memories (vince)

tu vivais dans une routine. depuis la naissance de ta fille, toutes les journées se ressemblaient. elle mangeait aux mêmes horaires, se réveillait toujours à la même heure, et du coup, toutes tes sorties se faisaient en fonction de lila. mais cette nouvelle vie ne te déplaisait pas. au contraire, un peu de calme ne faisait pas de mal, après l’anarchie qu’avait été ta vie quand tu étais avec vince, ou quand tu étais petite.

tu mettais son petit manteau à lila et tu esquissais un sourire, l’emmitouflant correctement dans son landeau. il fallait que tu fasses quelques courses, rien d’extraordinaire mais tu avais besoin de couches, et tu ne pouvais pas faire sans. « voilà mon ange. tu es bien là. » tu soufflais en lui mettant son doudou près d’elle, l’observant avec un tendre sourire. elle ressemblait tellement à vince. parfois, tu la regardais et ton coeur se morcellait. elle te regardait avec ses grands yeux et tu soupirais, enfilant aussi ton manteau, glissant ton sac à main en bandoulière et tu sortais de l’appartement avant de prendre l’ascenseur.

le froid te grisait, une fois dehors. il faisait vraiment très froid en ce début d’année 2021. tu observais autour de toi et tu pensais apercevoir une silhouette familière, un peu plus loin. tu secouais la tête. ton cerveau te jouait souvent des tours, depuis que vince était parti. tu le voyais souvent, un peu partout. sans que ça ne soit lui, évidemment. tu soupirais un peu et tu te dirigeais vers la supérette en faisant attention avec la poussette, te dépêchant de faire les courses, revenant une bonne demi heure après. lila était toujours aussi calme, elle n’avait pas bronché une seule fois. elle était vraiment adorable.

la capuche de ton hoodie fixé sur ton crâne rasé, tu glisses dans la rue. ombre sauvage, fuyante, se fond avec le gris du béton, la noirceur des bâtiments qui t’abritent. tu voles, d’un angle de rue à un autre, tu sautes, de quartier en quartiers, et en essayant de te faire le plus discret possible, t’en deviens suspect. suspect comme dans cette affaire, le braquage. oh oui ça remonte déjà, à quelques mois, un peu plus d’une année. pourtant c’est toujours là, tu le sais, le dossier posé sur le bureau d’un officier qui se ferait un plaisir de te coffrer toi et ta petite bande. bande de cons, comme si vous pouviez y échapper.

tu fuis,
comme toujours,


tu fuis ton destin, tu fuis ton passé, tu fuis tous ceux qui pourraient te reconnaitre. Y'as pas grand monde qui sait que tu es de retour dans le coin, pas grand monde qui t’attend non plus. même pas molly. non même pas ta soeur. “T’es là”, voilà tout ce qu’elle a dit en te voyant de l’autre côté de sa porte, ton sac sur l’épaule. un peu déçu peut être de te voir réapparaitre. qu’est-ce que tu voulais Molly ? me voir derrière les barreaux ? peut-être qu’elle aurait préféré, forfait parloir familial, elle serait venue te voir en même temps que votre mère. belle réunion de famille.

fuir ta famille.
celle qui existe déjà. Molly, maman et les autres. fuir celle que tu construis malgré toi. Jill. Jill et ta gosse. Jill et Lila. Tu sais que c’est une fille. tu sais la date de sa naissance, tu sais que tout s’est bien passé en apparence. tu sais qu’elle t’attend par tu sait que t’existe pas pour elle, pour cette gosse de quelques mois. tu sais que t'étais pas là, pour Jill, pour elle, tu sais qu’elle t’en voudra, autant que sa mère en aura décidé. super Vince, une personne de plus pour te détester, comme s’il n’y en avait déjà pas suffisamment… T’y pense souvent, à cette gosse, à ta gosse. le sang qui coule dans ses veines, le même que le tien, t’y pense et tu sais que tu veux pas qu’elle ait la même haine que tu peux avoir pour ton père, celui qui vous à abandonner, Molly et toi. tu sais que tu veux pas qu’elle grandisse en pensant ne pas avoir de paternelle, pas de père dans son horizon, rien, nada.

