brand new life (sasha)

Tu manques de faire tomber un énième carton sur le sol, te rattrapant en le coinçant entre toi et la porte d’entrée. Faut dire que t’aurais sûrement pas dû en empiler deux alors que tes bras font la taille de coton tiges miniatures. Parce que t’es comme un con, là, avec tes cartons collés entre toi et l’embrasure de la porte, à ne pas savoir comment tu vas te sortir de ce bordel dans lequel tu t’es fourré. « Sashaaaaaaa ?! » que tu appelles, ne trouvant visiblement aucune autre idée que d’appeler ta, désormais, colocataire à ta rescousse.

T’aurais jamais cru te retrouver là un jour. T’aurais jamais cru trouver enfin la bonne excuse pour te casser de l’appartement de ton père dont tu avais hérité. Tu ne t’étais jamais senti chez toi, là bas, alors que chaque recoin, chaque meuble te faisait penser à la sous race qui t’avait élevé. Au bout de cinq ans, t’avais commencé à devenir un peu dingue, à l’imaginer être encore là, qu’il s’agisse de son corps ou de son esprit. Bon. Tu n’es pas non plus totalement fou. Tu sais que ton paternel est six pieds sous terre, pour de vrai, et qu’il ne risque pas de revenir t’emmerder mais faut croire que le traumatisme d’avoir grandi avec lui ne compte pas te laisser en paix. Alors quand Sasha t’avait fait part du fait qu’elle cherchait des colocataires, t’avait enfin trouvé la bonne raison de quitter l’endroit. Tu avais annoncé à Sasha que tu te ramenais pour quelques mois, le temps de te trouver ton appartement à toi. Elle avait accepté et voilà que tu portais les cartons contenant ton existence entière pour aller les empiler dans ta nouvelle chambre.

T’appréhendes un peu quand même. T’as pas pour habitude de vivre avec quelqu’un d’autre. T’as pas l’habitude de devoir partager, écouter et faire gaffe. Tu vas prendre sur toi, tu vas apprendre.

Après tout, vivre en communauté, ça ne doit pas être bien difficile, si ?

Pis tu sais que Sasha, c’est une petite perle. Si t’arrives pas à gérer avec elle, tu ne le ferais sans doute jamais avec personne. Justement, tu la vois débarquer après ton appel et tu désignes tes cartons du menton - non pas que ce soit super nécessaire. Elle est quand même pas aveugle et il est évident que t’es en train de galérer avec tes fameux muscles en pâte à modeler. « J’crois que si j’ai rien pété, j’aurai d’la chance. » que tu siffles. Tant pis. Ya pas grand chose dans tes cartons à part tes fringues, tes papiers et ceux du Mermaid ainsi que ton matériel de photographie. Elle se résume pas à grand chose, ta vie.

