All that we need is a rude awakening to know we're good enough - Warston

♛ Donne-moi le temps.

Assise sur le canapé de son petit-ami, depuis vingt bonnes minutes déjà, elle l’attend avec cette pointe d’appréhension en elle. Perdue dans ses pensées, elle tente de réfléchir à ce qu’elle doit lui dire. Et, surtout, à ce qu’elle veut lui dire. La veille, tout s’est enchaîné tellement vite entre eux qu’elle n’a pas eu le temps de réaliser l’ampleur de leurs mots. Leur dispute n’a pas été bien longue, pourtant elle a été vraiment violente. Elle a dit des choses, des choses pour lesquelles elle s’en veut. Mais elle ne peut pas oublier non plus ce qu’elle a entendu. Elle ne s’attendait pas une seconde à entendre Nikolaï lui affirmer qu’elle est devenue dépendante de ses cachets. Elle n’arrive pas à oublier ses paroles. Elle a essayé, pourtant, de se dire qu’il avait seulement du mal à comprendre qu’elle en avait simplement besoin. Quand elle est sortie, elle a voulu lui donner tort. Sans rien lui prouver, à lui, elle voulait se prouver à elle-même qu’elle n’est pas dépendante de ces médicaments. Et elle a tenu bon, quelques heures. Des heures difficiles, à ruminer toute leur engueulade, à déprimer, à s’en vouloir et à lui en vouloir, lui. Pour finir par craquer, au beau milieu de la nuit. Ce n’est qu’après avoir avalé deux cachets qu’elle a pu s’endormir. Un répit de quelques heures qui lui a fait du bien. Mais toute la journée qui a suivi n’a guère été agréable. Elle n’a cessé de penser à lui, à eux, pour se dire finalement qu’ils ne peuvent pas rester dans une telle situation. Rester des jours loin de lui ne l’aidera pas, au contraire, cela ne fera que la rendre plus mal. C’est pour cette raison qu’elle a décidé de venir le voir ce soir, sans le prévenir, sans rien prévoir non plus. Elle a juste eu la chance d’arriver avant qu’Arya s’en aille pour l’attendre sur ce canapé. Les minutes passent sans qu’il ne semble décidé à rentrer. Mais, enfin, elle entend le bruit de la porte d’entrée. La Latina se lève tout de suite, prête à se retrouver face à lui. Seulement, il n’arrive pas, il se dirige immédiatement vers la cuisine sans remarquer sa présence. Elle avance de quelques pas, prête à le rejoindre, quand elle se retrouve nez à nez avec lui. – Bonsoir. le salue-t-elle, le ton neutre, pourtant plus mal à l’aise qu’elle ne veut bien le montrer. C’est difficile de revenir alors que, la veille, c’est elle qui est partie. D’abord surpris, il ne tarde pas à la saluer à son tour, une bière à la main. Elle sent cette froideur, cette distance entre eux, si loin d’être habituelle. – C’est Arya qui m’a laissée entrer. précise-t-elle, comme si elle avait besoin de le faire. Mais elle n’est pas du genre à s’immiscer chez les autres, même pas chez lui. Encore moins alors qu’ils sont en froid. Prenant une petite inspiration, la belle finit par reprendre la parole. – Je me suis dit que nous ne pouvions pas rester dans cette situation et laisser les choses empirer. lui avoue-t-elle alors que ses yeux accrochent les siens pour la première fois. C’est maladroit, sans doute, car elle ne sait pas plus que lui comment agir. Mais elle essaie de faire le premier pas, Isa.

♛ Donne-moi le temps.