Tu te plantes au coin de la rue, parce que tu sais aussi où elle a déménagé Jill, les quelques contacts que tu as pu garder dans le coin t’ont bien aidé, il faut l’avouer. Tu reste planté-la, de l’autre côté de la rue, l’observant installant la gamine dans la poussette, l’enroulant d’une couverture, revenant plusieurs minutes après, des provisions plein les bras. Tu restes là, tétanisé à l’idée de traverser une simple rue, de faire quelques pas vers elle, de voir enfin la fureur dans ses yeux. non, ce n'est pas d’elle dont tu as peur Vince. non, parce que les colères de Jill tu les connais déjà par coeur, tu les aimes par coeur, tu les as appris sur le bout des doigts, tu pourrais les réciter comme de vieux poèmes. l’idée de rencontrer la môme te terrifie. peur de ses yeux, peur de son regard, peur d’y voir ton reflet, peur de réaliser qu’elle va bousculer ta vie, peur d’y voir ton coeur battre pour elle.

Tu attends qu’elle s’engouffre dans l’immeuble pour te lancer derrière elle, retient la porte au dernier moment, y glisse ton corps. Ça y est. Tu y es. “Je t’aide à monter ?”, tu t’approches, une main sur la poussette. Foutu parasite que tu es, tu prends ta place, tout naturellement, comme si elle t’avait toujours attendu, comme si tu n’étais jamais vraiment partie. Tu pourrais t’excuser, te trouver des excuses même, en accuser d’autre, te disculper. tu pourrais te mettre à genoux, lui demander pardon, de toutes tes forces, de toutes ton âme, de tout ce que tu peux lui offrir, mais tu n’en fis rien. Un regard seulement, tes yeux dans les siens, et puis elle comprendra, parce qu’elle te connaît Jill, par coeur.

les bras chargés, tu tentais tant bien que mal de bien diriger la poussette et de ne rien faire tomber à terre. tu avais mis des couches sous la poussette, tu avais mis d’autres courses là où tu pouvais les caler mais tu en avais aussi plein les bras. c’est vraiment dans ces moments là que tu galérais. que tu aimerais être deux. heureusement que lila était sage, et qu’elle était patiente.

mais tu étais seule. puisque son père avait décidé d’être lâche.

tu soupirais lourdement en poussant la porte de l’immeuble, dirigeant la poussette dans le hall et tu lâchais l’engin pour remonter les courses dans tes bras, avant de sursauter quand on s’adressait à toi. cette voix.

sa voix.
celle de vince.

tu te tournais pour être certaine que c’était bien lui et tu lâchais ton paquet de courses, totalement déstabilisée de le voir. et de le voir prendre la poussette, comme si de rien n’était. d’où il sortait au juste ? qu’est-ce qu’il faisait là ? tellement de questions te venaient en tête alors que tu restais figée.

tes yeux le sondaient, lisant dans ses iris comme tu le faisais si souvent auparavant. les yeux qui demandaient pardon à la place de la parole. tu avais envie de pleurer. le voir faisait remonter des souvenirs, trop de souvenirs. des heureux et des moins heureux.

tu finissais par réagir. « qu’est-ce que tu fais là ? » tu demandais, sans doute trop agressive, en ramassant rapidement tes courses, les mains tremblantes. tu mettais tout en vrac dans le sac et tu te redressais. « sors d’ici j’ai pas besoin de ton aide. » tu soufflais simplement en soupirant, complètement décontenancée. il pouvait pas revenir comme ça, sans rien dire. te surprendre, faire comme si de rien n’était. « comment tu m’as retrouvée ? tu me suis depuis quand ? » tu demandais en fermant les yeux, la voix tremblante. elle trahissait ta surprise, ta colère, ton amour, ta joie de le savoir en vie, ta haine de le voir faire comme si de rien n’était, comme si un an n’avait pas défilé depuis la dernière fois que vous aviez parlé. ta voix trahissait tout.

tous tes sentiments.