C'est un pauvre chat, Damn. Et tu l'aimes beaucoup. T'aimes beaucoup trop facilement, tout le monde, faut dire. Sauf que c'est pas une excuse et ça n'amoindris pas l'amour que t'a pour le gamin grognon. Enfin, gamin. Il est plus vieux que toi. Il est tout près de l'âge que toi, tu redoutes un jours d'avoir. Trente. Trente ça sonne comme le début de la fin. Sauf que bref, c'est pas ça l'important. Vos deux petites têtes blondes on trouvé que c'était une bonne idée qu'il emménage chez-toi. Pourquoi pas, hein ? T'as une chambre de libre parce que l'autre garce est allée bosser dans une autre ville et que le gamin après elle est rentré chez maman. Ce serait pas le cas avec Damen. Il pourrait se sauver, oui, c'est clair, mais il ne rentrerait pas sous les jupes de sa mère. Ta grande chambre trop vide n'attend que lui. T'étais justement en train de nettoyer juste pour lui. Même les fenêtres et le plafond. De brûler un peu de sauge, d'ouvrir les fenêtres et de danser, chanter dans ta chambre. Tu l'avais même repeinte, tout de blanc, mais tout de même. T'avais fait ça pendant la semaine passée, dès que vous aviez pris cette décision. Comme ça, au moins, il ne serait pas incommodé par l'odeur de peinture. Oui, t'aimais en faire un petit peu trop, pour tout le monde, pour que les gens t'aimes. Et après tu le regrettais. Après tu te trouvais un peu conne, soit. La petit musique jouant sur le tourne-disque dans le salon, du blues qui faisait doucement ronronner tes matous se dorant sous les rayons perçant les rideaux et la petite bière coulant dans le gosier alors que t'attendais ton futur. L'appartement était inondé de soleil, c'était joli. Tu sais pas si c'était la bière ou quoi, mais en pensant à ses yeux à lui, dans ce soleil là, t'as comme une petite chaleur qui monte en traversant ta poitrine pour remonter jusqu'à tes joues. Pas trop ta faute s'ils sont de ce bleu à vous foutre en l'air, ce bleu à qui on peut pas trop dire non. Ou du moins, toi, t'y arrives pas. C'est au même moment que t'entend sa petite voix derrière la porte. Rigolant doucement lorsqu'il allonge ton nom en appel au secours. Tu déposes rapidement la bière et avalant de travers la gorgée déjà en bouche, toussotant avant de courir à la porte et l'ouvrir d'un coup. Les chats curieux courent pour venir voir qui est là, restent derrière la porte.


« Damennnnnn ! » Que tu t'enthousiasmes, te penchant pour attraper la seconde boîte qu'il est sur le point de laisser crever au sol et en même temps t'en profites pour lui voler rapide micro-petit bisou de sur sa joue, tellement papillon qu'il ne s'en rendra pas compte et ne pourra pas te le rapprocher. Comme ses moments où tu le câlines et où il oublies qu'il aime pas trop tes caressades. « Tu vas bien ? Bienvenue chez-toi, tu veux une bière ? » Que tu lui chantonnes et lui demandes trop joyeuse avant qu'il ne râle sur le bris éventuel de son matériel. Vous faites vraiment un beau duo. L'idéaliste et le pessimiste. Toi, tu souris doucement, laissant tes petits pas aller vers la chambre, sa chambre, le sourire trop en fleur pour se faner. T'es toute contente d'enfin avec quelqu'un avec qui vivre, ça t'as manqué un peu. Ça te manques beaucoup quand tu passes chez Lali et Emile, que tu reviens dans ton silence le soir. Ça t'inquiètes les soir où t'as des maux, où tu te demandes : et si tu mourrais, ça prendrais combien de temps avec qu'on le remarque, qu'on s'inquiètes, qu'on te trouves ? Sauf que tu souris quand même. Tout ça, c'est fini. Et tu seras une si bonne colocataire, il voudra dépasser le délai fixer. Peut-être pas en fait, mais t'espères. Comme t'espères un jour percer son coeur, à Rogers. Pour qu'il n'ait plus peur de te dire, tout, tout, tout. « C'est quoi aussi, t’amènes une montagne de cartons à la fois. On peut faire plusieurs voyages, y'as pas le feu. » Que tu le taquines en posant le carton par terre avant de relever les yeux vers lui pour lui sourire, te glisser hors de la chambre pour lui attraper une bière et la lui filer, qu'il se refroidisse un peu avant de continuer, à moins que... Tu fronces tes sourcils un petit peu. « Ba... Tu viens ? On va chercher le reste de tes trucs ? » Que tu le questionnes. Il a quand même pas juste ça, hein ? Ils sont où ses libres, ses babioles, ses souvenirs, ses trucs honteux qu'il veut pas garder mais qu'il garde quand même. Des petits bouts de lui et d'autres à mettre sur les murs.

