’on lui foute la paix après ce genre de prise de bec, mais non. pas quand c’est fin. fin, il peut rester. il doit rester même. il doit arrêter de lui donner cette sale impression que si elle écoute attentivement au moment où le le bruit du moteur de sa voiture s’efface dans les rues avoisinantes, elle l’entendrait aussi. le bruit de son cœur, qui se brise, juste un peu.
- sushis, lui répond-elle rapidement. non, tacos. non! sushis. non en fait, tacos, tacos.
si ça ne tenait qu’à elle, ce serait même un sushi dans un tacos. sérieusement elle sait pas ce qu’elle fait encore avec un frigo si petit chez elle, il lui faut un truc plus grand, de toute évidence. plus majestueux, un truc qui supportera ses caprices gustatifs les plus extravagants. pas étonnant qu’il ait explosé ce matin.
des minutes passent et elle se détend un peu, regardant par la fenêtre, écoutant le son qui passe à la radio. une nouvelle musique s’enchaîne et la replonge au lycée, une musique qu’elle pouvait passer des heures à écouter. alors vu que y a la main de fin qui traine à côté, bien placée - ils vont faire un accident un jour, qui conduit avec la paume en l’air?- elle lui attrape au passage, elle l’enroule dans les siennes et elle en fait un micro pour chanter le refrain.
ils se garent enfin devant un fast-food mexicain, et alors qu’elle passe les portes la blonde sent son portable vibrer dans sa poche arrière. elle jette un coup d’œil à l’écran et articule un petit désolée à fin. c’est le boulot.
elle répond d’un ton un peu froid, celui qui suffira à leur faire savoir qu’elle est pas vraiment ravie d’accepter un appel pendant son jour de repos. ils veulent s’assurer des derniers changements pour la prochaine émission qu’ils veulent diffuser ce week-end.
- non, moi j’avais écrit cinq, répète-t-elle au téléphone, se posant à une table avec fin après qu’ils aient récupéré leur commande. elle lui jette un coup d’œil et fait une petite grimace, qui lui indique que son interlocuteur commence un peu à l’emmerder. elle commence à manger son tacos, histoire qu’il comprenne peut-être qu’elle est occupée. voilà, dit-elle, la bouche pleine, comme ça ils ont de la place entre les pubs. de toute façon ils seront à gauche du plateau.
il se relance dans un monologue non désiré et la blonde lève les yeux au ciel. heureusement fin semble distrait par sa bouffe. sa bouffe qu’il préfère étaler sur son visage que dans sa bouche, se dit-elle en regardant son menton plein de sauce salsa.
elle se penche et lui essuie le coin de la lèvre avec son pouce, l’air absent, toujours concentrée sur les explications de son collègue.
- ouais bon, on verra demain, répond-elle en se léchant le pouce. ouais, toi aussi. désolée, dit-elle après avoir coupé, reportant son attention sur le brun.
franchement, elle devrait leur demander un portable pro. marre de devoir être dispo à n’importe quelle heure pour réagir à leurs réunions en direct.

elle est mignonne, rose. elle est aussi mignonne que chiante, quand il s'agit de savoir quoi manger, d'ailleurs. elle voudrait de tout, tout le temps. la prochaine fois, je l'emmène dans un buffet à volonté menu cuisines du monde. au moins, elle aura l'embarras du choix, et n'aura pas besoin de choisir. mais ça me fait quand même rire, son indécision, j'dois dire.
- ok, tacos à midi, sushis ce soir, dans ce cas.
tant qu'à faire, autant satisfaire la demoiselle jusqu'au bout. autant lui faire plaisir pour de bon. si on avait eu le temps, je me serais arrêté acheter les deux, on serait allés s'installés dans un parc, au bord d'une jolie mare à canards, et on aurait pic-niqué à même la pelouse, avec notre montagne de bouffe. et j'crois que ça nous aurait rendus heureux. ça nous aurait rendu bien plus heureux que n'importe quel restaurant enregistré au guide michelin. c'est sûr et certain.
alors j'le note dans un coin de ma tête. un jour, quand on sera tous les deux de bonne humeur, quand l'un ne fera pas chier l'autre au point de s'engueuler et de partir en trombe, je ferais ça. j'achèterais plein de nourriture, et je l'emmènerais manger avec les canards.