Il a l’air vraiment surpris de la voir chez lui, Nikolaï. Comme s’il ne s’y attendait pas une seconde, comme s’il ne l’avait même pas envisagé. C’est pourtant évident aux yeux de la jeune femme. Elle n’est pas du genre à laisser les choses dans le flou. Elle préfère quand tout est clair. C’est encore plus vrai au niveau de ses relations. Mais peut-être qu’il avait besoin de plus de temps qu’elle. Peut-être qu’il pensait qu’elle ne reviendrait pas aussi vite. Elle n’a pas de fierté mal placée, Isa. Quand elle est en tort, elle n’a pas peur de l’admettre. Et si, au sujet de cette dispute, elle n’a pas l’impression d’être la seule à blâmer, elle a cependant conscience qu’elle n’a pas eu les meilleures des réactions la veille. Elle s’est mise en colère, elle a même haussé la voix alors que cela ne lui ressemble pas. Et, surtout, elle lui a dit des choses qui l’ont sans doute blessé sans qu’elle le veuille. Elle est prête à assumer ses torts, elle espère seulement que la conversation ne se terminera pas à nouveau en dispute. Pour le moment, c’est plutôt le grand froid. Même s’il lui a offert un faible sourire en la voyant face à lui, Nikolaï n’a pas l’air enchanté de la voir. Il a ce ton distant qu’elle ne lui connaît pas, cette indifférence désagréable alors qu’elle garde le ton neutre de son côté, malgré toutes les émotions qui l’ont envahie. – Quelques minutes. lui répond-elle simplement sans entrer dans les détails. Elle ne veut pas qu’il culpabilise ou s’inquiète de l’avoir fait attendre, ce n’est pas important. Il lui paraît plus judicieux de parler de ce qui s’est passé lors de leur dernière discussion. C’est ce qu’elle lui explique, avec plus ou moins de délicatesse, alors qu’il n’arrive pas à soutenir son regard. Lui en veut-il à ce point ? Elle sent son cœur se serrer malgré elle, Isa. Elle n’aime pas le sentir aussi distant, vraiment pas. Elle voudrait faire un pas vers lui, un vrai pas. Seulement elle n’est pas douée pour cela, pas alors qu’il ne fait rien pour l’encourager. Il semble au moins d’accord pour discuter avec elle. Le suivant jusqu’au canapé, la belle s’installe à nouveau face à lui. – Ce serait un bon début. confirme-t-elle à ses paroles, le ton incertain. Car elle n’en sait rien, Isa. C’est lui qui a été marié durant des années, il devrait mieux deviner qu’elle comment arranger la situation, bon sang. Mais elle doit se débrouiller toute seule. Elle se mord la lèvre inférieure d’un geste fébrile, avant de se lancer enfin. – Hier, lorsque j’ai dit que j’avais besoin d’avancer librement, je ne me plaignais pas de toi. J’espère que tu en as conscience.

♛ Donne-moi le temps.

C’est rare qu’elle se retrouve face à un Nikolaï aussi froid. Aussi distant. Mais, à chaque fois que c’est arrivé, c’était après qu’elle l’ait rejeté. Lorsqu’il commençait à vouloir plus qu’une simple liaison et qu’elle a repoussé toute idée d’une histoire d’amour. Lorsqu’elle devait quitter Luke mais a mis un terme à leur liaison à la place. Et, hier encore, alors qu’il s’inquiétait pour elle, mais qu’elle a refusé son aide. Elle a l’impression de le repousser sans le vouloir, Isa. L’impression de l’aimer plus que sa propre vie mais d’être incapable de lui en donner une parcelle. C’est douloureux, pour elle, sans doute pour lui aussi. Si seulement il savait à quel point elle a besoin de lui. Si seulement elle savait lui dire. Mais, à la place, ils se contentent de ces banalités inutiles, comme pour éloigner au maximum le moment où ils parleront à nouveau des sujets qui fâchent. Mais elle n’est pas venue ici pour fuir la conversation, certainement pas. – Cela n’a pas d’importance. conclue-t-elle d’une voix plus douce, plus rassurante. Elle se fiche bien de l’avoir attendu. L’essentiel est qu’il soit là à présent. Auprès d’elle, prêt à avoir une véritable conversation à cœur ouvert. Il n’a pas l’air d’être prêt à faire le premier pas. Il doit penser que, si elle est venue, c’est qu’elle a des choses à lui dire. Alors c’est elle qui trouve ce courage de parler enfin. Les yeux plongés dans les siens, elle se sent un peu mieux, rien qu’en réalisant qu’ils sont à nouveau capables de s’écouter. La veille, ils ne le faisaient pas. – Et ce n’est pas ce que tu fais, Nikolaï, vraiment pas. Je ne me suis jamais sentie brimée par toi. Il respecte sa liberté, son indépendance. Il a même accepté d’attendre qu’elle se sente prête à vivre avec lui. Non, vraiment, elle ne pensait pas du tout quand elle parlait de ce qui l’empêchait de vivre pleinement sa vie. Elle parlait de ses pensées trop sombres, ses idées trop tortueuses. Elle parlait d’elle-même. Mais il éprouve le besoin de la rassurer. Il lui assure qu’il ne veut pas contrôler sa vie. Et, bon sang, elle le sait. Elle a quitté un homme qui agissait précisément de cette façon, elle sait reconnaître à quel point Nikolaï est différent. Elle sent son cœur se serrer quand il affirme vouloir simplement faire partie de sa vie. C’est le cas… Ne se rend-il pas compte combien c’est le cas ? – Je suis désolée d’avoir dit que tu voulais uniquement que j’ai besoin de toi. C’était cruel. confie-t-elle, son regard toujours ancré dans le sien. Elle ne sait pas si c’est vrai, elle ne sait pas si cela vient de lui ou d’elle. Mais peut-être qu’il a besoin de quelque chose qu’elle est incapable de lui accorder. Peut-être qu’il ne se sent pas suffisamment en sécurité avec elle. Mais, reprenant la parole, il entame un tout autre sujet. Un qu’elle n’est sans doute pas prête à évoquer, pas comme il le voudrait. Les médicaments. – Je t’écoute. lui répond-elle uniquement. Car elle ne sait pas ce qu’elle peut ajouter, Isa. C’est lui qui veut à nouveau en parler, c’est bien qu’il a quelque chose à dire.

