All that we need is a rude awakening to know we're good enough - Warston

♛ Donne-moi le temps.

C’est la première fois qu’elle l’admet. C’est la première fois qu’elle avoue combien elle a besoin de ces médicaments. Et ce n’est pas à cause de la douleur, pas la douleur physique en tout cas. Non, si elle en a tant besoin, c’est seulement pour soigner les blessures de son âme. Les médicaments ne la feront pas guérir, elle le sait. Ils gèrent les symptômes de son mal-être, pas leur cause. Mais que peut-elle faire d’autre, Isabella ? Ce n’est pas comme si elle se terrait dans son lit tous les jours. Elle affronte sa vie chaque matin avec la détermination qui lui est propre. Seulement elle a besoin de ces médicaments pour parvenir à supporter la partie la plus sombre d’elle. Elle en a besoin, littéralement, elle l’avoue enfin. À elle-même, d’abord, mais aussi à l’homme qu’elle aime. Lui qui se contente de la contempler, avec la plus grande attention, il l’écoute parler sans l’interrompre. Il ne l’approche pas, il ne tente pas même un geste envers elle alors que d’ordinaire, il l’aurait certainement déjà prise dans ses bras. Il la laisse se confronter à sa souffrance. Et c’est difficile, bon sang, c’est tellement difficile. Elle a la gorge serrée, le ventre noué. Et tout ce poids si lourd sur ses trop frêles épaules qui en ont déjà trop porté. Il finit par poser la main contre son bras, la poussant à soutenir son regard malgré toute la difficulté que cela représente à ce moment. Elle inspire profondément, comme pour se contenir, comme pour garder toutes ces émotions en elle. Garder le contrôle, absolument, même au moment exact où elle admet le perdre. Il lui affirme qu’elle n’est pas seule. Qu’il est là, lui, qu’ils sont tous là. Ou presque. Mais être entourée ne l’a jamais empêchée d’avoir mal, Isa. Cela la contraint juste à le cacher avec d’autant plus de vigueur. Parce qu’elle ne veut pas inquiéter ceux qui l’aiment, elle ne veut pas devenir un poids. Elle ne veut surtout pas être une source d’inquiétude, elle qui ne l’a jamais été. Pourtant, le jeune homme ne semble pas prêt à abandonner. Il lui demande même de le laisser, lui, lutter pour elle. Se battre pour elle. – Mais tu ne peux pas… Il ne s’agit pas de quelque chose de tangible, quelque chose où il peut simplement prendre sa place. Il ne s’agit pas de réparer quelque chose, ou peut-être, juste, la réparer elle-même. – En parler ne va pas effacer ce que je ressens à l’intérieur, c’est… C’est plus fort que moi. Et c’est en train de la terrasser, Isa. Elle sent les larmes lui monter aux yeux, bien malgré elle, alors qu’elle fait encore tout pour les garder en elle. – Tout ce que tu dis, je le sais. Je sais que le cauchemar avec Luke est terminé, je sais que je retrouverai un travail… Un équilibre. Et il est hors de question que Toby reste en prison. Même au plus bas, elle garde sa détermination à ces mots-là. – Mais j’ai beau m’en convaincre, je te jure que j’essaie, je n’arrive pas à dépasser ce que j’éprouve. Car ses sentiments ont dépassé sa logique comme son sens du pragmatisme. Son cœur a dépassé sa raison.

♛ Donne-moi le temps.

C’est tout nouveau pour Isabella. Se livrer comme elle est en train de le faire, elle ne l’a jamais fait avec personne. Personne d’autre que Nikolaï. Même les personnes qui lui sont le plus proches, elles ne connaissent pas cette partie d’elle. Lui non plus, il ne l’a pas connue pendant longtemps même s’il avait peut-être décelé un peu de l’ombre qui se cache derrière la lumière. C’est le jour où elle lui a parlé de son père que tout a changé. Et, ce soir encore, elle dépasse ses limites pour lui. Elle se bat contre elle-même, pour lui, pour eux. Même si, en vérité, celle qui en a le plus besoin… C’est elle. Mais c’est tellement difficile de se mettre à nu. Dévoiler ses faiblesses, ses failles alors qu’elle veut toujours paraître si forte. Toute sa vie, elle a voulu être forte. Elle a dû l’être, en vérité, elle n’a pas eu le choix. Se taire pour garder sa fratrie unie, se taire pour sauver sa famille. Se taire pour les protéger. C’est devenu un automatisme, un réflexe purement instinctif qui s’est étendu au reste de l’humanité. Elle est tout aussi réservée avec sa famille qu’avec ses amis, avec n’importe qui. Comme si elle mettait un mur entre elle et le reste du monde. Mais Nikolaï, il arrive à dépasser cette frontière. Elle ne sait pas comment il fait mais, à lui, elle est incapable de mentir. Elle a réussi, malgré tout, à mettre sous silence toute cette souffrance qu’elle éprouve pendant des semaines… Mais c’est pour mieux craquer ce soir sous ses yeux impuissants. Et elle se déteste de lui infliger cela, elle se déteste de se montrer aussi faible. D’autant plus qu’au fond, elle sait bien qu’il ne peut rien faire de plus que ce qu’il fait depuis neuf mois. Être là. Alors qu’il voudrait faire plus. Elle le sait, elle le voit dans son regard océan, transparent d’inquiétude, presque de douleur, pour elle. C’est justement pour éviter ce regard qu’elle n’a rien dit durant tout ce temps. Quand il lui demande ce qu’il peut faire pour l’aider, la jeune femme baisse les yeux, sans répondre. Elle n’a pas la réponse. – Je sais que tu détestes, c’est pour cette raison que je voulais éviter que tu le vois. lui avoue-t-elle, le regard toujours détourné. Elle se retient encore de craquer. Mais, quand il vient subitement la prendre dans ses bras, quelque chose se casse en elle. Le mur s’effritait aux paroles de Nikolaï, il vient de se briser en mille morceaux. Elle commence à pleurer, sans même s’en rendre compte, elle pleure sans s’arrêter. Sans un bruit, juste pour évacuer enfin. – Être là… C’est tout… Ne me laisse jamais. murmure-t-elle dans une supplique en le serrant fort, très fort contre elle. Et elle ne pensait pas se montrer si vulnérable face à quelqu’un un jour, si… Dépendante de quelqu’un. Mais elle le savait, Isa. Elle le sait depuis le jour où elle a été contrainte de le quitter. – J’ai commencé à prendre ces cachets après… Après la nuit où Luke m’a forcée à te quitter. lui confie-t-elle, la voix tremblante. – Tu dis que je n’ai pas besoin de toi… Mais tu ne sais pas à quel point c’est faux. Je… Je me raccroche tellement à toi, Nikolaï. Tellement qu’elle ne sait pas ce dont elle serait capable, si elle le perdait. Elle se raccroche à lui plus qu’à la vie elle-même, Isa.