T’aurais probablement dû appeler. ou envoyer un SMS, un mail, une lettre. prévenir quoi, comme le font tous les autres, tous ceux qui font ce qui faut faire. pas comme toi. parce que toi tu fais jamais ce qu’il faut, tu ne sais jamais ce qu’il faut faire non plus. on t’a pas appris tout ça, pas appris à être normal. et c’est tellement plus simple de rejeter la faute sur les autres. et puis à quoi bon prévenir ? est ce que sa réaction aurait été différente ? aurait-elle été plus heureuse de te voir là, dans le hall de son immeuble ? t’en est pas certain.

elle est surprise, t’observe en laissant glisser certaines de ses courses. T’es le fantôme de ses cauchemars qui revient la hanté, le maudit Beetlejuice qu’elle n’a aucune envie de voir. T’es l’indésirable. elle t’observe pendant des minutes qui te paraissent être des heures, elle te sonde, essaie de lire en toi comme elle le faisait si bien avant. elle a probablement des questions plein la tête, des insultes plein la bouche. pourtant tu t’avances, prêt à l’aider, une main déjà sur la poussette, prêt à prendre ta place.

enfin, des mots qui raisonnent, question qui sort de sa bouche, t’interrogent sur ce que tu fais ici. légitime, elle a raison de se poser la question et tu cherches déjà l’excuse qui te disculpera. Tu n'as pas le temps de lui répondre, qu’elle t’ordonne déjà de foutre le camp, ramassant ses courses. elle tremble jill, dans sa voix, dans ses gestes. elle tremble, probablement de colère, de surprise. elle tremble et se tourne face à toi. elle veut savoir, ce que tu fais là, comment tu l’as trouvé, si tu la suivis. tu ricanes, instinctivement, cache bien le coup au coeur, la blessure qu’elle provoque. “j'te suis pas Jill…”, tu souffles, déçu qu’elle te pense aussi tordu que ça. T'es peut-être pas un gars bien. ok, tu l’es pas, tout court. mais t’es pas un de ces gars capable de lui faire du mal, pas un de ces gars bizarres prêts à la suivre pendant des jours, ou à l’espionner derrière ses fenêtres. “c’est Molly qui m’a dit que t’avais déménagé.”, elle doit bien se douter Jill, que ta soeur est dans le coup.

tu souffle, te redresse devant elle en ramassant la dernière conserve que tu coince dans son sac. “j’aurais dû te prévenir de mon retour…”, t’ose la regarder, affronter son regard, le jugement qui en émane. “j’suis désolé”. oui désolé. désolé d’être partis, désolé d’être revenu, désolé d’être la, désolé de la décevoir, encore une fois. c’est comme une habitude d’être désolé, tellement habitué que tu ne sais plus vraiment ce que cela signifie vraiment. énième soupire, tu désigne les escaliers d’un geste de la tête. “on peut aller parler ?”

tu avais l'impression d’avoir vu un fantôme. et c’était un peu le cas. depuis un an, quasiment jour pour jour, tu ne savais pas si vince était en vie, où s'il avait été abattu quelque part, son corps jeté dans l’hudson.

mais il était là. devant toi. comme si de rien n’était. et ça t’énervait presque autant que ça te rendait heureuse de le savoir au moins en vie. putain de paradoxalité qui caractérisait si bien votre relation, depuis toutes ces années.