Tu sais pas trop quelle idée tu as eu de porter deux cartons à la fois, surtout avec ton poignet encore bandé suite à ton premier rencard avec Adam. Certes, tu ne l’utilises pas vraiment, te contentant de placer ta main blessée sous les cartons, mais cela reste un risque un peu idiot que tu as pris. Tant pis. Trop tard. Et puis tu ne doutes pas une seconde que ta nouvelle colocataire va venir à ta rescousse pour t’éviter tout accident. « Damennnnnn ! » Elle t’accueille et tu souris en la voyant arriver et t’aider avec le second carton qui menaçait de finir sur le sol de l’appartement. Elle en profite pour poser ses lèvres sur ta joue et tu lèves les yeux au ciel. Tu aurais dû t’en douter. Tu ne peux pas reculer et l’éviter à cet instant. T’es piégé. Bien sûr qu’elle allait profiter de la situation pour t’arracher un petit signe d’affection dont tu n’es pas particulièrement friant. « Tu vas bien ? Bienvenue chez-toi, tu veux une bière ? » Tu la suis jusqu’à ta nouvelle chambre, ton nouvel endroit bien à toi avant de laisser tomber le carton que tu portes encore sur le lit. Ya rien qui casse dedans, de toute manière. « J’vais bien et toi ? » que tu répliques alors que tu récupères tes deux bras, fonctionnels ou presque. « J’veux bien une bière, tiens. » Tu refuses jamais une bière, toi - du moins, quand t’es pas en train de bosser.

Elle te juge un peu, Sasha. « C'est quoi aussi, t’amènes une montagne de cartons à la fois. On peut faire plusieurs voyages, y'as pas le feu. » Elle a pas tord, pour le coup. T’es frêle, t’as pas de force, et en plus ton poignet est toujours en train se remettre de cette fois où tu l’as collé dans la tronche d’un abruti. T’as pas été super intelligent, pour le coup. Mais t’y peux rien, tu as la flemme. Tu veux en finir au plus vite avec tes cartons pour pouvoir t’écrouler ensuite comme une merde et ne plus faire d’effort jusqu’à devoir te rendre au Mermaid pour démarrer ta soirée de travail. « Mais j’ai la flemme. » que tu te plains, que tu grimaces et que tu fais la moue comme un gosse prit sur le fait et qui chercherait tous les moyens possibles de se justifier.

Tu la rejoins dans la cuisine alors qu’elle te tend une bière. Tu la saisis avec plaisir, prenant une gorgée de la boisson aussi délicieuse que rafraîchissante. « Merci. » que tu finis par lâcher sans doute quelques longues secondes trop tard. La politesse et toi, vous êtes pas franchement potes, même si t’essaies, même si tu te forces avec les gens que t’apprécie, histoire de ne pas passer pour un parfait connard non reconnaissant. « Ba... Tu viens ? On va chercher le reste de tes trucs ? » Elle a raison. Faut pas que tu restes planté là à boire ta bière. Tu sais pertinemment que si tu le fais, tu ne vas plus bouger et les cartons vont rester en bas, abandonnés. « Ouais. Allons-y. » que tu souffles d’une voix dépourvue de toute motivation. Tu poses néanmoins ta boisson avant de te diriger vers la porte. « Yen reste quatre en bas. » que tu expliques, plus pour te motiver toi que pour l’informer elle. Allez Damen, plus que quatre cartons à deux. T’as bientôt fini. Tu auras tout le loisir de rien foutre ensuite.

T'es tellement contente de le voir que ça t'en donnes des petites fourmis dans les orteils, ton sang qui circule mal parce que tu respires mal et tes envies de l'attraper, le serrer dans un coin et de violer ses joues d'une galaxie de petits baisers vites oubliés, qui ne voudront rien dire d'autre que le fait qu'il soit important pour toi, que tu sois trop contente d'avoir de la compagnie en attendant de pouvoir changer d'appartement pour un truc plus petit, moins cher, que tu pourras t'approprier entièrement pour en faire ton petit repère qui ne s'cache pas de ses étrangetés. Pour l'instant les murs sont blancs, sombres, les petits pots avec ses herbes sont dans ta chambre, là où vont tes bougies pour mourir, là où parfois, t'as l'habitude de te prendre pour une sorcière. De te croire forte, d'avoir l'espoir de changer les choses. De faire naître les sourires, retenir l'amour.  