ça s'ra bien.
et là, peut-être dans un espoir inavoué qu'elle serre mes doigts, peut-être par absence, ou peut-être aussi par habitude, je lui tends ma main discrètement, qu'elle la prenne si elle le souhaite, si son envie vient comme la mienne. j'suis en attente. et elle le fait bien, oui elle prend ma main, rose, mais pas pour la serrer, non. plutôt pour chanter cette vieille chanson qu'elle me faisait écouter constamment, à m'en rendre dingue, à ne plus pouvoir la supporter parfois, même. c'était tout le temps. aux écouteurs quand on allait en cours, à nos pauses, chez la grand-mère de daisy, à fond, aussi. et daisy qui me regardait d'un air désespéré, souvent, et moi, qui partais en fou-rire. alors toute cette nostalgie ne peut que me faire rire, me faire plaisir. ça me fait chaud au coeur. dès fois, j'aimerais y retourner, à cette période, où beaucoup de choses étaient beaucoup plus simples.
rapidement arrivés à destination, on rentre dans le fast-food, et elle se retrouve vite à prendre un appel du boulot, très visiblement, à l'entendre parler. ça m'importe peu, j'ai pas besoin d'elle pour commander. j'la connais par coeur, rose. je connais ses goûts, dans toutes les cuisines. alors je m'occupe de tout, on s'installe, et comme un malpoli, je commence à manger, sans l'attendre. tant pis. on n'est plus à ça près, elle et moi.
je mange, comme un cochon, comme à mon habitude, j'en fous partout, et j'me dis que j'essuierais à la fin, c'est pas important. j'écoute surtout rose dans sa discussion, je l'observe, manque de m'étouffer quand elle fait des grimaces, qu'elle me fait comprendre qu'elle est saoulée.
et soudain, tout bascule. son pouce vient glisser au coin de ma lèvre, dans un geste qui pourrait paraître maternel, jusqu'à ce qu'elle se lèche le pouce.
si j'avais été un ado, j'aurais eu un léger soucis technique et n'aurait pas été capable de me lever avant un petit moment, encore.
figé, électrisé, j'bouge plus. j'ai presque des yeux ronds. mon coeur s'emballe comme jamais. je tente de l'apaiser, de peur qu'elle ne l'entende, ou le voit cogner à travers ma poitrine. mais rien n'y fait. non, il ne veut pas se calmer. je déglutis, avale ma bouchée, et n'arrive pas à la lâcher du regard.
j'suis plus capable de rien, à peine d'articuler un pas grave très léger, quand elle s'excuse d'avoir répondu à son appel.
non, c'est pas grave, rose. surtout pas ça. parce que putain, t'étais belle, si belle, le regard dans le vide, inconsciente de ton propre geste.
si belle que j'ai failli en crever.

elle a vite fait de raccrocher et reporter son attention sur les choses plus importantes qui se déroulent actuellement, à savoir: son tacos. un tacos choisi par les soins de fin, qui l'a pris avec toutes les options qu'elle voulait, jusqu'au type de sauce. franchement, des fois elle se dit qu'ils devraient participer à une émission à la con, celle où on pose des questions sur l'autre et où tu gagnes si tu devines juste. parce que eux, ils gagneraient, c'est évident. sauf que les émissions de ce genre, c'est souvent réservé aux frères et sœurs, ou aux couples. elle est où leur place dans tout ça?
les meilleurs potes participent aussi, fait une petite voix comme pour aider la blonde, tandis que son attention se porte sur la deuxième chose la plus importante dans ce fast-food: fin.
et fin, elle sait pas ce qu'il a, mais elle sait que présentement il la regarde pas avec la tête qu'aurait ton meilleur pote.
il bouge plus, même pas pour manger. il parle pas beaucoup non plus. mais au delà de tout ça, il la fixe avec une telle intensité qu'elle a du mal à tenir en place. ça la fait se tortiller sur son siège, ça lui donnerait presque envie que le sol en plastique qui couine sous leurs pieds viennent à s'ouvrir et les engloutir, elle et sa chaise.
elle le connaît par cœur fin, des fois elle se demande si elle a pas le don de lire ses pensées rien qu'en regardant son visage. mais le soucis c'est que ce visage là, elle a du mal à le déchiffrer. elle l'a déjà vu, à de très rares occasions, porté sur elle. et elle a jamais su quoi en tirer. parce qu'il a pas seulement un regard qu'elle lui connaît pas, il a un regard qui lui laisse parfois songer, tard le soir, quand y a plus qu'elle et ses pensées, que si elle le voyait regarder qui que ce soit d'autre comme ça... elle en pleurerait.
inutile de préciser que ça n'a donc jamais été un sujet sur lequel elle a aimé s'attarder.