♛ Donne-moi le temps.

Elle a conscience d’être parfois maladroite sans le vouloir. Elle est directe, parfois brut. C’est le comble pour quelqu’un qui est spécialisé dans la communication. Mais elle sait mieux parler quand ses sentiments ne sont pas le sujet, elle sait mieux s’exprimer quand ses émotions n’ont pas d’emprise sur elle. Et, la veille, ce n’était pas le cas. Elle était bouleversée, énervée, remuée par les propos de Nick. Mais elle ne voulait pas l’accabler. Elle ne voulait pas lui reprocher la place qu’il prend dans sa vie, surtout pas. Elle a tellement espéré, tellement attendu qu’il en fasse partie. Ce n’est certainement pas pour se plaindre ensuite de sa présence auprès d’elle. C’est ce qu’elle essaie de lui dire, plus calmement, plus sincèrement. Et il a l’air de la croire, Nikolaï. Il la croit, mais il ne la comprend pas. Il finit même par lui demander ce qu’est le problème si ce n’est pas lui. Il veut savoir ce qui l’empêche de vivre sa vie librement. Mais n’est-ce pas évident ? Elle le contemple, plusieurs secondes durant, sans oser le dire à voix haute. Et puis, face à son regard, elle craque finalement, comme elle craque à chaque fois. – C’est moi. C’est seulement moi-même. avoue-t-elle en baissant les yeux, chamboulée par un tel aveu à voix haute. C’est pourtant vrai, c’est même évident. Peut-être qu’il ne saisira pas, peut-être qu’il pensera qu’elle se torture elle-même, peut-être qu’il pensera qu’elle est masochiste. Mais ce n’est pas quelque chose qu’elle contrôle, c’est en elle, au plus profond de son âme trop écorchée. Elle souffre, Isa, elle souffre depuis qu’elle est enfant. C’est pire encore depuis tout ce qui s’est passé. Elle a cette noirceur en elle qui ne la quitte jamais totalement, jamais sauf peut-être lorsqu’elle est avec lui. Lui dont elle a besoin, plus que tout. Quoi qu’il en dise, quoi qu’il en pense. Elle ne sait juste pas lui montrer. Et elle le comprend en l’écoutant se confier à lui. Elle n’était pas totalement dans le faux, au bout du compte, il a besoin de sentir qu’on a besoin de lui. C’est légitime étant donné son passif familial, son métier aussi. Mais il ne le ressent pas, pas avec elle. Car elle n’est du genre à appeler personne à la rescousse, Isa. Au risque de lui donner l’impression de pouvoir se passer de lui. Elle déglutit difficilement face à un tel constat. – Mais j’ai besoin de toi, Nikolaï ! Peut-être que je ne sais pas te le montrer mais je t’assure que c’est le cas. Elle se raccroche tellement à lui, elle a cru mourir sans lui. Il est la lumière dans ses ténèbres, Nikolaï. Mais comment pourrait-il la croire alors qu’elle finit toujours par le repousser ? Elle sent déjà son être se crisper quand il évoque à nouveau cette histoire de médicaments. Elle garde le silence, elle encaisse le coup. Elle ne dit plus rien. Elle sait qu’il attend sans doute une réponse, et pourtant, elle se terre dans le silence.

♛ Donne-moi le temps.