T'es câline même si tu t'enfuis pour t'accrocher à ta bière, parce que ton kombucha maison est pas encore au point pour en offrir.  C'est donc bière et sourires que tu lui offres. Sourire en œuvres d'art un petit peu fabriqués parce que t'as pas eut de bonnes nouvelles au matin. Ton papa vas pas très bien, sous les soins des médecins. T'as fait ta méditation de guérison et t'espères pour le mieux, mais y'a une petit partie sourde de toi qui s'inquiètes, qui aime tourner son sang en encre. Qui a besoin d'être serrée, rassurée, aimée si fort que tout est de nouveau possible. Sauf que tu sais que c'est trop lui demander, à ton ami. Tu sais que son corps brûle quand il est trop près du tiens, que c'est pas confortable, même si toi, tu dors bien, la nuit, contre son torse, quand il est trop loin dans les limbes pour protester. Ça va, tu veux pas le marier, c'est juste que le rythme de son souffle à de quoi t'apaiser. Le son solide de son coeur sait bien te bercer. C'est dur à comprendre pour les gens qui comprennent rien.

Tu chasses tout, pour tout noyer dans la tâche devant vous. Abandonnant la bière pour rejoindre le couloirs de ton appartement, refermant bien la porte derrière vous pour que les chats ne foutent pas le camp. « Quatre, c'est presque rien ! Après on s'pose et on s'fume nos vies ! » Que tu déclares en lui sautant au cou une dernière fois, enroulant tes petites pattes derrière son dos pour poser un dernier baiser sur le bout de son nez. Tu le serres contre toi, comme on serres un chat rageur qui aime être câliner, mais qui a fait comme s'il aimait pas ça. « J'suis trop contente que tu sois là, mon chat ! » Que tu déclares, un tout petit peu plus calme. Frottant le bout de ton nez au sien, collant un tout petit peu vos fronts. Ça te fais du bien. Ça règle rien, t'as pas l'assurance que tes parents vont aller mieux, mais c'est comme si. Ton coeur s'apaise un peu et t'as moins envie de pleurer. Tu le serres plus, tu voudrais presque t'excuses de la proximité dont t'as besoin. Parce que tu crains le jour où il en aura marre de ta chair contre la sienne. Le moment où il te jettera sauvagement et où tu ne sera plus que des petits bouts d'étoiles brisés. Ça arrivera. Parce que t'abuses, parce qu'un jour il en aura assez que tu tentes toujours de tordre ses limites en espérant que lui, un jour s'habituerais et pas le contraire. Tu t'excuses en sautant de nouveau sur tes pieds rapidement, t'éloignant de lui en rigolant, avant de le bousculer, poussant doucement sur son ventre pour le faire reculer, joueuse, taquine, les éclats d'un rire enfantin volant partout comme la poussière sur un vieux rideau qu'on a trop secoué. T'es un vieux rideau, Sashoune. Et ta poussière, sous le soleil, ressemble presque à de la poussière de fée, de diamants. « Allez, on fait la course gros bébé ! » Que tu déclares, prenant quelques pas d'avance. « Le dernier arrivé paie la pizza ! » Que tu le mets au défi. Parce que oui, c'est soirée pizza ce soir, c'est toujours une bonne soirée pour être une soirée pizza. T'en salives déjà, même si tu te demandes ce qu'il met sur la sienne. Tant que y'a pas d'ananas, tout te vas. Et le moins de viande possible (en fait pas d'viande du tout). Mais bref, vous trouverez un terrain d'entente c'est certain. Avec tes petites jambes mal habiles et ton grand coeur pas endurant, tu commences la courses, lui bloque joyeusement le passage dans l'escalier en criant comme une fille, parce que c'est fun et que tu redeviens une gamine quand tes pieds s'acharnent à se démêlés dans les escaliers. C'est toi qui gagne, pour l'instant, même si t'aimerais bien que ce soit lui, politesse, tout ça, ça te dérange pas de payer la pizza. Tu veux juste qu'il soit heureux, qu'il soit bien, qu'il se sente chez-lui.  