- quoi? lui dit-elle, d'une petite voix.
quoi rose? qu'est ce que t'as fait pour le rendre muet? réfléchis, t'étais au téléphone, vous mangiez, et... oh.
- j'ai un truc à te demander, enchaîne-t-elle d'une voix un peu plus perçante que d'habitude. comme si en plus de changer de sujet, son ton aigu lui permettra d'attirer l'attention de fin sur autre chose que ses joues. ses joues sur lesquels ont peut sûrement faire cuire un œuf, à l'heure qu'il est. c'est... y a... euh... dit-elle, tentant de se concentrer. y a mon collègue qui m'a parlé d'une soirée ce week-end, pour mon boulot. faut que je ramène un plus one.
sans surprise, c'est à fin qu'elle a pensé, elle l'embarque partout où elle va. et quand il est pas dispo, c'est mylan, parce que mylan est toujours bien habillé.
- après t'es pas obligé hein, mais y aura de l'alcool... à manger... quelques sportifs connus... trois fois rien quoi, conclue-t-elle avec un grand sourire.
et aussi toute l'équipe avec laquelle elle bosse, son patron, le patron de la nbc, la liste complète des gens qui peuvent lui rappeler d'un simple regard qu'elle bosse pour eux, et qu'elle n'est rien. joyeuse soirée en perspective. en temps normal elle se forcerait pas à ramener quelqu'un juste parce que les plus ones sont autorisés -parce qu'elle aime rappeler à son entourage qu'elle a pas besoin de venir au bras de quelqu'un pour exister, merci bien- mais là... là, elle aurait bien besoin de soutien.

j'ai du mal, hein. très honnêtement, j'ai beaucoup, beaucoup de mal à reporter mon attention sur autre chose que rose, à la lâcher du regard ou même la regarder moins intensément. plus que du mal, en vérité, j'en suis incapable, pas de mon plein gré.
tout ce que je veux, c'est que mon pauvre coeur affolé soit apaisé. qu'elle l'apaise, elle. qu'elle l'attrape dans ses mains, qu'elle me serre dans ses bras, et qu'elle nous colle, poitrine contre poitrine, coeur contre coeur, et qu'elle me fasse comprendre que je ne suis pas seul, comme ça, que c'est rien, et qu'elle est là. que nos coeurs se retrouvent et qu'ils battent à l'unisson.
et dans un monde idéal, je l'avouerais, tout ça, toutes mes pensées et toutes mes envies. mais pas dans le monde dans lequel on vit, non. dans notre monde, je me contente de la regarder, presque sans cligner des yeux, la bouche presque entrouverte, englouti par tant de beauté, et réveillé subitement par sa voix qui parvient à mes oreilles. mes yeux glissent très rapidement à ses lèvres, comme pour m'assurer qu'elle a bien parlé, peut-être dans un autre but inavoué, pour ensuite retourner à ses yeux et tout lâcher sur mon tacos.
j'hausse légèrement les épaules et secoue ma tête de gauche à droite.
- non, rien. y a rien.
voix encore légère, je me repenche entièrement sur la dégustation, je l'écoute parler, à nouveau, hésitante. j'me dis que j'aimerais bien relever la tête pour la voir parler, aussi, pour boire ses paroles, pour lui porter toute mon attention. le problème, c'est que j'ai peur d'être encore bloqué dans cette phase bizarre où je n'arrive pas à regarder ailleurs qu'elle, où je lui lance ce regard que je lancerais à la pierre la plus précieuse de la terre. cette phase où je la regarde comme si j'avais enfin trouvé la réponse à tous mes soucis, à toutes mes questions, la réponse à ma vie. et la réponse, c'est rose.
- ce week-end, on avait pas prévu une sortie avec les autres?
j'en sais rien, j'en sais plus rien. j'organise jamais jusqu'au bout, moi. en général, je propose l'idée, et rose s'occupe de prévenir tout le monde, de réunir tout le monde, surtout. alors moi, j'sais plus où on en est. mais ce que je sais, c'est que ça me fait tout drôle de me dire qu'elle veut de moi comme plus one. c'est vrai que je le suis toujours, son plus one, son date pour ces soirées-là. mais aujourd'hui, j'ai comme l'impression que c'est différent, que la signification n'est pas tout à fait la même.
