enfant du bruit, (genesis)

traits de caractère /
discrète tendresse aux bras toujours grands ouverts, au palpitant toujours trop peuplé. gracieuse amie aux conseils souvent peu avisés, à la tête pas assez pleine et au verbe rapide. romantique mélancolique qui se fond dans la masse de ses angoisses. boulimique de désespoir à la défaite prématurée, impatiente naïve au sourire bien accroché. pudique insomniaque aux rêves trop grands. amère douceur aux cauchemars tenaces et à la fierté démesurée.

On a oublié qu’il faisait froid ce jour-là, concentrés sur la douleur d’une adolescente esseulée. Premier cri et puis un suivant quelques minutes plus tard après le silence des premiers instants. Genesis d’abord et Oasis ensuite, ou l’inverse peut-être. Question demeurée sans réponse face au brouillard maternel, alors Genesis a pris le parti de l’aînée pour éviter le fardeau à son âme sœur. Bambin sage aux turbulences émotionnelles aiguisées par la solitude des premières années. Amants de passage, père en fuite. Maman enfant. Genesis se souvient encore du mutisme de sa mère qui a justifié celui d’Oasis des années plus tard, elle se souvient des joues humides d’oma le jour où elle leur a imposé la réalité, maman est malade. maman est triste. maman est partie.
La solitude effleurée, le vide démesuré des années silence. Elles avaient quatre ans quand oma est venue s’installer.
Elles avaient dix ans quand maman est rentrée mariée.
Elles avaient onze ans quand Zeppelin a débarqué pour accompagner l’épiderme tâché de maman.
Et puis, elles avaient quatorze ans quand ça a été au tour de Muse de s’inviter avec les cris qui se sont intensifiés. c’est comme ça quand on aime qu’elle racontait, on pardonne.
Elle se souvient Genesis des épaules affaissées d’oma et de ses regards désolés face à une réalité cabossée. Elle se souvient du sang sur le soutien-gorge de maman, des cabanes sous la couette pour échapper à la réalité.

Hambourg, mai 2012 -
Quatrième position et la voilà lancée sous l’œil admiratif de la fratrie entassée dans le petit salon d’oma. Oasis derrière le piano, Genesis qui enchaîne les jetés, pliés sous les applaudissements endiablés. Équilibre précaire d’un univers à l’envers. Un éclat de rire et puis deux alors que Muse tente d’imiter son aînée.
Le téléphone sonne, la musique s’arrête et les rires s’éteignent, un nuage passe derrière la vitre fêlée pour souligner la sinitrose du coup de fil qui vient anéantir l’espoir. Genesis a les oreilles qui sifflent encore quand elle repense à la voix éraillée de ce policier, maman ne reviendra plus cette fois.
Elle avait dix-huit ans quand maman a pris perpétuité sans jamais s’excuser, maman a quitté la réalité.


La vieille canne en bois résonne sur le parquet meurtri de l’antique salle de danse. Frêle poupée à l’allure lunaire, Genesis étire sa silhouette pour aller complimenter les astres sous l'œil admiratif des danseurs au deuxième plan. Elle ne danse pas Gin, elle vole.
Les regards se sont rivés sur son profil gracieux au fil des années. Petit rat est devenu étoile. La presse locale vient l’encenser et les pointes élimées sont remplacées. Mais la ballerine à la chimère lointaine.
Elle ne dort pas Gin, elle pleure.
Les yeux bordés de souvenir, les valises pleines d’espoir.
L’arrivée sur le sol américain, son visa artistique comme seule conviction et le Lincoln center en toile de fond. Genesis est devenue soliste, l’étoile a flirté avec son firmament.

New-York, avril 2019 -
La lumière de la rue s’étire jusqu’à la scène vidée de ses figurants. La lumière, puis l’obscurité lorsque la porte se referme comme une sentence prémonitoire, le silence dans le théâtre se lève à mesure que Genesis s’approche des premiers rangs pour faire face aux expressions rageuses, désolées, mitigées. Mais elle ne parle pas la danseuse, elle subit. « On a trouvé une autre soliste Gin. Elle a plus d’expérience. » Et le silence à nouveau, celui des premiers jours, le lourd qui accompagne la fin des jours de joie. Les chaussons s’échouent sur le sol avant même que Genesis ne comprenne qu’elle les tenait contre elle. Un sanglot silencieux, une lame de fond qui vient la submerger et l’asphyxie. Elle ne vole plus Genesis, elle se rétame. Ses pieds réagissent plus vite que sa tête et la mène hors du sanctuaire devenu cimetière de ses espoirs.
Bohemian Rapsody vient mettre un terme à l’éternité et la photo de Zeppelin s’affiche sur son fond d’écran pour la ramener à sa réalité.
« Tout va bien ici. »
Mensonge préambule. étoile au seuil de sa majesté transformée en survivante de  la clandestinité. Minuit a sonné.