T’es pas câlin, toi. Tu apprends à l’être, à accepter les étreintes peu à peu, notamment grâce à Sasha et, maintenant, grâce à Adam. T’as jamais eu l’habitude de tenir quelqu’un dans tes bras, de sentir des baisers sur ta peau. C’est encore tout nouveau, ça. Faut dire qu’avec Sasha, tu as de quoi t’entraîner. Elle est ton opposée sur ce point, toujours à chercher le contact, à te câliner, à couvrir tes joues de baisers. Ça te foutait clairement mal à l’aise à la base et ça le fait toujours, bien que moins. Tu t’habitues, petit à petit, à devenir un être humain normal qui ne fuit pas au moindre contact, qui ne frissonne pas de dégoût dès que la main d’une autre personne ne se pose sur son épaule. Ce n’est pas simple, d’autant plus quand ta nouvelle colocataire se jette sur toi comme elle le fait, ne réclame bien trop que ce que tu es prêt à lui donner. Mais pour l’instant, ne l’as pas encore repoussée. Faut croire que t’en as un truc à foutre de Sasha. Faut croire que tu ne veux pas la blesser. C’est bien plus que ce que tu pourrais dire de la plupart des gens, dans le fond. À part Adam. Adam sera toujours l’exception. Il fait naître en toi, non, fait ressortir en toi un côté que tu croyais inexistant alors qu’il n’était qu’enfouit. Tu te découvres un peu plus jour après jour, malgré tes trente piges qui arrivent.

Tu poses ta bière sur le comptoir et sors de l’appartement en quête du peu de cartons qu’il reste. T’as hâte d’en avoir fini mais t’es bien content que ta vie ne tienne que dans quelques cartons à peine. Ça va plus vite. C’est bien moins chiant que si tu avais bien trop de biens à emporter. De toute manière, tu vas vendre tous les meubles, tu vas tout virer. T’as plus envie de posséder quoique ce soit ayant appartenu à ton paternel. Enfin. À part le Mermaid. Le Mermaid, tu comptes bien le garder aussi longtemps que tu le pourras, aussi longtemps qu’il fonctionnera. « Quatre, c'est presque rien ! Après on s'pose et on s'fume nos vies ! » Tu ris doucement. Elle n’a pas tord, pour le coup. Elle se jette à ton coup une nouvelle fois, te grimpant carrément dessus et tu vas jusqu’à la rattraper pour ne pas qu’elle tombe. T’es pas fort comme mec, toi. Au contraire. T’as aucun muscle de développé dans ton corps de lâche. C’est pas une raison pour la laisser tomber pour autant - littéralement. « J'suis trop contente que tu sois là, mon chat ! » Tu l’es aussi, même si t’es certain qu’elle va pas tarder à se casser la gueule si elle ne descend pas. Après tout, tu n’as qu’un poignet fonctionnel pour l’aider, le second étant pendu dans le vide pour éviter la misère de l’exploser à nouveau.

Elle se remet sur ses pieds, s’excusant. « Allez, on fait la course gros bébé ! » qu’elle déclare ensuite. « Le dernier arrivé paie la pizza ! » Mais t’es un faignant, toi. Faire la course, courir, n’est pas dans tes gênes et elle prend bien vite de l’avance. Elle est bien plus agile que toi, Sasha. Alors tu descends les escaliers normalement, quoiqu’un peu plus rapidement que d’habitude. La flemme. « Mais j’suis pas sportif moiiiiiii... » que tu te plains, enfant que tu es, alors que tu la rejoins en bas des escaliers. Et puis, payer pour la pizza ne te gêne absolument pas, pas le moindre du monde. Ça te permettra de démarrer cette colocation sur des chapeau de roues, en bon terme, en lui prouvant qu’elle n’aura jamais rien à redire au niveau de ta part du loyer et de la bouffe.