tu ricanais un peu quand il mentionnait molly. évidemment, pourquoi tu n’y avais pas pensé plus tôt. tu soupirais lourdement. tu lui avais dit, à molly, où tu allais déménager. au cas où. putain. tu savais pas si c’était bien ou si tu avais fais une erreur, en lui donnant ta nouvelle adresse. il se baissait pour ramasser les courses et tu te sentais de plus en plus désemparée. « et me prévenir de ton départ aussi peut-être ? putain mais t’es incroyable. un putain d’égoïste vince. » tu sifflais en secouant la tête. il te désignait les escaliers et tu arquais un sourcil. « non ça il fallait y penser il y a un an, quand je t’ai dis que j’étais enceinte. c’était à ce moment là qu’on devait parler. à ce moment là que tu aurais dû être là pour moi. pour elle. » tu soufflais, les larmes aux yeux.

mais comment il pouvait croire que tu allais l’accueillir les bras grands ouverts. il pensait que tu allais le laisser intégrer la vie de lila, comme si de rien n’était ? comme si il t’avait pas demandé d’avorter, comme si il avait été présent à l’accouchement ? tu n’arrivais pas à en croire tes oreilles.

« j’hallucine sérieux tu te prends pour qui ? » tu demandais en récupérant les courses, agacée. « je suis pas un jouet vince. je suis pas ton jouet. arrête de faire comme si j’étais à ta disposition tout le temps. » tu soufflais, franchement énervée. tu ne savais pas quoi faire. il te prenait au dépourvu, comme tout le temps. si il t’avait prévenu, t’aurais pu te préparer, psychologiquement. te préparer à ce que tu avais à lui dire, préparer votre rencontre, qui aurait eu lieu partout ailleurs que chez toi. « tu me fais chier putain. » tu soufflais. maintenant qu’il était là, est-ce que tu avais le choix ? tu tapais violemment sur le bouton de l’ascenseur. « je te préviens, si je te demande de partir tu dégages. » tu soufflais simplement, sur les nerfs.

Bien évidemment qu’elle ne veut ni te voir, ni te parler. Encore moins te laisser une place dans sa vie. Et elle a sûrement raison. Tu ne peux rien lui apporter de bien, rien lui apporter de meilleur dans sa vie. Elle est bien mieux sans toi. De quel droit tu penses pouvoir reprendre ta place ? Entrée dans la vie de cette môme, qui elle, n’a rien demandé. Elle a raison Jill, t’es un putain d’égoïste, tu fais pas ça pour elle, tu fais ça pour toi avant tout, pour qu’elle ne te déteste pas, pour ne pas prendre cette place que ton père a occupé toute ta vie.

Elle s’énerve et tu ne dis rien, tu l’observes seulement ses prunelles pleines de larmes. Combien de larmes ont tu fait couler Vince ? Combien de fois la fera tu pleurer ? La faire craquer, la pousser à bout, la rendre folle ? Tu es fautif et tu le sais, alors tu ne dis rien, la laisse s’énerver contre toi avant que, finalement, elle rende les armes. Elle t’autorise finalement à monter chez elle, te mettant tout de même en garde. Tu hoches la tête avant de la suivre dans l’ascenseur, silencieux. Tu la suis sans trop oser la toucher, de peur de frôler ce corps que tu as tant enlacé. « J'sais que j’ai merdé Jill » tu souffles, reste debout dans un coin de la pièce, « j'aurais pas dû partir sans rien te dire, et je sais que j'aurais surtout pas dû te demander d’avorter... », les mots t’écorchent la gorge, « je pensais que c’était ce qu’il y avait de mieux pour nous deux ». Parce que tu sais au fond que vous ne serez jamais une vraie famille, Lilas, elle et toi. « J'te demande même pas de me pardonner », t’approche, un pas, vers le landau. « Mais tu peux pas m’empêcher de faire partie de sa vie », tu le permets pas, tu l’acceptes pas, et depuis ton retour tu ne penses qu’à ça. Cette rencontre tant attendue.

