lullaby of woe / Sévan Moran

01/ Elle serre le poing, le regard froid mais les iris enflammés. Elle n'hésite même pas avant de le frapper. Qu'il soit plus grand, plus fort et même accompagné d'amis ne compte pas. La seule chose qu'elle mesure, c'est le poids de ses mots. Sévan se moque en générale de l'avis de ses camarades, habituée à faire tâche dans ce collège huppé, mais puisqu'ils sont incapable par eux même, de s'imposer des limites, elle va se charger de leur montrer ce qu'il en coûte de franchir les siennes. On ne traite pas sa mère de Pute. Elle peut être la pauvre, la misérable, la bâtarde, la salope ou l'anormal, tout ce qu'ils souhaitent puisqu'elle s'en branle, mais personne n'insulte sa mère. Après le poing, le genou, relevé directement dans l'estomac, le coude pour finir, qui s'abat dans le dos alors dévoilé et elle se recule. Et ouais, grandir et vivre dans les quartiers les plus malfamées, c'est plus instructeur que les bancs de l'école. Elle y est douée pourtant, surdouée, bien pour ça qu'elle est boursière dans un établissement qu'elle n'aurait pu fréquenter autrement.  De ça aussi, elle s'en fou, mais elle s'y tient pour sa mère, tellement fière. Elle veut autre chose pour sa fille que cette vie qu'elle a eut. A défaut d'avoir puis lui offrir une véritable famille, elle veut se faire pardonner d'un avenir. Elle s'échine jour après jour, à tous ses boulots qui paient difficilement le loyer, les dettes et les courses. Sans relâche et il est vrai, parfois en bravant la Morale. Sévan le sait, quand bien même elle s'évertue à lui cacher, mais ce n'est pas une raison pour que ces petits cons se permettent de juger.
02/ Renvoyée pour deux semaines, sévèrement réprimandée pour un ''comportement sauvage et bestial qui n'a pas sa place au sein d''un collège respectable". Elle n'y est jamais retournée. Sa mère était déjà  malade, plus capable de bosser, plus capable de se lever. Un cancer qu'elle n'avait pas les moyens de soigner, qui prenait ses forces et ses maigres économies. Sévan lui ment, elle part chaque matin mais ce n'est plus pour étudier. Elle enchaine à son tour les petits boulots, à son âge et dans son quartier, c'est au black et mal payée. Elle compte chaque billet, ne les dépense que pour l'essentiel, en médicament principalement. Elle endosse le rôle de l'adulte, sans avoir jamais vraiment profité des joies de l'insouciance et de l'enfance. Elle gère le foyer et les factures, s'occupe de sa mère comme d'une enfant, la nourrit, la lave et la soigne. Elle comprend l'inévitable, s'essaie à cette idée sans en être dévastée. C'était injuste. Et ça la révoltait.. Elle la voit, jour après jour, dépérir. Sa mère a beau lui dire que ça ira, que tout se passera bien, l'adolescente sait qu'elle ment.
03/Elle est morte en pleine hiver. Renvoyée de l’hôpital parce qu'il n'y avait plus rien à faire, rien dans leurs moyens en tout cas. Sévan s'était endormie en la veillant, dans ce fauteuil où, petite, sa mère la prenait sur ses genoux pour lui lire une histoire ou la bercer. Quand elle s'était réveillée, elle ne saurait dire comment, mais elle savait. Elle pleurait déjà, sans qu'elle ne puisse même penser, les yeux rivés sur son visage pâle et creusé. Elle a craqué, pour ces fois où elle ne l'a pas fait, pour celles où elle ne le fera pas. Elle s'est allongée à ses côtés, caressant doucement ses cheveux et a versée toutes les larmes qu'elle avait. Le vide, une fois la source tarit. Ou plutôt une chute. Dans un gouffre sans fin et sans fond. Plus rien a quoi se raccrocher. Elle s'est alors levée, couvrant du drap le corps de sa mère. Sur le lit, elle avait rassemblée les quelques affaires auxquelles sa mère tenait vraiment. Un bijou qu'elle tenait de sa grand-mère, une vielle fleurs séchés, un dessin que Sévan avait fait petite et une vielle photo usée par le temps. L'adolescente la regarde un instant, posant ses doigts sur le visage de sa mère, jamais elle ne l'avait vu sourire comme ça. Elle n'a pas une attention pour l'homme qui se trouve à ses côtés et pourtant c'est lui qu'elle avait toujours observé sur le cliché... Aujourd'hui, même si c'est la dernière fois qu'elle le voit, elle lui en veut injustement de ne pas être là, ici et maintenant.
03 bis/ Cette nuit là, Sevan n'avait pas emportée grand chose. Un sac remplit du nécessaire, un kit de survie sur mesure en quelques sorte. Elle y avait rajoutée sa boite contenant les montres volées qu'elle se plaisait à collectionner, la plus importante toujours à son poignet depuis qu'elle avait enfin pu la porter sans qu'elle ne glisse. Rien d'autre. Elle ne pouvait pas rester dans le taudis qui l'avait vu grandir. La maison était petite, branlante et délabrée mais ça avait toujours été la leurs et elles y avaient été heureuses malgré tout. Envers et contre tout. Elle serait envoyée dans un foyer si elle ne partait pas, puis baladé de famille en famille. Des enfants confiés à l'état, elle en avait connu, de quoi lui assurer de ne jamais se laisser à sa charge. Quand à sa mère... Elle serait enterrée dans une fausse commune. C'était insupportable. Une idée qu'elle ne pouvait accepter. Sa mère méritait mieux. Elle s'était battue toute sa vie, elle avait tant donnée, elle l'avait tant aimée,.. Elle y avait réfléchit puis finalement choisit. Elle avait répandu de l'alcool à brûler dans chaque pièce et avant de quitter définitivement les lieux, elle avait craquée une allumette pour la jeter au sol. Les flammes plutôt que les vers.
04/ La vie a continuée, Sévan aussi. Elle a avancée au jour le jour, déjà bien érudite à ces ruelles sombres et aux coupes gorges. Elle y a toujours été à son aise, faisant partit du décors comme les chats errants. Elle a finit par en faire son repère, acrobate des rues, enchainant les squats et les cabrioles, les jobs et les voles. Épousant la discrétion et quelques ruses. Elle déleste les touristes perdus de leurs affaires, fait quelques courses et livraisons, elle se débrouille et survit. Elle évite de penser à sa mère, consciente que cette dernière aurait voulu mieux pour elle. Des études et une carrière. Elle évite de penser à son père aussi, le grand Absent de l'histoire. La tristesse passée, elle a cessée de lui en vouloir, elle connait l'histoire. Plus objective que sa mère, elle ne le déteste pas. Elle s'occupe l'esprit d'autre chose, sans cesse en mouvement. Elle épie les passants, observe les gens, détaille et scrute leur quotidien, curieuse des secrets, s'accrochant à l'anodin. Elle aime cette vie décousue. Elle n'a rien et rien ne la possède. Elle est libre en marge de la société. C'est pas facile mais tout à toujours un prix. Au moins, celui là, elle peut le payer.
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