Il y a des souffrances dont on ne guérit pas. Peut-être qu’elle a su dépasser les drames qu’elle a subis. Mais ils sont ancrés en elle, ils font partie d’elle. Le décès de sa mère, la maladie de son frère, les abus de son père. Ce sont des choses avec lesquelles elle a appris à avancer. Mais ce sont aussi tant de choses qui l’ont rendue plus sombre, plus tourmentée. C’est une écorchée vive, Isabella. Elle semble garder en permanence le contrôle d’elle-même mais elle est bien plus à fleur de peau qu’elle n’en a l’air. Elle a juste appris à vivre avec ses cicatrices. Mais peut-être que ce sont celles de trop, peut-être qu’elle a déjà eu plus que son dû. Peut-être qu’elle n’arrivera jamais à être heureuse, jamais totalement. Pourtant, quand elle confie son ressenti, la réponse de Nikolaï vient balayer ses craintes. Brusquement, avec sa franchise désarmante, il vient lui assurer que c’est idiot. C’est idiot. – Je te remercie… lâche-t-elle en détournant le regard. Il ne semble pas comprendre ce qu’elle ressent. Et, au fond, c’est tant mieux. Car cela montre que son âme est moins sombre que la sienne. Mais elle ne sait comment lui répondre alors que, pour lui, il s’agit simplement d’une mauvaise passe. – Je ne peux pas contrôler ce que je ressens, Nikolaï. souffle-t-elle, les yeux rivés au sol, comme une enfant coupable. Coupable d’avoir trop mal. Elle aimerait qu’il ait raison, elle aimerait pouvoir se libérer de toute cette noirceur en elle. Seulement c’est impossible. Cela ne signifie pas qu’elle est prête à baisser les bras, ou bien qu’elle ne souhaite pas aller de l’avant. C’est ce qu’elle a toujours fait, aller de l’avant. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle se sent mieux, au plus profond d’elle. Pas sans ces médicaments. Ce n’est que lorsqu’elle réalise à quel point son petit-ami se sent inutile qu’elle retrouve la force d’affronter son regard. Elle essaie de le rassurer, vraiment, mais elle ne sait pas comment s’y prendre. Elle ne sait pas comment lui prouver à quel point elle a besoin de lui. Et lui, il ne la croit pas. Il reste silencieux alors qu’à son tour, il détourne les yeux. – Nick… Mais ce n’est pas ce dont il veut lui parler. Pas maintenant. La seule chose qui l’accapare, là tout de suite, c’est encore cette histoire de cachets. Elle reste plongée obstinément dans le silence, Isa. Parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle est censée dire, parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle est censée penser. C’est lui, subitement, qui se lève pour venir s’asseoir juste à côté d’elle. Ses yeux bleus viennent retrouver les yeux noirs de la Latina alors qu’il commence à parler de tout autre chose. Elle ne comprend pas tout de suite où il veut en venir. Elle connait déjà cette période terrible de sa vie. Il pense peut-être qu’elle a juste peur de laisser quelqu’un l’aider mais… Ce n’est pas cela. Mais elle le laisse parler, Isa. Elle l’écoute, avec attention, parce qu’il se confie à elle sur des choses dont il ne parle vraiment pas souvent. Et, peu à peu, elle comprend. Il a pris des antidépresseurs. Elle se reconnaît en lui quand il explique qu’il continuait d’en prendre, même lorsque tout allait bien. Elle sent sa gorge se nouer mais elle garde toujours le silence. Il explique à quel point il s’est éloigné de ses proches, comme il a repoussé les autres. Il en avait juste besoin. Comme elle. Elle qui sent l’émotion la submerger malgré elle. Elle croise les bras, comme pour se protéger encore, ses barrières étant loin d’être faciles à franchir. Mais il parvient à les dépasser avec ses dernières paroles. Il avait peur ne de jamais aller mieux sans ces cachets. – Mais je n’y arrive pas… laisse-t-elle enfin échapper, la voix fragile, presque cassée. Elle déglutit difficilement alors qu’elle tente de soutenir son regard malgré son émotion. Et, lentement, elle commence à parler enfin. – J’ai l’impression d’être prise dans un étau. Et qu’il se resserre encore et encore. Je ne peux rien y faire, je me sens étouffée par toute cette angoisse, prise au piège… Jusqu’à ce que je prenne un cachet. Prise au piège. C’est exactement ce qu’elle ressent. Et, sans ces médicaments, elle ne sait pas comment s’en libérer. Elle ne sait pas comment se libérer de toutes ces idées noires qui l’envahissent. Elle ne voit pas de solution, elle ne voit rien d’autre que ces ténèbres.