T'en sais encore trop rien, mais tu te dis que ce sera bien de vivre avec Damen. Que vous serez posés, que vous ne vous parasiterez pas, ne vous prendrez pas la tête. T'auras pas à jouer la mère avec lui, pas à vous étouffer dans une chambre pour baiser. Si tu l'entend culbuter dans sa chambre ce sera drôle et puis voilà, t'iras fumer une clope sur le perron le temps que ça claque fort contre les fessiers avant de les voir sortir en sueur, le petit sourire en coin. Vous allez être des adultes, pas comme les bébés avec lesquels t'as habité avant. Petite gamine outrée parce qu'une fois de temps en temps tu perdais tes lèvres contre celles de d'autres filles et dans des endroits encore plus exigus et où le sang pulsait bien fort entre leurs chairs et ta langue. Non de chez-non. Vous étiez officiellement l'appartement le plus LGBTQ+ de tout le queens vert, vert et toutes les couleurs de votre arc-en-ciel. Le bleu, rose et jaune pour toi. Chacun choisissant sa propre couleur. Ça sens bon la nouvelle vie contre la nuque de ton petit loup.

Ou petite belette, contre laquelle tu fais la course. Il te laisses gagner, c'est pas juste, mais ça te fait plaisir quand même. Il est pas sportif. Toi non plus et en plus, t'es maladroite. Deux pieds dans une même chaussure et les shorts que tu baisses constamment pour qu'ils ne s'amusent pas à découvrir tes fesses rebondies au grand public qui traîne sous le soleil. Pour tes capacités à toi, la course est effréné et l'autre gosse s'en plains.

« Allez, faut appuyer sur le champignon ! »

Que tu scande avec ta voix de cartoon, pour le faire rire, l'embêter ou juste parce que t'es weirdette. Ils comprennent pas trop le reste du monde ce que vous foutez ensemble Damn et toi. Tellement différents. Toi non plus, tu comprends pas trop comment t'as arriver à te gratter une petite place dans sa vie à force de forcer. Peut-être qu'il a eu pitié. Mais t'espères qu'il a compris, que toi, tu ne lui ferais jamais de mal. Jamais (sauf, peut-être, par accident). Vous arrivez en bas, le souffle un peu court et tu lèves les bras en victoire. Vraie gamine, tu l'énerves surement déjà. Les gens t'aimaient comme ça qu'il disait, enfant, joviale, surexcitée, solaire. Tu te demandais quand même, si un jour tu noircissais, tu calcinais, tu brillais moins fort à force des ombres sur ton coeur, est-ce qu'on t'aimerais encore ? En tout cas, Damen, ça lui ferait des vacances. Il a de la chance lui, tu laisses ses lèvres tranquille. Non seulement parce qu'il a un amoureux, mais aussi, parce qu'il est dans la friendzone. La vraie, celle mutuelle où personne n'a mal. Tu souffles un peu, les mains sur les hanches, cherche du bout des yeux.

« Bon, elle est où ta bagnole ? »

Que tu demandes, pourtant laissant en t'adossant au mur de l'immeuble avant de sortir une clope, lui en tendre une. Tu ne te souviens plus s'il fumes ou pas. Dans ta tête oui, mais bon, la mauvaise idée, l'illusion de réussir l'arrêt, c'est fun quand même, c'est beau d'y croire. Quelque chose de poétique dans l'espoir et le contrôle humain. T'allumes ta cigarette. Parce qu'au final, vous êtes pas trop pressés, à moins que lui, ne le sois. La journée est belle, les secondes passent lentement, tout est parfait.