♛ Donne-moi le temps.

Peut-être qu’elle devrait penser à elle, une seule fois, peut-être qu’elle devrait se demander ce dont elle a besoin plutôt que vouloir à tout prix protéger ses proches. Peut-être qu’elle devrait le faire, ne serait-ce que, avec lui. Mais elle en est incapable, Isabella. Ce n’est pas seulement une question de fierté ou bien de peur de paraître faible, c’est bien plus profond. C’est naturel, instinctif. Elle a été conditionnée trop jeune à tout garder pour elle, ce n’est pas quelque chose qui peut changer en quelques mois. Et, au fond d’elle, la jeune femme ne sait même pas si en parler lui ferait réellement du bien. Un petit peu, sans doute, mais pas autant que cela inquiéterait Nikolaï. Mais, lui, c’est à elle qu’il pense alors qu’il lui assure qu’elle va finir par devenir dingue à force de tout garder pour elle. – J’ai gardé pour moi des choses bien pires. Je peux l’encaisser. lui rappelle-t-elle d’une petite voix. Elle est capable d’en supporter beaucoup, Isa, peut-être trop pour que ce ne soit pas dangereux. Car elle ne sait pas elle-même où sont ses limites, elle ne sait pas qu’elle pourrait brusquement craquer du jour au lendemain. Se laisser tomber, subitement, sans plus pouvoir se relever. Il suffit de voir avec quelle facilité elle fond en larmes dès lors que l’homme qu’elle aime la prend dans ses bras. C’est la première fois qu’ils se touchent depuis leur dispute, la première fois depuis vingt-quatre heures seulement. Mais elle a l’impression que cela fait une éternité tant il lui a manqué. Tant elle a besoin de lui. Elle se raccroche à lui, beaucoup, beaucoup trop pour que ce soit sain. Et, quelque part au fond d’elle, Isabella en a vaguement conscience. Elle n’a jamais été aussi attachée à quelqu’un, elle n’a jamais eu autant besoin de quelqu’un. Elle ne sait pas si c’est cela, l’amour, le vrai. Elle a déjà aimé, plus d’une fois, mais jamais de cette manière. Elle n’a jamais laissé les autres entrer aussi profondément dans son cœur. Mais lui, il l’a fait sans qu’elle ne sache comment. Blottie dans ses bras, elle se serre contre son corps, elle se tient à lui comme si sa vie en dépendait. Et c’est sans doute un peu le cas. Le visage rempli de larmes, elle reste relativement calme alors qu’elle se laisse aller. Elle ne contrôle plus rien du tout, elle n’y pense même pas, elle est comme déconnectée de la réalité. Il n’y a qu’elle et lui. Lui qui lui promet qu’il sera là, toujours, lui qui lui promet de ne jamais l’abandonner, lui qui lui promet qu’elle peut s’accrocher à lui autant qu’elle en aura besoin. C’est ce qu’elle fait, sans un bruit, elle reste blottie contre lui de longues minutes sans plus prononcer un seul mot. Les douces caresses de Nikolaï viennent l’apaiser alors que, peu à peu, ses larmes s’estompent. – Merci… murmure-t-elle enfin au bout d’un long moment, reprenant conscience peu à peu. Elle se recule tout doucement, glissant déjà ses mains contre son visage pour essuyer ses larmes. – Est-ce que je peux rester avec toi cette nuit ? lui demande-t-elle finalement, la voix encore faible après avoir autant pleuré. Elle se sent fatiguée, comme, vidée.