- j'serais là, rose. j'te ferais pas faux bond, ni honte.
j'te lâcherais pas, je t'abandonnerais pas. pas quand je pourrais avoir l'occasion de t'avoir à mon bras, ou plutôt d'être au tien. comme un trophée. ça m'est égal, parce qu'avec rose, c'est un privilège.
et la fin, je l'ai même pas écoutée, parce que je m'en fiche de l'alcool, de la nourriture, des sportifs. je m'en fiche, tant qu'elle me tend ce sourire-là à l'infini.
- j'serais juste.. pas obligé de porter un costume, rassure-moi?
parce que rose, ça, moi, j'en ai pas, et tu le sais très bien. je peux mettre une chemise avec un jean. je peux mettre des jolies chaussures. mais le costume, j'ai pas ça. la cravate, ça m'étouffe. non, m'fais pas ça.

aujourd'hui, y une chose que rose et fin ont en commun - autre que leur passé pas bien joyeux et le nombre de mâchoires dans lesquelles ils ont mis des coups au lycée, c'est d'ignorer un problème quand ils l'ont sous le nez. quand on connaît fin, c'est pas très surprenant. c'est un peu sa devise dans la vie, ignorer les soucis jusqu'à ce qu'ils deviennent impossibles à contourner. mais pour rose, c'est carrément le contraire, et ça tout le monde le sait. elle est curieuse et organisée, elle a besoin de tout savoir et tout planifier. mais là en l’occurrence, elle est parfaitement prête à oublier ce qu'il vient de se passer, elle serait même prête à essayer de suivre le rythme de nika quand elle boit en soirée plutôt que de mentionner les quelques minutes précédentes. et ça tombe bien parce que fin aussi, il nie en bloc ce qu'il vient de se passer, peu importe ce que c'était, et il continue de manger sans la regarder. soyez comme fin.
il lui demande s'ils avaient pas d'autres plans de prévus ce week-end, et ça lui prend un temps pour se souvenir de quoi il parle. fin a lancé l'idée, nika leur a donné l'endroit, mylan a changé d'avis cinq fois dans la semaine, et rose? rose elle essaye de mettre tout le monde d'accord dans le group chat.
- je sais plus, faut que je vérifie attends. je crois que c'était vendredi, on avait pas fait un vote?
elle place son portable au milieu, pour lui montrer, pour qu'ils vérifient qu'il puisse venir - pitié, faites qu'il puisse. mais il lui confirme qu'il viendra, et ça sonne comme un engagement. et qu'il prenne la peine de préciser qu'il lui fera pas honte, qu'il lui montre qu'il prend ça au sérieux, ça procure une chaleur agréable au creux de son ventre. elle a pas eu besoin de dire à quel point c'était important, il a compris. et il sera présent. ça lui colle un grand sourire aux lèvres.
- comme si t'allais me faire honte, dit-elle en chassant l'idée d'un petit geste de la main, l'envoyant balader bien loin. parce que c'est vrai, quand ils sont en soirée c'est toujours lui le plus à l'aise. il parle mieux qu'elle, il engage la conversation avec une aisance déconcertante, il sait placer les blagues où il faut. rose elle sait pas, la plupart du temps elle écoute, elle sourit et elle se retient de pas faire des commentaires trop sarcastiques quand elle entend des choses qui la dépassent. et t'en fais pas pour le costume, enfin les vêtements. on a du annuler une émission à la dernière minute y a quelques mois à cause d'un caprice de star et le mec nous a laissé la moitié de son dressing en plan. on va te trouver un truc. avec une cravate, ajoute-t-elle d'un ton plus appuyé, parce qu'elle sait déjà qu'il va tenter d'y échapper.
maintenant qu'elle y pense, elle pense pas l'avoir déjà vu avec une cravate. est ce qu'elle l'a déjà vu dans une chemise même? sûrement que si, mais ça doit faire longtemps.
elle reporte son attention sur le téléphone, remontant la conversation groupée qu'ils ont eu avec les autres.
- regarde, c'est vendredi qu'on sort. la soirée c'est samedi, précise-t-elle en tapotant l'écran du bout de son doigt.
juste à ce moment là, l'alarme de son téléphone se met à sonner, celle de son google calendar - mais si, le truc utilisé par les trentenaires proches du burn-out - qui affiche une notification: dernière visite dans trente minutes.