T'as pas réussi à te l’imaginer, cette rencontre, la première fois que tu croiseras le regard de la gosse, qu’elle osera te sourire, te regarder. Tu sais pas ce que c’est le sentiment de rencontrer son enfant, celle qui partage ton sang, tes gènes. Parce que ça s’imagine par ce genre de chose, ça se vie.

et elle est là, devant toi, quand sa mère la prend enfin dans les bras, les yeux plein de sommeil, à moitié réveillé. elle est là, si petite, le visage encore poupon, un bébé d’à peine trois mois. le petit corps frêle, emmitouflé dans les cotons et les laines, protégé du froid, lové dans son cocoon. elle s’éveille doucement, tu la vois gigoter, un bras, une jambe, un son. tu fais encore un pas, te rapproche d’elle, presque au-dessus du berceau, à quelques centimètres d’elle. C’est là que tu la croises, que tu la vois enfin, que ton regard croise le sien. tu sais pas quoi dire, te n'a rien à dire c’est tout, tu ne peux rien dire, seulement l’observer, la gorge serrée, l’esprit ailleurs. Tu n'as jamais imaginé avoir des enfants, t'es pas de ces personnes qui rêvent de leur vie de famille, de leur progéniture future, de leurs descendances. tu t’es jamais imaginé dans le rôle de père, peut-être parce que tu n'as jamais vraiment su à quoi ça pouvait ressembler, un père. et tu sais pas mettre un nom sur tout ce que tu ressens. T’es démuni, face au poupon rose lové dans les bras de sa mère, tu sais pas vraiment ce qu’on fait avec un bébé, comment le porter, le changer, le nourrir, savoir quand il veut dormir, jouer, ou juste être câliné. t’hésite, un court instant, gomme ce qui reste d’espace entre toi et elle. tu ne peux détacher tes yeux de son visage, de ses prunelles bleu qui, bizarrement, ressemble aux tiennes.

le savoir dans la même pièce que toi faisait remonter des souvenirs aussi beaux que douloureux. tu l’aimais à en crever, t’avais jamais cessé de l’aimer, et son année d’absence n’avait rien changé. les sentiments étaient toujours là, forts. intacts. c’était comme ça, tu n’avais pas cherché à l’oublier, cultivant son souvenir dans votre progéniture, désormais. lila ressemblait à son père. les mêmes yeux, la même forme du visage. chaque jour te rappelait vince, quand il n’était plus là. tu l’observais quand il recommençait à parler et tu l’écoutais attentivement, déposant finalement toutes tes courses dans la cuisine.

« j'sais que j’ai merdé jill. j'aurais pas dû partir sans rien te dire, et je sais que j'aurais surtout pas dû te demander d’avorter... je pensais que c’était ce qu’il y avait de mieux pour nous deux. j'te demande même pas de me pardonner, mais tu peux pas m’empêcher de faire partie de sa vie. » tu te mordais les lèvres lentement en glissant ta main dans tes cheveux. tu ne savais juste pas quoi dire. t’en savais rien toi. quoi faire ?

tu revenais vers la poussette et tu prenais lila dans tes bras. tu la libérais de son manteau, la serrant contre toi en caressant son dos. tu la berçais lentement et tu fermais les yeux, essayant de trouver les mots pour parler à vince. « tu as raison, je peux pas t’en empêcher. mais je veux que tu sois clean. c’est tout ce que je veux. lila a besoin d’un père, pas d’un criminel dans sa vie. » tu soufflais d’une voix ferme. c’était la condition, sinon tu ne le laisserais pas s’approcher de votre fille.

