no me fucking importa

traits de caractère / un côté opportuniste largement développé depuis ses premières heures dans le milieu de la pub (de l'instant où il occupait un poste de larbin, à celui où il occupait celui de larbin du big boss jusqu'à celui qu'il occupe désormais larbin mieux payé), un sérieux problème d'engagement (auprès de ses proches qu'il fuit de toutes les manières possibles (ses conquêtes, ses parents, ses frères et sœurs, même ses amis qu'il "supporte"), cette façon suspecte de tout rapporter à lui (pas égocentrique, pas individualiste : qu'est-ce que c'est que ces gros mots, putain !) accompagnée d'une faim insatiable pour la vie, ce qu'elle pourrait offrir (la dérive, les surprises, les crises d'angoisse nocturnes, la cocaïne dans les sinus), un humour incontrôlable (évoluant dans le spectre allant du cynisme au potache) peu compris, parfois trop subtile; Travis n'est souvent pas là pour s'faire des amis et certains collègues le qualifient volontiers de "salope" (oui, au féminin) - il ne tait pas son ambition, ni ses revendications (qu'y a-t-il de mal à vouloir vivre la grande vie ?). Tout ce qu'il veut, c'est dévorer le monde et c'est donc sans scrupule qu'il se lance dans ses projets - on le dit prêt à tout, pédant mais Duarte possède une réceptivité si vive que tous ses travers relèvent de la gangue (celle qui dissimule, qui donne l'impression qu'entre les mains ne se trouverait rien d'autre qu'un caillou dans lequel on n'hésiterait pas à foutre un coup de pompe au moindre accro).

Il n’en était pas à son premier coup d’essai (la langue anglaise regorgeait d’expressions du genre, censées mettre en exergue – quoi ? La force de l’expérience ?), c’était d’ailleurs pour cette raison là qu’il savait exactement où se pointer, dans quelle tenue et à quelle heure : lobby du Ritz-Carlton, vêtu d’un  perfecto (qui lui donnait des airs de rockeur de la première heure), à dix-neuf heure pétante.
Rudy Meyer l’avait dit à Bené Bausch qui en avait touché mot à sa secrétaire personnelle (Cynthia ou Cindy ? Elle n’était là que depuis deux mois, il finirait bien par retenir son prénom, si elle survivait à sa période d’essai) : LipstickAngel1 se trouvait là, installée tel le héros d’un film sur la prohibition (casquette visée bien basse sur son crane, de laquelle dépassait une queue de cheval noire) accompagnée d’une assistante, sirotant un cocktail de mauviette tandis qu’une armada d’individus tout droit sortis de Men in Black se composait une attitude sereine.
Bon sang, la youtubeuse malingre était aussi protégée que Donald Trump, Yeonmi Park, Madonna ou n’importe quel fou ayant fait l’objet d’une fatwa lancée par un ayatollah rancuneux.
Et, c’était à Travis qu’incombait la mission de débaucher la vétérane du streaming. Ça n’était pas la première fois qu’il croisait une baleine – de cette classe là – et donc pas la première fois qu’il avait dans la main d'excellentes places en front row au concert de la reine du r'n'b (Duarte espérait bien que la maquilleuse apprécie  le geste et les milles biftons qu’il lui avait coûté ). - Je savais que je te croiserais – lui avait lancé Annalise Mantoc, déception imprégnant ses lèvres peinturlurées de mauve, alors qu’elle repartait bredouille d’un match de catch publicitaire éreintant. Elle l’avait gratifié d’un sourire carnassier, agrémentant sa remarque d’une œillade vers la précieuse boîte renfermant les billets. – Tu n'es vraiment  qu'une petite pute. Il savait qu’elle n’en pensait pas moins et ce depuis toujours,  la petite guéguerre qui se déroulait entre les deux – observant quelques courtes trêves – n’était liée qu’à un savoir dérangeant : ils se ressemblaient trop . - Pour 9.5  millions de dollars, je lui file même un rein – s’entendit-il répliquer, s’éloignant d’un pas assuré. Plastronner avait ses avantages, surtout lorsque tout portait à croire que les chances étaient bien minces. Pour un contrat aussi important, il aurait été capable de chanter du Paris Hilton -oui, il se serait donné, à ce point et il avait déjà fait pire.
Mais, c'était sans grande surprise qu'il avait fait son apparition le lendemain, les iris planqués derrière les verres teintés de ses lunettes de soleil, les lèvres enflées par le réveil d'un herpès encouragé non seulement par le niveau de stress culminant qui lui bousillait le corps mais également par les innombrables abus - alcool, drogue et tous les trucs PG-18 qu'il avait eu le temps de faire la veille (et au petit matin), complètement bredouille. - Monsieur Duarte,  Reese Whiterspoon aimerait discuter de l'éventualité de signer avec nous - fit remarquer sa secrétaire - toujours prompte à formuler des phrases à rallonge (pour un contenu vraiment...très pauvre).  - Merci Cindy - siffla-t-il alors qu'elle calait un mug dans sa paume. -C'est Silver, monsieur Duarte.
Ah. - Vous n'avez pas reçu le mémo ? S'il avait reçu un quelconque mémo, il était évident qu'elle n'aurait pas eu  à lui poser cette question. Il la dévisagea - quelques instants, d'essentielles secondes pour que l'information soit traitée par le cerveau rendu obsolète par des années de pénétration de peroxyde d'hydrogène -, à la suite desquelles elle exposa l'information - -Le meeting a commencé plus tôt - sérieusement ? Où l'avait-il trouvé celle-là ?
Nulle part, Cynthia lui avait été imposée par la direction; plus il la regardait plus le mot népotisme apparaissait en gros caractères sur le visage de la gueuze à la manière d'une barbe qui lui aurait valu une place de choix au sein d'un cirque. Il éprouvait toutefois une affreuse envie de lui expliquer que le monde était bien trop cruel pour un être aussi délicat, il voulut chasser l'idée en portant la tasse de café à ses lèvres - au point où il en était, la réunion pouvait se finir sans lui - Ce café est immonde, Cynthia - cracha-t-il en même temps qu'il grimaçait, déglutissant avec peine la première et dernière gorgée, retournant à l'envoyeur ledit café, pressant la blonde d'aller vaquer à d'autres occupations. Et dire, qu'il lui restait encore trois semaines avant de pouvoir la virer - le temps allait certainement lui paraître long.