« Tu bosses ce soir ? » Que tu t'informes. Même si, étant le propriétaire officiel, il bosses un peu toujours. Il y va souvent, mais bref, tu veux juste connaître son emploi du temps, savoir combien de temps tu peux le kidnapper avant de devoir le relâcher. T'as combien de temps pour te plaindre de tout avant qu'il de doive filer. Quoi que, t'as le coeur léger, pas l'envie de pleurnicher. C'est peut-être le soleil cancérigène qui vient doucement mordre ta peau et qui te fais croire que tout est encore possible. Peut-être le fait de ne plus stresser de te demander comment tu vas payer le loyer et tout et tout. T'es contente qu'il soit là, ne lui dira jamais assez. T'as hâte de voir. Hâte de découvrir ses bons et ses mauvais côtés. Son humeur au matin. Ça fait un moment que t'habites qu'avec tes fantômes et les squelettes dans ton placard. Avec un presque copain qui va et viens, mais qui va surtout, sur une jambe, sur l'autre. Toujours partit sauver le monde. C'est pas facile d'être la meuf d'un super-héros. Tellement pas facile que t'oses même pas trop dire que t'es sa meuf. Parce que c'est officiel. Enfin, tu crois, ça semble l'être. Elles sont beaucoup trop floues les limites de ta vie. Y'a Nash qui le sait, mais ça compte pas, elle sait tout. C'est la seule et elle est pas trop contente de la nouvelle, c'est peut-être pour ça que t'oses pas en parler à d'autres. Oopsi.

Tu te connais par coeur. Si t’accélères, si tu tentes de courir, tu vas finir essoufflé en à peine quelques secondes. Et encore. C’est si tu ne finis pas par te casser la gueule dans les escaliers. T’en es bien capable. T’es tellement putain de maladroit, toi. T’as deux putains de pieds gauches, faut croire. Parce que dès que ya un moyen de tomber ou de se rendre absolument ridicule, faut que tu le fasses - faut que ta maladresse te jette dedans la tête la première. T’as beau assumer pleinement ce côté de toi même - paraît même que ça fait ton charme - t’es pas non plus du genre à tenter le diable, à provoquer le destin. Alors tu descends les escaliers tranquillement et tu la laisses gagner. De toute manière, t’es pas un gros compétiteur, toi. Surtout pour ce genre de choses. « Allez, faut appuyer sur le champignon ! » Tu lèves les yeux au ciel mais ton sourire te trahi. Elle t’amuse, Sasha. Elle te fait sourire avec sa bonne humeur, avec son énergie. Toi qui te laisse souvent porter par la vie, ça te fait un bien fou d’avoir quelqu’un qui te fait te bouger, qui te fait te sortir de ton côté solitaire pour mieux t’entraîner dans le monde réel. Et quel monde réel pour ta nouvelle colocataire - pas de celui sombre et décadent qu’il est en réalité, mais un monde de joie, d’énergie et d’amusement qui sert de très bon échappatoire. « La fleeeeeeeeemme. » que tu scandes, appuyant longuement sur la seconde syllabe de ton deuxième mot. Tu devrais en faire un tee-shirt de cette expression quand même, vu le nombre de fois où tu la balances.

Vous arrivez en bas. Enfin, Sasha arrive et tu la rejoins tranquillement, faisant bien gaffe de ne pas être soulagé trop tôt, de baisser ta vigilance et de te faire surprendre par l’une des dernières marches qui n’attend qu’un faux pas de ta part. « Bon, elle est où ta bagnole ? » Tu la montres du doigt, à peine plus loin, garée le long du trottoir dans un crénaux approximatif. Tu l’adores ta bagnole, bien qu’elle ait vécu, bien qu’elle n’allait pas tarder à tomber en lambeau. Tu l’avais achetée avec tes premiers salaires et depuis, tu ne l’avais plus lâchée. T’en as d’ailleurs aucune envie. Elle est grise, elle est sale, elle est rayée d’un peu partout et cabossée à l’arrière, mais tu l’aimes d’amour.