il s’approchait finalement quand tu la reposais dans son lit parapluie et tu observais ses réactions. tu ne pensais plus que ce jour pouvait arriver. tu l’avais imaginé un tas de fois et finalement, tu t’étais résignée à ce que lila ne rencontre jamais son père. « tu veux la prendre ? » tu demandais alors doucement, haussant un peu les épaules. malgré tout, il y avait droit. c’était sa fille. tu ne savais pas où tout ça allait mener, tu n’imaginais pas une vie de famille parfaite, mais tu n’avais pas le droit de priver lila de connaitre son père, et inversement. tu aurais simplement préféré que ça se passe autrement. que vince ait été là, à chaque instant de ta grossesse. à l’accouchement. pour les nuits que tu avais géré seule. les biberons, les couches, les pleurs. tu ne lui demandais pas de remplir pleinement son rôle de père, tu savais bien que c’était impossible, surtout que tu n’étais pas prête de lui pardonner ses écarts.

tu t’es jamais imaginé père de famille. a vrai dire, tu n’as d’ailleurs jamais envisagé de fonder une famille, ta famille. peut-être parce que tu n'as pas reçu le bon exemple, surement ouais, faut dire que ton père s’est barré alors que t’étais encore qu’un môme, et que ta mère… tu préfères même pas y penser. alors devenir à ton tour père d’une môme, tu l’avais jamais envisagé ça. et ça n’aurait pas dû arriver, t’aurais dû réussir à te faire assez de fric avant tout ça, plié bagage et te casser loin, de new york, du quartier, de jill. tu l’aimes. tu l’aimeras toujours. mais elle ne faisait pas partie du plan. la gamine non plus d’ailleurs.

sauf que maintenant qu’elle est là, tu peux pas te barrer, tu le veux pas d’ailleurs. tu veux pas qu’elle grandisse en se disant que son père est un raté, qui l’a abandonné, tu veux pas qu’elle te déteste comme toi tu peux détester ton géniteur. et c’est pour ça que t’es là, que t’es revenu. pour elle. alors tu dépose les armes, tu déballes tout, tu lui dis à Jill. elle ne peut pas t’empêcher de faire partie de sa vie, même si elle en a envie.

elle t’en empêchera pas,
elle veut que tu sois clean,
elle ne veut pas d’un criminel,

et toi non plus, tu n'as pas envie de vivre tes prochaines années derrière les barreaux, de voir ta fille une fois par semaine au parloir, de manquer les meilleurs moments de sa vie, de rater ses premiers pas, ses premiers mots, la première fois qu’elle dansera devant une chanson de pub à la TV, la première fois qu’elle prononcera papa, la première fois qu’elle mangera de la glace, la première fois qu’elle touchera l’herbe sous un joli soleil, toutes ses premières fois qui font les souvenirs, qui font que tu l’aimeras encore plus encore. tu secoue la tête sans la lâcher des yeux. “T'en fais pas… j'suis partie parce que ça commençait à devenir compliqué, mais j'suis ranger maintenant”, t’omet volontairement de lui parler de l’enquête toujours ouverte, de la nouvelle flic, de Jj… tu sais bien pourtant, que t'es pas sûr de les tenir tes promesses, surtout celle la. tu sais bien qu’à un moment donné-t-en aura marre de te geler les couilles sur ton scooter pour un salaire de merde, que l’appelle de l’argent facile se fera entendre, et que tu craqueras, encore.

et même avec la meilleure volonté du monde, t’e pas sur d’y arriver.

tu la lâches pas des yeux, le poupon rose dans les bras de sa mère, elle te regarde, te propose de la prendre. tu ne dit rien. pas un mot, juste un hochement de tête. délicatement posé au creux du coude, t’as peur. peur de mal faire, peur de lui faire mal, peur de lui faire peur, peur de la faire tomber. tu sens ton cœur battre à tout rompre. c’est pire que de l’adrénaline, pire que le braquage, pire que la première fois que t’a failli te faire coffrer, pire que la pire drogue. c’est un sentiment inimaginable que de tenir ta gamine au creux des bras, l'sourire qu’elle te fait dans son sommeil quand tu prononces ces quelques mots. “salut toi… c’est ton papa”.