GRL PWR / meg, lola, nikki.

Elle a l’appartement, ce soir. Entièrement vide, jusqu’au lendemain matin. Son père est parti quelques jours dans le New Jersey, et son oncle a gentiment accepté de se tenir occupé. Elle lui a fait son plus beau sourire, à Devan. C’est juste pour une soirée entre copines, tonton. Et ça serait pas pareil avec toi dans un coin, hein ? Elle est fébrile, Zekia. Fébrile d’avoir l’appartement, fébrile de voir les filles ce soir. De pouvoir juste profiter un peu de l’été qui s’installe, avec des cocktails et un peu de musique. Trop longtemps qu’elles se sont rassemblées - et c’est l’occasion rêvée. Elle a le pas léger, alors qu’elle se mets à couper les limes pour les margaritas qu’elle prévoit préparer. La musique qui remplit déjà l’appartement, et les hanches de Zekia qui se promènent au rythme de la mélodie. Ses lèvres qui marmonnent les paroles, guettant attentivement le son des coups à la porte. Elles devraient arriver d’un instant à l’autre - et avec un peu de chance, elles viendraient toutes. Elle savait bien, Zekia, que tout n’allait pas bien. Que la vie avait été compliquée, ces derniers temps, pour celles qu’elle considérait comme ses soeurs. Que le sort s’était acharné, et que les âmes s’en étaient retrouvées éraillées. Elle se faisait du souci, Zekia, et elle espérait qu’elles viendraient - pour se retrouver, pour se rappeler. On est une famille, les filles. Un coup d’oeil à son téléphone, espérant avoir au moins une confirmation. Anxieuse de ne pas voir Meg ou Lola passer le seuil de la porte - et que cette soirée leur montre que le monde était en train de s’écrouler.

Mais non, Zekia.
Elles seront là.
Elles seront là.
N’est-ce pas ?

Elle relâche le couteau quand elle entend des coups à la porte. C’est ouvert - mais elle sait que ce n’est pas tout le monde qui va juste ouvrir la porte et débarquer dans la cuisine. Alors elle se précipite vers la porte, Zekia, le sourire aux lèvres. Léchant ses doigts de la lime qui avait un peu coulé, elle tourne la poignée. Son coeur manque un battement, en voyant Meg sur le palier. Elle est là. Elle est venue. « Heyyyyyyyyyyy. » Qu’elle lance à la nouvelle arrivée, ouvrant grand la porte pour la laisser entrer. « Ça fait trop plaisir de te voir. J'suis tellement contente que tu sois venue. » Baiser claqué sur la joue, Zekia qui fait un geste en direction de l’appartement. « Laisse tes affaires où tu veux. T’es la première arrivée, alors t’auras le premier cocktail. » Rire qui se répand dans la pièce, alors qu’elle retourne à ses limes - se sentant déjà un peu plus légère, en sachant qu’elle ne serait pas seule.

T'as promis que tu viendrais, et c'est pas une promesse dure à tenir quand on sait que c'est toi qui fais chier tout le monde dans le group chat depuis plusieurs semaines pour que vous puissiez réunir les troupes comme il faut. C'est pas l'envie qui manque pourtant, tu le sais, mais la vérité, celle qui est dure à avaler et qui te fait faire la grimace comme si t'avais avalé trois citrons, c'est que vous avez pas forcément le temps. Pas forcément de talents d'organisation, ni le courage de le prévoir, de vous y tenir, au milieu de cette danse effreinée que vous menez chacune au centre de vos vies. Pourtant ça fait toujours du bien, une fois que c'est fait. Il suffit pas de grand chose, une petite soirée, tes copines, c'est toujours assez pour te regonfler à bloc en vue de la semaine qui suit.
C'est pour ça que t'as insisté. Que t'as spammé les filles à n'en plus finir, pour être sûre que quelque chose puisse s'organiser. Que l'idée est restée, a trotté dans la tête de Zekia, qui s'est fait un plaisir de vous inviter quand elle a pu avoir l'appart pour une soirée. Victoire.
Sauf qu'en ce moment, tu carbures un peu trop, tant et si bien que t'as pas réalisé que la soirée entre copines se passait le même jour que le vernissage stupide auquel t'étais sensée passer vers dix-huit heures. T'obtempères, tu traînerais presque des pieds, mais t'y vas quand même, à cette foutue soirée. Et franchement on s'y fait chier. C'est rempli de pseudos élitistes au col roulé qui prétendent voir un message caché derrière un portrait en noir et blanc d'une femme quelconque aux épaules dénudées, une photographie qui veut se faire originale mais que t'as l'impression de voir dans toutes les expos où tu vas. Faut dire que l'art et toi ça fait pas bon ménage, toi tu te contentes de polir ton instagram.  
Mais t'y restes un peu, à cette soirée, parce que t'as pas vraiment le choix, parce que c'est celle de la photographe qui s'est occupée de ton dernier shooting et qu'elle t'a promis de te présenter à un bon ami à elle qui gère une agence de mannequinat. Alors t'encaisses le temps d'une soirée, tu fixes les photos monochromes agrandies d'un regard que t'espères pas trop blanc, tu bois du champagne et tu réponds d'un rire cristallin aux commentaires sur l'oeuvre de l'artiste - dont tu comprends franchement pas plus de la moitié de l'humour qui s'y est caché.
Une fois que t'as ce que tu veux, tu te fais pas désirer et tu sautes dans le métro après avoir salué les bonnes personnes, leur assurant que ton uber t'attend au coin de la rue. Avant de partir, tu troques ton beau blazer noir contre une grosse veste en jean un peu délavée qui recouvre les 3/4 de ta robe, et des baskets, qui t'attendaient dans le vestiaire.
T'as le temps -ou plutôt, à ce stade, quelques minutes de plus vont pas te tuer- de passer chez l'épicier pour acheter une bouteille supplémentaire, cadeau d'excuse pour ton retard. Quelques minutes plus tard tu débarques chez Zekia, ouvrant la porte à la volée.
- J'suis lààààààààà, fais-tu savoir aux filles, t'empressant de jeter un oeil autour de la pièce pour voir qui est arrivée vivante jusqu'à l'appart de votre hôte.
Des cocktails, une soirée, de la musique et elles. Une bouffée d'air frais bien méritée.

