contrastes | sévan

Le lieu lui semble sacré. Dans l’atmosphère austère de la pièce épurée, il y a cette aura propre à une église ou n'importe quel autre temple de culte. Sévan est seule, mais alors que, nu pied elle s'avance sur le parquet parfaitement cirée, les ombres de tout ceux qui se sont adonnés avec ferveur à la pratique de leur passion, accompagne la sienne qui se découpe à la lumière. Elle peut les observer virevolter de ses nombreuses fois où elle a épié les danseurs, par la fenêtre, bien cachée. Elle s'est imaginée de nombreuses fois à leurs côtés, apprenant du professeur sévère qui corrigeait chacune de leurs positions. Elle s'y essayait, seule et dans ses squattes qu'elle se trouvait, s'imposant rigueur et oeil critique. Elle s'en était toujours contentée, mais depuis quelques semaines, il était dur de résister à cette envie, d'au moins une fois, danser sur le même bois que ceux qu'elle admirait.

Et ce matin, elle avait craquée. C'était le seul moyen de se délivrer de cette pensée, de ne plus la voir défiler en boucle dans son esprit, parasitant chaque instant. Elle s'était faufilée jusqu'au bâtiment, avant de suivre de prêt un concierge qui y rentrait. Elle passait pour une élève et en avait l'assurance lorsqu'il l'avait regardé. Si bien qu'il n'avait rien dit. Les cours ne commençaient pas avant quelques heures, elle était bien informé sur les emplois du temps et n'était pas la seule à se présenter si tôt avant qu'ils ne débutent. Ce n'est qu'une fois dans les couloirs, qu'elle s'était vouée à la discrétion, jusqu'à rejoindre la salle où elle se tenait à présent. Elle inspire longuement, tournant sur elle même, peinant à croire qu'elle y est. Elle a un regard pour la fenêtre par laquelle elle observe d'habitude et sourit en secouant la tête.

Et puisqu'elle n'est pas venu pour rien, elle enchaine ensuite. Elle répète, elle imite ses mouvements qu'elle les a vu tant de fois esquisser, essayant aussi de voler leurs postures et leurs attitudes. Elle recommence, encore et encore, sans même se poser de question. C'est pour ça qu'elle aime danser, outre cette sensation de pouvoir libérer son corps de sa raideur habituelle, cela lui permet surtout de se vider la tête. De ne plus se préoccuper de rien. Pas même de la réalité. Elle en délaisse même la méfiance et la prudence quasi instinctive... et ça ne loupe, elle se fait surprendre. Elle ne reste debout que grâce à son sens de l'équilibre, coupée nette dans son élan.

Il ne lui faut qu'un regard pour la reconnaitre. Peut être que la jeune femme ne l'a jamais vu, mais l'inverse est faut. Elle fait partit de ses danseuses qu'elle se plait le plus à imiter. Cependant, elle n'est pas en mesure de se laisser décontenancé... Il va falloir qu'elle trouve à improviser. - Oh c'est rien, t'excuses pas... J'avais pratiquement finit de toute façon. Elle se trouve déjà une porte de sortie, histoire de ne pas trainer, si elle veut recommencer, va pas falloir qu'elle se fasse chopper. - Moi, c'est Sévan. Elle le dit en réponse à son nom. Russe, assurément, elle en reconnait la sonorité, en a l'origine dans ce métissage qui la caractérise. - Et j'viens d'arriver. Ce qui justifie qu'elles ne soit jamais croisés. Elle pense à parer à tout... Lui reste qu'à prendre congé mais... c'est pas tous les jours qu'elle croise une femme qu'elle admire.

Elle hésite à se pincer. La brève douleurs lui assurerait qu'elle est bien éveillée, qu'elle n'est pas en train de rêver cette rencontre inespérée. Bien des fois elle s'est imaginé pénétré dans l'établissement, discuter avec les résidents, étudier en les observant sans avoir à se cacher. Eve concrétise l'impossible qu'elle ne voulait que peu se formuler dans un désir de se protéger en ne fixant que des objectifs à sa portée. Et le début s'amorçait plutôt bien. Elle ne se ressentait aucune agressivité émanant de la jeune femme. Une certaine retenue peut être. Sévan essaie de ne pas se montrer trop intrusive dans sa chasse habituelle aux détails. Elle a du mal à laisser tomber ses défenses, nécessaire pour survivre dans son quotidien. Le moment n'en fait pas partit, il dénote avec ce qu'elle connait, elle doit s'adapter. Se rappeler de ce collège huppé qu'elle fréquentait, des attitudes et des airs nécessaire à se fondre dans la masse. Clairement pas son milieu. Sa vie d'avant lui semble d'un autre temps, comme si elle était morte une fois entre les deux. Un passé dont on se souvient mais qui semble tellement lointain qu'il en devient irréel.

Les questions qui se pressent, puis le besoin de préciser qu'elle peut s'y soustraire. Cette curiosité qui ne s'assume pas amuse l'adolescente. Elle sourit. - Je m'oblige rarement. Elle le précise, le regard pétillant. Sa malice n'est pas habituelle avec les étrangers, mais l'instant l'enchante. - C'est d'inspiration arménienne. Ma mère l'a... Librement adapté. En revenant de Russie, sa fille dans les bras et sa colère en tempête, elle avait voulu retirer un peu de ce père qui ne voulait l'être. Américaniser le prénom. Qu'elle était impulsive sa mère... Qu'elle était rancunière. Elle y pense avec tendresse, son entêtement lui manque. - J'ai 21 ans. Elle ment, avec une telle habitude que ça lui est aussi naturelle que la vérité. Un réflexe qui la ferait rouler des yeux, lorsqu'elle le constate, si elle pouvait se le permettre.

Elle s'en détourne pour la musique qu'Eve lance. Bien loin de celle qu'elle connait et qui résonne dans son quartier. Les rythmes y sont plus agressifs, les notes plus assassinent. Le corps se bat autant qu'il danse. Il n'y a d'autre rigueur que celle de l'impulsivité. Les gestes sont spontanés, les mouvements inspirés de la cadence du cœur. Sévan ne s'en plaindra pas. Elle est occupé à revoir les étirements épiés pour être au moins capable d'en imiter quelques uns. De donner l'illusion d'avoir reçu une instruction au classique. La question coupe court à ses réflexions et la prend un peu au dépourvu, une habitude qui n'est pourtant pas la sienne. - Je... la musique est parfaite. Elle se reprend vite et hoche la tête. Eve lui offre une porte de sortie toute trouvée. Elle propose elle même de lui montrer ce qu'elle doit faire. - Je veux bien oui. Elle hoche la tête, son regard dans le sien. - J'ai encore quelques lacunes. Sévan soupçonne la danseuse d'avoir deviner sa supercherie, mais vu qu'elle fait comme si de rien, elle fera de même et poursuivra ce petit jeu. Elle lui en est reconnaissante, elle n'a pas envie de se justifier, ni de s'expliquer, Elle n'est venue que pour danser.

- Mais tu peux faire comme si j'étais pas là, moi j'ferai juste comme toi. L'heure est matinale, les lieux vides, Eve ne cherchait pas à la compagnie des siens, juste la solitude et la paix qu'apporte l'aube. Sévan le comprend, elle fait souvent de même et n'aimerait pas forcément les voir se troubler d'un invité imprévu. C'est déjà beaucoup que de voir s'entrainer dans cette pièce, avec elle. De quoi tromper la réalité, s'en évader en devenant pour quelques heures, une élève parmi les autres. Un normalité qui lui est bizarrerie.