Sasha te tend une clope et tu hésites un instant avant de la prendre. T’es pas un fumeur, toi. Ça t’arrive parfois, surtout après une bonne partie de jambes en l’air avec Slade. Mais le reste du temps, t’y penses pas. Pourtant, quand on t’en offre une, t’as pas envie de refuser. C’est sympa de fumer. Et puis, ce n’était pas comme si tu avais peur de mourir jeune. T’en as clairement rien à battre. « Merci. » Tu lui voles son briquet afin de l’allumer avant de le lui rendre rapidement, histoire de ne pas le glisser dans ta poche machinalement. Les vols inconscients de briquets, tu connais. C’est emmerdant. « Tu bosses ce soir ? » Tu secoues négativement la tête. « Enfin. Oui mais non. J’bosse sur le canapé, à faire des papiers super passionnants. » L’ironie est palpable. C’est la mauvaise partie de ton job, ça. Les putains de papiers. Faut dire que ya rien d’informatisé au Mermaid - merci à ton paternel qui vivait encore au moyen âge - et tu n’as pas encore eu le temps d’y remédier. Et puis ce soir, il n’y a pas Adam. Ce soir, il n’est pas censé bosser. Et tu n’as pas envie de croiser Slade sans Adam dans les parages. T’as pas envie de tenter le diable sur ce plan non plus.

T'es pas une championne de course non plus, ça te prend parfois, ses petits moments de follie, de pur soleil. Trop contente d'avoir enfin quelqu'un à la maison, quelqu'un avec qui blablater le matin au café, les cheveux en bordel. Quoi que, avec vos horaires, ça risquait plus d'être de lui souhaiter bon matin alors qu'il te souhaiterait bonne nuit. C'est juste rassurant un autre humain qui vit au tour, qui veilles un peu. Juste, s'assurer que t'es encore en vie, remarquer que tes chaussures on pas bougé depuis trois jours. Ça t'as toujours terrifiée, de mourir et que personne ne s'en rende vraiment compte. Apparemment tes chats finiraient par te manger pour pas mourir de faim. C'est pas mal, au moins ton cadavre servirait à quelque chose. Non, quelqu'un avec qui rire des conneries, des voisins qui s'engueulent parce qu'ils se baisent mal.

C'est cool quand même, qu'il ait une voiture, tu vas pouvoir abuser de lui de temps à autre en l'énervant pour qu'il te laisse sur sa route. Tu serais surement aussi sa mauvaise influence. Celle qui lui refile trop de clopes pour pas fumer toute seule, pour pas te cramer en solo, pour te sentir moins mal dans tes mauvaises habitudes. Parce qu'il prend ta clope, ton briquet même et que t'es toute joyeuse, que tu te retiens d'embrasser ses petites joues partout.

En plus il bosse pas ce soir. C'est génial, première soirée entre coloc, tes yeux s'illuminent encore plus (si c'est possible). Parce qu'il faut bien en profiter avant que vous ne vous tapiez sur les nerfs, parce que ça arrivait toujours, inévitablement. T'allumes enfin ta cigarette, ou tu la réallumes, en tout cas, c'est pas grave. Et tu aspires tendrement la fumée qui s'en échappe alors que tu décides aussi qu'après ce paquet, ce serait la fin, hein ? La vraie de vraie fin ?

« Ah, mais c'est bien. On pourra s'écouter un film après tes papiers, si tu veux ! » Que tu proposes déjà, fatigante à force de prévoir vos vies d'avance. T'essayes de calculer à ce rythme, il va en avoir marre quand. Parce que toi-même, t'en as un peu marre de toi. Tu te fatigues aussi. C'est pas grave, ça va te passer. Y a des soirs où toi aussi, tu voudras rien, ni personne, même pas de pizza, ni de chats. Des soirs où respirer fait mal et qu'on en a marre. Des soirs où écrire est difficile et où tes poèmes ressemblent à des farces où on aurait oublié les blagues. Tu te clames un peu avec une autre bouffée de nicotine. « Tu me dis si je t'énerves, j'suis un peu trop hyped. Si t'as besoin de ton intimité ou de te reposer ou quoi. C'est juste bien d'avoir quelqu'un à la maison. » Ouaish, ta dernière colocation n'avait pas été un frank succès, un gars trop jeune, toujours à faire la fête, à faire des drames. Eurfff. Un peu homophobe sur les bords, aussi, g-é-n-i-a-l. Surtout quand tes ''amies'' partaient le matin. Gros malaise. Vous n'auriez certainement pas ce problème.