made you smile and look away

Son odeur l’enivre, la vision de son visage la comble et ses lèvres chaudes qui frôlent les siennes la vident de toute volonté propre : elle n’est plus qu’un pantin à la merci de ses émotions - pire, de sa libido - qui ne répond que par Devon et pour Devon. Tout contact la fait frémir, un simple regard de sa part accroît encore son envie d’elle et il ne suffit que de son souffle dans son oreille pour qu'elle gémisse, abandonnant toute retenue, oubliant toute mise en garde. Sa peau est douce et chaude et elle a beaucoup trop de vêtements, et beaucoup trop envie d’elle. Elle se cambre, cherche un point de contact entre leurs hanches, prête à reprendre le contrôle de ses mains et les repositionner avec force contre le canapé. « Tais-toi. » réclame-t-elle dans un bref éclair de lucidité, ses yeux vitreux et emplis par l’envie - non, le besoin de l’avoir là maintenant. Le reste peut attendre : elle s'empare enfin de ses lèvres, une main se glisse sous son sweat et le contact avec sa peau lui coupe à nouveau le souffle, et l’alcool la rend beaucoup trop sensible à tous ses gestes, son corps entièrement accordé à ses moindres gestes. Elle gémit contre ses lèvres, descend sa main puis s'arrête nettement lorsque Devon se détache. Elle peste dans un lourd soupir chargé de frustration.

« T'as raison. C'est bien plus raisonnable de retourner travailler avec cette tension entre nous. » glisse-t-elle quand même, sarcastiquement et ça ressemble à tout sauf du sarcasme, c'est une plainte qu'elle ne s'avouera jamais. Son regard est toujours vissé sur ses lèvres, et elle la réclame, elle le sait, suffisamment pour en perdre la tête et la notion du temps, suffisamment pour qu’elle cède de nouveau et mordille la lèvre inférieure de Devon en une tentative désespérée de la ramener à elle et d’oublier ces foutues résolutions une bonne fois pour toutes. Ça ne prend pas, et elle déteste tout. Alors, elle se dégage de ses genoux, reprend sa place près de sa collègue, use de toute sa force pour s'empêcher un seul regard vers elle et ses cheveux en bataille et ses lèvres encore saillante du baiser. « Par contre pas de comédies. Ni de comédie romantique. Et pas de film d'horreur, j'aurais trop peur que tu t'agrippes à moi. Tiens, on va mettre un documentaire sur le cochon marin, ça va te calmer. » Sous entendu : ça va surtout me calmer moi.

Elle se relève finalement, passe une main dans ses cheveux en vrac, réajuste son haut, son short, détend ses épaules du mieux qu'elle peut et part investiguer le contenu de ses placards. Elle en ressort une bouteille de whisky. Peut-être qu’en continuant à boire ses pensées seront de moins en moins cohérentes, et que les choses qui se bousculent dans sa tête lui feront perdre sa lucidité. Ça lui semble être un objectif désirable, voire préférable, et tant pis si Devon doit se moquer d'elle : elle arrache presque la bouteille du placard et note mentalement le nombre de gorgées qu’elle est capable d'avaler avant de se détruire complètement la gorge. Et jamais elle ne lui adressera un regard. Elle a beaucoup de mal à se faire à la réalité, à prendre conscience qu’elle n’est plus sur ses genoux et qu’elle est censée déambuler dans la pièce de manière totalement légitime et pondérée. Les remords s’en mêlent : est-ce possible qu’elle ait-été été trop avide ? a-t-elle précipité les choses ? aurait-elle dû essayer de se contrôler ? Depuis le temps, elle se serait crue imperméable à l'attractivité de Devon. Cette soirée lui montre que ça n’était pas le cas et qu’elle a encore beaucoup de choses à découvrir sur elle-même et sur leurs rapports.

@Devon Willis

« Non. J'essaie de faire passer le goût de tes lèvres. » et oh menteuse bêtement vexée dans son orgueil. Se faire rejeter est assez rare pour qu'elle le retienne. Et c'est peut-être bien ça le problème : plus Devon la rejettera, plus elle aura envie d'elle. Pour se venger, et avec l'air perfide d'une gamine à qui on aurait confisqué un jouet, elle retire son haut pour saisir au vol un débardeur qui traînait là. Elle ne lâche pas un mot, même si à plusieurs reprises elle va lui demander quel serait réellement le problème à retourner travailler comme si de rien n'était si elles devaient coucher ensemble ; à chaque fois elle se ravise. Penser aux éventualités ne mène à rien. Plus elle les envisage, plus elle se sent perdue. Elle se concentre donc sur ce qu’elle sait : Devon aussi a eu envie d'elle, elle l'a vu, et surtout elle l'a senti quand elle l'a prise d'assaut pour l'embrasser.

Elle parcourt le sol du regard pour ne pas avoir à lire sur l'expression de Devon ce qu’elle ne veut pas y voir. Le malaise qui l'a étreinte quelques minutes plus tôt revient à la charge et la laisse désemparée. Elles n’ont jamais que brièvement parlé pendant les services qu’elles ont partagé, elle ne peut pas prétendre la connaître. Elle se le dit en se redressant et regonflant son orgueil, le débardeur désormais enfilé sur son soutien-gorge noir, prête à déguerpir si le reste de la soirée ne lui convient pas. A vingt huit ans, Shea éprouve parfois avec brutalité le contresens de son existence. Cette existence, elle l’a pourtant construite de toute pièce, mais le vertige qu’elle provoque parfois la ramène au gouffre qui s’est creusé entre elle et les autres. « Je peux. Ça veut pas dire que j'en ai envie. » Shea veut ajouter quelque chose mais hoche finalement la tête sans un mot de plus, elle reste à contempler le ciment, comme préoccupée, cherchant en réalité à amenuiser la faille qui se creuse dans son égo. Elle se sait pour les autres une énigme, un être désuet, vaguement familier mais cependant intangible. Devon la voit-elle aussi comme une mascarade, ou la conçoit-elle comme une usurpatrice ? Est-elle légitime dans ce salon, dans son rôle de collègue et de flirt/fling ou sera-t-elle à jamais l’ombre de ce qu’elle ne pourra jamais être : une amante. Et en particulier, son amante. Ne dis rien, ne gâche pas tout, s'ordonne-t-elle incessamment.

Elle l'observe à travers ses cils - ce sera difficile de prétendre rester indifférente aux charmes de l'américaine. Leur flirt lui est d’autant plus naturel que Shea a toujours été très réceptive au désir de l’autre, qui que soit de la gente féminine qui la courtise. Les lèvres de Devon sont toujours aussi invitantes, même à cette distance. Elle voudrait y retourner, et elle voudrait aussi s'enfermer dans sa chambre, remettre de l'ordre dans son esprit, mais son aplomb l’abandonne. Devon ne va sûrement pas rester, et elle comprendrait alors son départ, et les raisons importent peu, fuir Shea est légitime. Ne fuirait-elle pas loin de sa propre personne, si toutefois elle le pouvait ? Elle prend une profonde inspiration pour retourner près d'elle sur le canapé. Elle saisit de nouveau son téléphone, ouvre Tinder et se met à faire défiler les profils, juste parce que ça l'aide à faire abstraction, et trop rapidement pour qu'elle s'y consacre vraiment. Ce n'est que lorsqu'elle entend un protagoniste crier qu'elle réalise qu'elles sont loin de leur documentaire sur les cochons de mer. Elle arque un sourcil vers Devon : « C'est que t'y tiens vraiment à ton film. Si tu veux rester ici y a de la place dans ma chambre, je dormirai sur le canapé. »

@Devon Willis