whisper the past (jan)

elle a le pas pressé, eden. elle saute un pavé ou deux, manque de glisser sur le bitume humide, se bouscule contre les autres, sans se retourner. elle a le regard droit qui étend de temps en temps son intérêt jusqu'au ciel. là-haut, les nuages ternes se fondent les uns dans les autres, fusionnent leur forces pour abattre leur rincée sur terre. mais, dans son cœur, il y a quelque chose qui compte. quelque chose qui la pousse à continuer à marcher, qui l'immunise de la sanction des cieux. des dizaines de shops lui défilent sous les yeux, il lui suffirait de pousser l'une de ces portes pour s'abriter. mais elle n'en a rien à faire, d'être trempée, eden. si vous saviez. comme son cœur imperméable préserve plus d'un souvenir brumeux.  
et puis quand-même, vous savez ;
après la pluie, vient l'arc-en-ciel.

"salut" qu'elle adresse, impassible devant le jugement des clients du café. une multitude de paire de yeux lui ont agressé le visage, les courbes, l'allure. elle, s'avance jusqu'au comptoir, laissant derrière elle une traînée d'eau qui lui dégouline de la racine jusqu'au dos. "j'vais te prendre un cupcake aux myrtilles  s'il te plait." elle fait déferler sa monnaie sur le bois puis s'en va patienter à la table du fond, celle de droite, côté fenêtre. enfin, elle retire ses vêtements ruisselants, les étendant sur le siège d'à côté. ses cheveux maintenant essorés, quelques gouttes viennent néanmoins perler sa table, l'envie ravage. "merci beaucoup !" elle sourit, chaleureusement, quand son gâteau arrive. comme d'instinct, elle jette un coup d’œil sur sa montre. dix-huit heures moins deux. elle souffle presque de soulagement, partant minutieusement à la recherche d'un objet particulier dans son sac. elle en sort une bougie, une bougie noire, qu'elle dresse sur le cupcake avant de l'allumer. et voilà. dans une minute, elle soufflera son plus bel amour. pour la neuvième fois consécutive. pour la neuvième fois d'une seconde vie.

c'est long, soixante secondes, quand t'attends la mort. c'est presque aussi long qu'les onzes dernières années passées dans le deuil. c'est le temps que le portrait du plus bel homme qui existait sur terre ravive tes plus beaux souvenirs, se plaque sur tes pensées, dans tes yeux, sur le glaçage du cupcake. puis soixante secondes, ça passe plus vite que d'habitude, quand la curiosité d'un inconnu se permet d'interrompre l'ascension d'une mélancolie. eden quitte un instant des yeux son macchabée, pour les poser sur le jeune homme. "je fête la mort, ce soir." elle ne l'observe pas un instant de plus, elle risquerait d'être en retard pour son deuil. son doigt appuie une énième fois sur le bouton de déverrouillage de son smartphone qui actualise dix-huit heures quelques secondes plus tard. elle ferme les yeux, répétant ce même vœux, an pour an. celui qu'il repose en paix. dans un seul souffle, elle éteint la flamme qui titubait de droite à gauche, qui hypnotisait son regard aussi bleu que le ciel. elle accomplit son onzième deuil. et alors qu'elle s'apprête à prendre son goûter, elle pressent le regard insistant de son voisin de table dans les limites de son angle de vue. elle tourne la tête, lui adressant un sourire léger, face au sien - un peu forcé. "mais c'est peut-être un peu trop glauque la bougie noire... j'essaierai une couleur, l'année prochaine." elle hausse les épaules l'air innocent, alors qu'elle s'affaire à retirer l'objet du gâteau pour commencer à le dévorer. eden, les cheveux desquels glissent des gouttes d'eau sauvées de l'essorage, le cœur gris ce jour de pluie, soufflant la mort dans un moment de vie.

Spoiler:

on croit qu'ça passe, on croit qu'la douleur finit par s'estomper, disparaître, périr dans un cœur ranimé par la flamme d'un autre. mais non, c'est faux. complètement faux. entièrement faux. la mort n'est jamais que de passage. ce n'est pas seulement un malheureux événement, un rite funéraire, un bouquet d'fleurs de déposé sur la tombe à chaque toussaint ou un powerpoint partagé sur facebook à l'anniversaire de la mort du défunt. non, ce n'est pas seulement un souvenir qui revient tous les temps en temps, momentané, qui vous fane un jour et vous fleurit le lendemain. non, parce que la mort, c'est à chaque instant, qu'elle vous hante, qu'elle vous habite, qu'elle vous remue les méninges et qu'elle fait de vous ses petits patins. de jolies poupées meurtries, desquelles les larmes ne franchissent plus les yeux et dont le cœur ne fonctionne plus. eden, elle, ça fait onze ans - heure pour heure, qu'elle est devenue soldat funèbre. un figurine macabre, qui, parfois, s'anime. comme pour fêter son charles. "ah ouais, t'as l'air de bien t'y connaître, sur les bougies ! " rend-t-elle compte, les yeux absorbés par les mots de son voisin de table. "ou sur la mort." elle ajoute, un sourire en coin, plutôt palpable. elle grignote son cupcake, prenant soin de laisser les fruits de côté. le meilleur pour la fin. mais la gourmande ravise rapidement son attention sur l'inconnu. elle le dévisage sous la lumière du néon rouge qui leur plane sur le crâne. typé asiatique, le teint pâle, les iris sombres, les lèvres rosâtres, les sourcils bien taillés et les fringues assorties. il a cet air de premier de la classe, dont on se méfie quand il sèche un cours. "t'sais, j'crois plus en grand chose, moi. à part à l'âme-sœur." son grand amour. ismaël. "mais toi, t'y crois, à la symbolique des bougies ? enfin je sais pas, c'est pas de l'encens, scientifiquement, je ne vois pas comment la couleur peut déterminer une ambition ou une autre. c'est juste de l'esthétique." qu'un soucis d'apparence. de définir les choses moins tragiques si c'est en couleur plutôt qu'en noir. quel cliché. "mais bon, on s'en branle. il est bon ton cookie? " elle fait, l'air de rien, se frottant les mains pour se réchauffer, un sourire agité de porté le long des lèvres.