Can you hear my voice this time. (gala)

La fête bat son plein et c’est dans ce genre de moment qu’elle se sent le mieux, Peyton. C’est dans ce genre de moment qu’elle a la sensation de vivre pleinement. Depuis qu’elle a dû revenir vivre à New-York, depuis qu’elle a appris qu’elle était malade, ce genre de moments se font beaucoup plus rares. Et c’est cruel. C’est tellement cruel. Pour elle, celle qui a toujours eu soif de liberté. Celle qui a toujours eu besoin de se sentir vivante. C’est cruel, parce que désormais cela lui est impossible. Tout du moins, si elle écoutait ses médecins, cela lui serait impossible. Insuffisance cardiaque. Foutue insuffisance cardiaque. C’est le diagnostique posé. Diagnostique sans appel. Une maladie dont elle ne se débarrassera jamais, une maladie attachée à elle comme une ancre menaçant de la faire couler. Mais elle résiste, Peyton. Elle résiste. Elle refuse d’accepter de vivre une vie si elle ne peut pas la vivre comme elle l’entend. Elle refuse de se soumettre à son cœur défectueux. Elle veut continuer à être celle qu’elle est, cette fille bravant toutes folies, cette fille qui a dix-neuf ans est partie faire le tour du monde seule. Elle refuse. Pourtant, elle est bien obligée de constater qu’elle se sent faiblir. Les conséquences, lorsqu’on ne prend pas en compte son état de santé. Elle se sent faiblir, mais plus elle faiblit plus elle souhaite se prouver qu’elle peut surmonter cela. Et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle garde encore sa maladie secrète pour le moment. Parce qu’elle veut d’abord montrer à ses proches que, quoi qu’il arrive, elle peut s’en sortir. Elle peut se débrouiller. Elle ne veut pas être traitée comme une malade, elle ne veut pas se sentir malade, elle n’y survivrait pas. Au fond, peut-être qu’elle a peur. Peut-être que le problème vient de là, et du fait qu’elle a déjà connu la mort bien trop de fois en une si courte existence. Peut-être que le problème vient de là, mais elle n’est pas prête à l’accepter. Alors elle profite de sa soirée, elle danse dans ce bar d’ambiance où elle se sent complètement à sa place. Et puis ses amis l’entraînent sur le devant de la scène, un micro juste devant eux. Et ils commencent alors à chanter, elle commence alors à chanter, se laissant happer par la fête. Sans prendre conscience de quoi que ce soit. Sans calculer quoi que ce soit. Maybe this time de Liza Minnelli, elle ne le sait pas, mais c’est peut-être la chanson qui va changer sa vie.

Elle décompresse. Elle profite du peu que la vie veut bien lui offrir. Comme toujours. Elle s’est toujours contentée d’un rien, Peyton. Elle a toujours été le genre de fille qui positive. Celle qui sait voir le bon en chaque chose. Peut-être parce que la vie n’a pas été tendre. Avec elle. Avec sa famille. Peut-être parce que la vie n’a pas été tendre et ce depuis sa naissance. Elle n’était qu’une petite fille, lorsque sa mère est morte. Elle n’était pas bien plus âgée, lorsque son père a disparu, sans ne plus jamais revenir. Et c’est sa grande sœur qui s’est battue pour l’élever, elle et ses frères. Et puis un de ses frères est décédé, lui aussi. Il a toujours été malade, il a toujours souffert, et elle, elle a toujours assisté à cela. Elle n’a jamais eu le droit de se plaindre, pas alors que ses frères et sa sœur avaient beaucoup plus à affronter. Elle n’a jamais pu se résoudre à leur causer plus de problèmes encore. Au lieu de cela, elle a joué le rôle du soleil, du bout en train, celle qui sait relativisée, celle qui sait comment aller de l’avant. Mais au fond, elle a ses failles, elle aussi. Elle a ses faiblesses. Elle a fui New-York, quelques temps après la mort de son frère, parce qu’elle se sentait incapable d’affronter le deuil, une fois de plus. Incapable de voir la douleur sur le visage de ceux qu’elle aime plus que tout au monde. Alors elle a été égoïste, elle est partie. Partie pour se détacher. Partie pour ne pas s’effondrer. Mais la vie, elle l’a rattrapé. Comme un boomerang en pleine figure, comme une massue sur le crâne. Rattrapée sous la forme la plus horrible qui soit. Insuffisance cardiaque. La pire maladie, lorsqu’on la connait. La pire maladie, pour une jeune femme qui ne demande qu’à vivre. Qui n’a toujours demandé que cela. Alors ce soir encore, elle profite de ce qu’elle a. Là. Une soirée. Un verre. Un karaoké. Un moyen pour elle d’oublier. Un moyen pour elle de se lâcher. Et là t’oublie, t’oublie que t’es malade, Peyton. T’oublie qu’à tout moment, ton corps, ton cœur, ils peuvent lâcher. Et puis elle redescend finalement de la scène. Prête à consommer un autre liquide qui ne sera pas bon pour elle. Et ce n’est que lorsqu’elle qu’elle arrive au comptoir, qu’elle entend une voix qui s’adresse à elle. Une femme, une femme qui souhaite lui offrir un verre. Un regard, un sourire qui en dit long. - Oui, avec plaisir. Intriguée, elle l’est. Elle se demande ce que cette belle brune lui veut, en réalité. Pourquoi est-ce qu’elle souhaite lui offrir un verre, à elle. - Un mojito. Son sourire ne s’efface pas alors qu’elle attend que cette jeune femme commande leurs boissons. - Et… C’est en quel honneur ? Pourquoi tu m’offres ce verre ? Qu’est-ce que j’ai, moi, de si extraordinaire ?