C’est Meg. Meg est là, et le coeur de Zekia s’emballe. De savoir qu’elle sera là ce soir, qu’elle ne l’attendra pas en surveillant la porte. Le visage de son amie, rassurant, familier, qui lui fait déjà du bien. Elle sait bien que ce n’est pas facile pour Meg - pas facile pour personne. La vie qui vient toujours s’en mêler, et Zekia qui essaie de se raccrocher à sa communauté. Sa famille, ce n’est pas que son père, pas que ses demi-soeurs. C’est Meg, c’est Lola, c’est Nikki, c’est Memphis. C’est Moïse et Kenn et tous les autres. Attachée à eux à la hanche, elle sait qu’elle ne serait nulle part sans eux - alors elle se raccroche, Zekia. Peut-être un peu trop fort, parfois. Pas bien douée pour être seule, pour cheminer sans personne à ses côtés. Mais elle en avait besoin - et elle savait, au fond, que tout le monde était pareil. Personne n’aime vraiment être seul. Meg y compris - ça se voit dans son regard. Zekia qui la connaît si bien, depuis les années. « Hey ! Je suis contente de te voir aussi. » Le sourire qui est un peu courbé des fantômes dans ses yeux, de la douleur dans sa poitrine, mais sincère face à elle. « Va pour le cocktail ! Les filles t’ont dit si elles venaient, elles aussi ? » Elle sourit un peu, Zekia, en s’affairant à mettre la touche finale à la margarita. Hausse un peu les épaules. « Nikki m’a dit qu’elle serait là. Lola aussi. Memphis travaille, j’pense. » Tend le verre à Meg avec un sourire, l’observant au passage - belle Meg, toujours aussi belle. « Est-ce que t’as - » Coupée dans son élan, alors que la porte s’ouvre sur Lola qui entre en tornade. Rien de bien surprenant ou d’inhabituel. Zekia ne cille qu’à peine, simplement heureuse de la voir là. « Je ne suis pas du tout en retard ! Non, noooon. » Zekia rigole un peu, en secouant la tête. « Toi, en retard ? C’est jamais arrivé ça, hein ? Pour la peine, viens donc m’aider avec les citrons. » La malice dans les yeux, elle la taquine bien sûr. « C’est la folie en ce moment, je suis désolée. Le genre de folies qui rend obligatoire la participation de tequila à notre petite soirée. » Un autre rire qui éclate de la gorge de Zekia, alors qu’elle lui jette un regard amusé. « Quand est-ce que la tequila n’est pas obligatoire ? » Bisous échangés, et le coeur de Zekia qui se remplit peu à peu.

On est bien, là. Vous trouvez pas ?

« J’vous ai coupé ? Vous parliez de quoi ? » Un petit soupir, alors qu’elle dépose une margarita toute prête à côté de Lola. « Rien, encore. Mais j’dois vous raconter, j’ai rencontré un gars hier soir - » Encore coupée par la porte qui s’ouvre à nouveau à la volée, cette fois pour laisser passer Nikki. « J’suis làààààààà. » Zekia qui lui fait signe d’approcher. « Bah alors t’étais où toi ? J’ai vu ton insta, j’ai pas compris. C’est quoi cette robe ? Elle est trop belle putain. » Que Zekia lance en regardant Nikki de haut en bas, avec la mâchoire légèrement décrochée. « J’ai des amies trop sexy. J’en r’viens pas. Vous me déprimez. » Le rire au bord des lèvres, alors qu’elle continue de préparer les cocktails. « Mais pas aussi sexy que le gars d’hier soir. J’le revois demain, il m’emmène au ciné. » Petit sourire victorieux, alors qu’elle agite doucement les hanches. C’est personne, pas vraiment. Mais ça fait du bien de s’amuser un peu. « Salem m’a dit qu’c’était un con, mais j’écoute plus Salem. » Le soupir qu’elle lance, sans savoir l’effet que ça pourrait avoir de mentionner le type qu’elle côtoie depuis des années. « Megamour, tu nous mets d’la musique ? » Qu’elle lui demande avec un sourire. J’te vois, Meg. Et tant que tu es là, j’te lâcherai pas.