Le boulot ne manquait pas, avec toutes les plateformes qui s'étaient développées ces dix dernières années, de nouvelles célébrités avaient vu leurs travaux exposés et commentés, leurs visibilités multipliées par dix. L'appréciation était mesurée en "likes" et les hashtags pullulaient partout; des pages internet aux panneaux publicitaires accrochés dehors. Et, vint le jour où une chanteuse réussit à se distinguer dans la marée d'aficionados. Seulement, mettre la main sur elle se révéla plus compliquée qu'à l'accoutumée. Ce qui ne manqua pas de provoquer une obsession chez Duarte. - Je fais quoi pour la retrouver ? - c'était une question qu'il avait posé, devant un foodtruck, à quatorze heure , en compagnie de son principal acolyte, rencontré à la fac - un "De" quelque chose, qui avait eu le malheur d'avoir un jour toqué à la porte de sa chambre en quête urgente de papier toilette. - Tu passes une annonce, suggéra Dalton  Calthorpe III ("De"-machin par sa mère appartenant à la vieille aristocratie européenne et "III"' par un grand-père magnat du pétrole), sirotant son jus détox en draguant son propre reflet, renvoyé par la vitre impeccable de la berline au volant de laquelle l'attendait son chauffeur.Ou bien, je te présente Nerdblink182, le hacker auquel mon père fait appel lorsqu'il veut déterrer des cadavres. Qu'est-ce qu'ils avaient tous, ces riches, pour se croire dans un mauvais film d'espionnage ? Aux USA, tu avais le malheur de bouger le moindre petit doigt, tu te retrouvais avec toutes les agences gouvernementales au cul : c'était, bien évidemment, sans façon (même si l'idée aurait bien bénéficié de quelques minutes de franche réflexion)  - L'idée de l'annonce n'était pas trop mauvaise - lança-t-il, et c'est ainsi qu'il s'était retrouvé embarqué dans un "phénomène" impliquant la création d'un site dédié, qui l'avait invité sur les plateaux de divers talk show avant qu'il finisse par être "muté" dans une succursale à Brooklyn, quittant midtown, où il était persuadé qu'il finirait recouvert de lierre et de lichen.  Et cette puta qui chaque premier vendredi du mois postait une nouvelle cover, narguant un Travis blasé par la démarche.